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Barjac 2013. « Ça m’fait d’la peine mais il faut que je m’en aille »

(photo Catherine Cour)

Un étranger, étrangement… (photo Catherine Cour)

Un vieux monsieur de 87 ans, à la démarche fragile, au corps fatigué. Une chemise blanche impeccable avec, dans la poche, un peu beaucoup de facétie : un nez rouge dont il se parera, éternel gamin qu’il est.

Lui c’est Graeme Allwright, un étranger qui, étrangement, est grande part de notre patrimoine. Il est tout en cheveux blancs, immaculés. Plus blancs encore que les nôtres. On vient le voir en concert mais c’est autre chose qu’un concert. Des retrouvailles. Avec lui, avec nous-mêmes, avec notre jeunesse, feux de camps et feux de paille, premières amours, premières révoltes. Les années soixante, soixante-dix. Un mois de mai, des cheveux en bataille, des fleurs aux fusils, des pavés dressés en barricades, des 33 tours qu’on écoute presque religieusement, en purs athées. Viet-Nam, Nixon, De Gaulle… « On en avait jusqu’à la ceinture / Et ce vieux con a dit d’avancer… »

Vint cet homme à l’autoharp, pieds nus, avec ce patronyme imprononçable et ces propos pas convenus, pas entendus, qui tranchait tellement avec la soupe d’alors. Ce gars de Nouvelle-Zélande, cet élève de Jean Dasté, nous l’avons adopté. Sans le savoir il est devenu tant notre frère, notre père qu’une part sans égal de notre culture, de notre adn. Aussi vrai que l’est le père Brassens, Graeme Allwright est devenu un phare de la chanson, de notre chanson.

J’étais en sixième et, à la faveur d’un congé maternité bien venu, un prof remplaçant est venu nous faire musique. Comme le souffle d’un grand vent, il a tout bouleversé, chamboulant nos têtes à tout jamais. Il nous a appris Ma liberté de Georges Moustaki et Les retrouvailles de Graeme Allwright. C’était il y a longtemps, le temps est loin de mes onze ans…

(photo Anne-Marie Panigada)

(photo Anne-Marie Panigada)

Nous sommes là, au mitan de l’été 2013 ; Allwright est au soir de son existence. Et, toujours, il chante, enchante. Combien étions-nous dans cette cour du château de Barjac ? Autant, soyez-en sûrs, que de chanteurs. Tous, nous avons fait chorus à l’ami Graeme : Petites boîtes, Petit garçon, Le jour de clarté, Emmène-moiEt cette Marseillaise si différente, nettoyée de son sang, parée de fraternité : « Pour tous les enfants de la terre / Chantons amour et liberté / Contre toutes les haines et les guerres / L’étendard d’espoir est levé… »

Ce vieux chanteur sur scène donc, et nous, à chanter avec lui, aussi bien que lui, aussi fort que lui, comme pour lui dire qu’il est dans nos vies, qu’il fait partie de nous, que ses p’tits cailloux chantés nous ont fait retrouver notre chemin.

Et lui, avec ses deux et formidables complices malgaches, de nous gratifier de nos plus beaux souvenirs : « Suzanne t’emmène / Ecouter les sirènes / Elle te prend par la main / Pour passer une nuit sans fin… » Puis, après deux heures de pur bonheur, tous de chanter « On a fêté nos retrouvailles / Ça m’fait d’la peine mais il faut que je m’en aille. » Juré qu’on se quitte le cœur gros, le cœur beau. C’est pas un chanteur qu’on vient d’applaudir : c’est bien plus, vous le savez.

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4 Réponses à Barjac 2013. « Ça m’fait d’la peine mais il faut que je m’en aille »

  1. Norbert Gabriel 3 août 2013 à 11 h 26 min

    Quelques formidables souvenirs des années foréziennes, avec un premier concert à Roanne en 1966 ou 67, pour une de ses premières tournées, concert (en co plateau avec Eva) organisé par une bande de jeunes très oecumémiques, un patchwork d’assos mêlant des « jeunes » syndicalistes CGT/CFTC/JOC Ajistes, et des scouts cathos … Places à tarif « démocratique » et salle sold out, pour deux artistes quasi inconnus à l’époque. Et un triomphe. Début d’une longue histoire …

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  2. chris land 3 août 2013 à 13 h 52 min

    Bien dit Michel. C’est exactement la place qu’il occupe dans notre mémoire collective, et mes enfant (+ de 30 ans) ont pris la relève… Ces chansons là vont traverser les générations. Et merci Monsieur Graeme de nous avoir montré aussi cette voie.

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  3. Martine Fargeix 14 août 2013 à 20 h 48 min

    C’est très beau, Michel, ce que tu as écrit sur Graeme. Je partage tout à fait ton opinion sur ce grand monsieur. Elle était magique, cette soirée-là.

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  4. prudhomme 8 septembre 2013 à 9 h 51 min

    J’ai lu avec intérêt et attention cet article sur notre Graeme National.Rien à rajouter,rien à retirer.C’est exactement cet homme exceptionnel que j’ai comme ami depuis 1972.
    Graeme est indéfinissable et ce papier s’est approché au plus près de ce que l’on peut saisir de cette belle âme.

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