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Festival Chant’Appart 2018 [2/2] : la revue des troupes

David Lafore (photos)

David Lafore (reportage photographique d’Allain Huchet, de Chant’Appart)

C’est chaque année recommencé. Vingt-cinq artistes ou groupes sur une même scène, à s’y succéder, de 11 h à plus de 20 heures. Les artistes retenus par Chant’Appart s’y exposent, font la belle, font le beau, espérant être adoptés par les accueillants devant lesquels ils font l’aubade. Trois, quatre chansons (les plus audacieux tentent cinq chansons dans le temps imparti des quinze minutes) puis on passe le témoin au suivant. Certains sont absents, retenus qu’ils sont qui par un concert, une sciatique ou la grande bleue qui les sépare de nous. Eux ont fait parvenir une vidéo : un clip ou, mieux encore, un message personnalisé, comme ceux, étonnants et amoureux, de Manu Galure (lui vient d’entreprendre son tour de France à pied, où il chante invariablement tous les vingt kilomètres) ou du québécois Guillaume Arsenault (non, il n’est pas le pluriel d’arsenal)…

Mais la plupart ont pu faire le déplacement. Revue de détail, donc, dans cette « foire » aux artistes où on vient faire son marché, histoire de se concocter une bien belle soirée Chant’Appart bientôt à domicile.

Après la pluie, Anastasia, Bonbon Vodou

Après la pluie, Anastasia, Bonbon Vodou

Les premiers à essuyer les plâtres sont Après la pluie. Des Nantais (normal, « il pleut sur Nantes »), chanson rock plutôt soft (on sent qu’ils se modèrent, là, comme s’ils ne voulaient pas effrayer les postulants à leur accueil), bien écrite et, ma foi, bien jouée. Leur handicap c’est d’être les premiers. Mais Chant’Appart a déjà eu l’occasion de les faire connaître et le handicap n’en est déjà plus un. Et puis, comme ils le chantent : « Seuls ceux qui nous aiment nous connaissent ».

De Nantes à Strasbourg il n’y a qu’un pas. Franchi avec élégance et efficacité par Anastasia, avec guitare, violoncelle et contrebasse. De l’onctueux, du passionnant. De l’aimant (« C’était pas simple, c’était pas un jeu / C’était nous deux ») et de l’aventure guerrière avec un Made in Amazone très mode d’emploi, qui sent presque le vécu.

En trois titres seulement, on ne sait ce qui relève du vaudou chez Bonbon Vodou, « le quota de chanteurs de couleur(s) » qui chante toute l’africanité qui est en nous. Mais on savoure déjà le côté sucré. Deux voix et c’est le charme. Et bien plus, quand il et elle nous chantent les SDF qu’on prive, sans droit, de tentes. Charme et dignité, que demander de mieux ?

Ouest, Nicolas Séguy, Clio

Ouest, Nicolas Séguy, Clio

Pour Ouest, ex chanteur de La Casa, « ça ira, ça ira / la traversée se fera / et le temps nous profitera ». On aimerait, oui, que sa chanson soit Populaire, comme il le chante. Précise, stylée, engagée et engageante, elle aurait tout pour l’être si elle trouvait le chemin pour arriver au cœur et aux oreilles des gens.

Sur le papier comme sur disque, Nicolas Séguy fait dans le rap, le slam. En scène, il est certes ça mais aussi et surtout clown et funambule, aux exercices périlleux, rien que pour l’épate : il est simplement épatant. Si un maximum d’accueillants se ruent sur lui, ne vous étonnez pas, je ferais pareil. Moments de rires avec lui, moment d’émotion aussi : quand il interprète un titre d’une collègue applaudie sur cette même scène l’an passé, Barbara Weldens. Merci monsieur.

« Ce sont les équilibristes et les mécaniciens / Ces tout petits cyclistes / Ces tout petits gamins… » Les mots habillent d’élégance la voix de Clio qui, dès l’entame, pose son univers si doux et littéraire. Elle nous gratifie d’une chanson décontractée et émouvante sur son bébé tout neuf. On peut, je crois, tomber en pâmoison amoureux en écoutant Clio…

Sylvain Giro, Syrano, Zef

Sylvain Giro, Syrano, Zel

Nouveau récital, nouveau projet pour Sylvain Giro (voix et violoncelle), le nantais au passé trad’ (ça se sent encore parfois et c’est bien) : que des chansons épistolaires, des « lettres-chansons » pour être précis. Tous ses projets nous ont épaté, celui-ci gagnera pareillement notre estime, notre franche adhésion. Allez le voir dans ce spectacle le 6 octobre à Rozé.

« Le monde est à moi / L’homme est infirme / Alors je l’aide un peu… » (Je suis Dieu). Après Clio et Giro, ça peut être difficile de changer carrément de style et d’être en ordre de marche pour écouter Syrano, seul en scène, lui et ses machines. La difficulté ne semblait pas être de mise pour un public très attentif qui l’a placé haut dans ses préférences. C’est ce qu’on appelle la classe.

Débuter son très court set par un (somptueux) instrumental mi classique mi trad, aux violon, guitare et violoncelle est original, mais risqué. Visiblement, ça ne pose pas problème à Zel, très intéressant chanteur pour qui « chanter sa chanson à des inconnus / se mettre en danger / (c’est) se sentir vivant ». Bravo.

