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Avignon 2012 : Lebègue est volubile !

Claudine Lebègue en zone d’émotion (photos d’archives Sabine Li)

À peine es-tu assis dans la salle du mythique Théâtre des Carmes (dont Philippe Caubère vient tout juste de quitter le plateau sur lequel il joue tous les soirs à 20 H durant le festival), qu’un p’tit bout de bonne femme, tout de jean vêtue, te saute sur le paletot. Le tutoiement est immédiat et de rigueur (t’as pas le choix) : « Toi, j »suis sûr que t’aimes jouer aux boules ! » Et t’as même pas le temps de répondre que, déjà, elle te refile une photo qui cause aussitôt à ta mémoire. Si tu ne sais pas encore vraiment ce que tu es venu voir, y a pas de place pour la gamberge : il suffisait de presque rien pour qu’elle te prenne par la main pour t’emmener entre Saint-Denis et Saint-Ouen prendre le premier café-crème.

Et offrir des souvenirs d’entrée, même si c’est gratos, c’est payant ! Ça te met illico dans le bain : tu comprends rapidos que ce que tu es venu voir ne pourra pas te laisser longtemps insensible. Même si elle est cash, la nana est polie. Elle se présente donc : « Je suis née le 26 juin 1956 à Villeneuve-la-Garenne et j’habitais avenue Galliéni. Mon père était photographe : j’aurais donc pu m’appeler ASA-DIN, mais on m’a appelée Claudine. » Le pont est d’ores-et-déjà tendu entre deux horizons : « Moi, j »suis d’ici, toi t’es d’ailleurs / j’ vis toujours en exil dans mon état-civil. » Et là, tu comprends que, si l’enfance n’a pas été malheureuse, elle n’a pas du être facile facile tous les jours : « J’ai rêvé d’avoir des jouets tels qu’un circuit 24, un squelette en plastique, une boîte de construction, un microscope, une boîte de chimiste… mais je n’ai eu qu’une grosse poupée. Puis, dès que j’ai eu du pognon, j’ai enfin pu m’acheter tout ce que je désirais… Mais je n’ai finalement gardé que le microscope. » Et c’est cet instrument magique qui l’aide à scruter son univers : « Moi, ce que j’aime le plus dans le verre de saké, c’est la dame que j’ vois assise au fond d »mon verre, solitaire / Elle est belle comme un diamant qu’on regarde à la loupe / Le saké, plus t’en bois, plus tu vois le paysage : ça tient entre deux doigts, mais c’est tout un voyage, mon vieux. »

Claudine n’a donc pas eu besoin de faire du tourisme pour découvrir l’ailleurs : « Écoute la mer / Tu la vois, tout au fond du terrain vague ; immense, le terrain vague, comme un grand champ à faire pousser des gratte-ciels / Tu vois, moi, mon HLM, je l’aime plus que tous les châteaux en Espagne / Il avait des draps, des chemises, des bleus de travail qui pendaient aux fenêtres / Putain, j’ te jure que c’était beau quand on s’engueulait dans mon HLM /Ça se voyait bien et ça s’entendait bien / C’est tout ! »

La Lebègue assume ainsi pleinement une poésie du réel, mixant à sa sauce des univers comme celui du dialoguiste Henri Janson, du réalisateur Marcel Carné, de la comédienne Arletty et du chanteur Renaud (de ses débuts). Le tout avec le regard d’une enfant du milieu des années 50 ayant traversé la deuxième moitié du XXe siècle, à cheval sur un 102 Peugeot bleu avec, en bandoulière, des boutons de nacre blanc faisant sonner un accordéon rouge. Aussi, au moment de franchir la frontière entre ce vendredi 13 et ce samedi 14 juillet de fête nationale, tu prends alors vraiment conscience (même si tu le savais in petto depuis tout p’tit) que cette France « black, blanc, beur » érigée en modèle lors du sacre footballistique de 1998 avait bien pris racine depuis fort longtemps dans les banlieues françaises.

