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Gainsbourg par Balandras : au livre et cætera

"Aux armes et caetera": Serge Gainsbourg seul sur la scène à Strasbourg le 4 janvier 1980 et entonne a capella, le poing levé, la Marseillaise. (c) DR

Serge Gainsbourg sur scène à Strasbourg le 4 janvier 1980 (photo DR)

C’est un dossier, une de ces affaires de la République. Et ce n’est pas Monsieur X qui nous la raconte mais un acteur de la chanson, Laurent Balandras, journaliste, auteur, producteur… Par un livre tiré du dossier qu’en avait constitué le principal intéressé, la victime. Tout y est : les articles assassins de celui qui fut Droit dans ses bottes comme d’autres plumitifs, les coupures de presse qui relatent l’événement strasbourgeois, les lettres et télégrammes de soutien, les photos, tout. Et les genèses parallèles qui, un jour, se rejoignent. Celle d’un chant guerrier, propre à galvaniser les troupes car Louis XVI, roi des français, vient de déclarer la guerre à la Prusse et à l’Autriche. Et d’un militaire « librettiste au talent incertain et mélodiste plus que compositeur », un certain Rouget de l’Isle pour l’heure – nous sommes en mai 1791 – mobilisé à Strasbourg au bataillon « Les enfants de la patrie » de l’armée du Rhin. Celle d’un piètre accordéoniste auvergnat, bourgeois à particule, devenu président de la République, qui n’a jamais caché sa préférence au Chant du départ mais n’aura jamais le courage, ni lui ni ses successeurs, de changer l’hymne national. Celle d’un éditorialiste Droit d’une droite réac, un des prédécesseurs de Zemmour, qui, par haine, stupidité, idéologie, met le feu aux poudres dans les colonnes du Figaro. Celle d’un chanteur dont le succès était jusqu’à ce jour lié aux chansons écrites et composées pour autrui et qui, se laissant porter par la déferlante reggae, réalise l’album qui le porte véritablement au sommet. Un chanteur juif, né Lucien Ginsburg, qui, enfant sous la guerre, portera sur lui tel un cow-boy l’étoile de shérif.

51+6SBSM2oL._SX338_BO1,204,203,200_Voici l’amorce de ces genèses, que Balandras va développer. Y compris – c’est plus plus un livre d’Histoire que la narration d’un fait divers ou d’un couac culturel – les déclinaisons de La Marseillaise. Et la vie du futur Serge Gainsbourg, doué pour le dessin, contraint par son père d’apprendre le piano, brimé dit-on par celui-ci pour son goût des rengaines populaires. La vie, survie, sous l’occupation, la politique antijuive humiliante de l’Etat français, jour après jour la crainte des rafles… La libération, à grands traits la carrière de Serge Gainsbourg jusqu’à ce jour. Et cet album qu’il s’en va enregistrer à Kingston, au studio Dynamic Sounds en janvier 1979, avec entre autres ce titre baptisé Aux armes et cætera, que Gainsbourg ne sait alors quoi faire. C’est par lui, une fois publié, que le scandale arrivera. Le 1er juin, Michel Droit publie une charge sans nom, considérant que l’entreprise de Gainsbourg dépasse le simple outrage à l’hymne national. Tous les actes de ce scandale que Gainbourg a conservé et que Balandras a utilisé, sont dans ce livre, le fac similé de l’article de Droit inclus. Nul besoin donc de le reproduire ici. Si ce n’est cet extrait, qui donne le ton : « Ah, pour nous bavoter ‘sa’ Marseillaise, il avait peaufiné sa tenue de scène et soigné l’expression, le geste, l’attitude. Œil chassieux, barbe de trois jours, lippe dégoulinante […] plus définitivement crado que jamais. » Il s’ensuit la polémique, les courriers de lecteurs au moins aussi orduriers que Droit, les menaces… Les concerts qui s’annoncent et celui, mémorable, de Strasbourg, investi par des paras. Les musiciens jamaïcains de Gainsbourg, apeurés, pris dans un conflit qui n’est pas le leur, qu’ils ne comprennent pas. Et Gainsbourg, enfant de la patrie, qui brave la menace physique et chante la version de Rouget de l’Isle, laissant les militaires en treillis émus et pantois, désarmés.

Ce livre est l’exact dossier de cette affaire. En des chapitres qui s’entrecroisent et se nourrissent mutuellement. Une histoire passionnante, précise, nourrie de toutes les pièces. 158 pages denses, haletantes, qui se lisent d’une traite. Alors que de partout se réveillent des nationalismes malsains et politiquement orientés, ce livre qu’on n’attendait pas, qui nous arrive comme un cheveu dans la soupe, nous donne à sa manière un précieux éclairage.

 

Laurent Balandras, La Marseillaise de Serge Gainsbourg, anatomie d’un scandale, Textuel 2015. 19,90 €. Image de prévisualisation YouTube

Une réponse à Gainsbourg par Balandras : au livre et cætera

  1. Jerry OX 7 octobre 2015 à 15 h 39 min

    Un must !! 1979 la Marseillaise reggae de Gainsbourg et son scandale …incontournable et culotté !!

    j’ai hâte de lire ce livre témoignage qui m’a l’air fort bien réalisé. D’autant que j’adore le Serge Gainsbourg de cette époque même si , artistiquement (selon moi) ce n’est plus aussi bon qu’avant (je préfère Gainsbourg de 1958 à 1976 ) . mais je me laisserai porter par les anecdotes qui suivirent la sortie de ce 45 tours et 33 tours qui eurent tout deux un succès colossal .

    Tiens, je vous offre une chanson de mon cru 100% en Français !

    https://soundcloud.com/jerry-ox/jerry-ox-rendez-moi-mes-cheveux

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