Ce « bleu, blanc, rouge », teintant une prosodie maîtrisée, n’empêche pourtant pas l’évasion vers d’autres horizons, par la grâce de la mélodie de mots-images innés : « Un diamant dans la nuit, l’année de la comète, un chemin sous la pluie et le phare à minuit. Et la route s’enfuit » (Les Saintes). Madame Lebègue (je ne sais pas si elle apprécierait qu’on l’affuble ainsi, mais tant pis !) fait alors montre d’une écriture autre : une poésie plus « classique », mais tout aussi touchante.

Pour autant, en ce 14 juillet 2012, on sent bien que « Liberté, Égalité, Fraternité » ne sont pas des valeurs dépourvues de fondements pour cette « frangine » énergique, convaincue et convaincante : « Laissez-les taguer, laissez-les taguer, laissez les murs tatoués. » Sans chichi, avec crudité, elle jette un regard -à la fois acéré et sensible- sur des choses vues et vécues de son existence, dans des chansons courtes et efficaces.

Si elle se livre de la sorte, est-ce pour pouvoir s’en délivrer ? Peu importe, en fait, car ce qui est touchant dans la démarche, c’est que cette « tête de Piaf » (qui pourrait en remontrer à bien des énarques sur la vie d’ici-bas) ait pu métamorphoser ses fragilités initiales en une force d’une intensité rare. Ce avec une grâce funambulesque qui l’autorise à jongler entre images arrêtées et mirages en mouvement. Arrêt sur rimage.

Le site de Claudine Lebègue, c’est ici. http://www.dailymotion.com/video/xhcy1m

5 Réponses à Avignon 2012 : Lebègue est volubile !

  1. Norbert Gabriel 15 juillet 2012 à 10 h 03 min

    Superbe page pour une artiste dont on a envie de partager la vision du monde et de la vie… Je préfère de loin son HLM bigarré et coloré à celui de Renaud, un peu trop blême… mais bon, on peut avoir sur ce qui nous entoure un regard plutôt tendre, façon Doisneau, ou plutôt torturé façon Diane Arbus… et il me semble que Claudine Lebègue et Robert Doisneau sont de meilleure compagnie pour traverser le quotidien… sur un 102 Peugeot, qui n’est pas un double 51 jaune… Comprend qui peut comprend qui veut …

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  2. Chantal Bou-Hanna 15 juillet 2012 à 19 h 35 min

    Franck tu as décidément une sacrée belle plume, bravo, on te lit avec un plaisir fou, en se disant pourvu que ça ne s’arrête pas tout de suite » et si! l’article a une fin. Je ne connais que peu voire très peu Claudine Lebègue mais tu la dépeins en trois coups de pinceaux d’une façon époustouflante de vérité et une sensibilité de plusieurs milliers d’asa sans en bruiter le moins du monde le tableau que tu nous fais partager.
    Dommage qu’elle ne passe qu’une fois en Avignon et que cette fois soit du passé sinon avant d’aller à Barjac j’y aurais foncé les yeux fermés, pas tout à fait…et le cœur grand ouvert. Merci à toi.

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  3. georges de cagliari 17 juillet 2012 à 10 h 03 min

    Bonjour,
    Nous venons de lire que vous étiez en Avignon. Sara Veyron chante mes chansons accompagnée par Philippe Mira au Piano au Théâtre du Bout là-bas 23 rue Noël Biret – Avignon à 12h. Dans ce spectacle, je me risque jusqu’à dire quelques uns de mes aphorismes.
    Si vos pas vous y conduisaient, nous trouverions que c’est un heureux hasard. A bientôt peut-être.
    Georges de Cagliari

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  4. Eric Nadot 19 juillet 2012 à 22 h 44 min

    Pour les parisiens qui ont aimé cet article et qui étaient trop loin d’Avignon ce vendredi 13, je vous annonce que Claudine Lebègue sera au Vingtième Théâtre à Paris le lundi 24 septembre à l’occasion de l’ouverture de saison des lundis de la chanson (programmation Cristine Hudin) pour une carte blanche à Tranches de scènes. Après quelques surprises, Claudine sera la reine de la soirée. A MA ZONE, un spectacle qui n’a jamais été donné à Paris dans un grand théâtre. Il était temps !
    Il reste maintenant à en parler autour de vous pour remplir le théâtre et pour que la fête soit complète.

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  5. Chris Land 4 septembre 2012 à 17 h 18 min

    Merci Franck pour ce bel article sur cette belle artiste.

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