Volo, Erwan Pinard, Camille Hardouin

Volo, Erwan Pinard, Camille Hardouin

« Je vais vous mettre à l’aise / C’est d’la chanson française ». A NosEnchanteurs, nous sommes intarissables sur les frères Volovitch, Volo, qui réussissent là à caser cinq titres, bel échantillon de leur art, dont l’inaltérable « J’ai un copain de droite » et le superbe « J’voudrais mourir au bord d’un lac / Partir dans un beau tabarnak… » Nickel.

Lui dissèque l’amour comme il le ferait d’une grenouille, d’un foie de veau ou d’un mulot… Il est unique, même si, comme l’Edika de la BD, il a parfois du mal à bien trouver des chutes. Mais, chut, il est terrible, terrible, terrible. Il se nomme Erwan Pinard, est lyonnais aussi sûrement qu’un Jésus, et personne ne peut l’oublier après son passage.

La demoiselle n’est plus inconnue : elle est Camille Hardouin, voix claire, forte, précise, au service de vers sensibles, de pures dentelles, d’amour qui vont, qui viennent, de mots doux et de promesses. « La vie m’a abimée à force de promesses / Et je préfère partir / Que te dire à demain… ». Très beau.

Guillaume Farley, David Sire et Cerf Badin, Lise Martin

Guillaume Farley, David Sire et Cerf Badin, Lise Martin

Guillaume Farley à le physique de son art : du presque brut, pas raffiné, taillé dans l’humour, l’ironie, le rire jaune. Trois titres, c’est bien court pour découvrir l’étendue du bonhomme et de ce que peut être son répertoire, qui doit cacher bien d’autres facettes encore. C’est joyeux et franc, tout pour faire ami-ami avec lui.

Si on le traite de philosophe (de la chanson : par lui, ça existe !) David Sire vous répondra pas « bidulosophie ». Ses quinze minutes, chantées tambour battant (c’est une image mais c’est pas loin), sont une belle bande annonce, dans toute sa tension, sa dramaturgie, son suspense, sur nous il va de soi. Et donc sur nos bidules et nos boudoules. Notons que David Sire et Cerf Badin sont les seuls artistes en tenue de scène : c’est peut-être un détail pour vous, mais….

« Il neige des pétales de fleurs… » Lise Martin a pour elle l’intemporalité, une chanson qu’on ne peut dater, moyenâgeuse ou futuriste c’est selon, d’une patine, d’une cire dont elle seule a le secret. Est-ce La force des forêts qui la nourrit ? Si elle est l’auteure de ce qu’elle chante, elle a aussi la sagesse de convoquer d’autres plumes. Ainsi celle de Rémo Gary, avec Je rebondis.

Léopoldine HH, Monsieur Roux, Clément Bertrand

Léopoldine HH, Monsieur Roux, Clément Bertrand

Notre ami Patrick Engel, dans sa déambulation écrite sur la récente Fête de l’Huma, a abondamment parlé de Léopoldine HH. Qui ne ressemble à rien et donc englobe tout : « ne me demande pas ce qu’il y a dans ma tête / si tu ouvres un bouquin / tu me trouveras en page 7 ». HH est unique, mais pas seule. Ils sont trois sur scène et ses deux comparses ne sont pas que musiciens. Qui plus est, ils n’avaient pas, là, sur scène, d’instruments.

David Lafore est et restera une énigme, certes passionnante, mais une énigme. Tenter de séduire d’éventuels accueillants par Je suis une petite culotte (adorable, et je ne parle pas du tissu) puis par J’ai massacré tout un pays est chose risquée. Mais, que voulez-vous, c’est à lui seul « un baiser, une bombe A » qui explosent dans votre bouche. On peut ne pas tarir d’éloges sur ce gars : c’est mon cas.

« Il pleut des cordes et, à tout prendre / J’en prendrais bien pour me pendre à ton coup ». Il faut s’y faire, Monsieur Roux tient l’amour pour une forme de suicide. Sa chanson est servie d’une voix douce presque au service de confidence qui peuvent faire débat, qui font ébats : « A vous mesdames de bonne compagnie / Qui un jour m’avez fait une place dans votre lit… ». Si ce n’est pas de la franche séduction, ça…

L’aurait-on gardé intentionnellement pour la bonne bouche, ce Clément Bertrand, pourtant présent dès l’aube ou peu s’en faut ? Lui fait fête des corps dont il parle avec justesse, avec émotion. Les seins de sa mère qui, pas pudibonde, offre sa poitrine au monde. Et «lorsque son mec est parti / mon amoureuse se touche / elle se bat contre la nuit / et c’est le jour qui la couche ». Le moindre mot, le moindre vers de Bertrand est définitivement bouleversant. 

4 Réponses à Festival Chant’Appart 2018 [2/2] : la revue des troupes

  1. Monique Benintendi 4 octobre 2017 à 19 h 54 min

    Je suis administratrice d’un théâtre en Vaucluse, qui programme du théâtre principalement, mais aussi de la danse et de la musique.
    Depuis deux ans, nous nous attachons à programmer de la chanson francophone car c’est un genre qui m’enchante, comme à vous, visiblement.
    Je parcours donc les festivals en ouvrant mon cœur et mes oreilles et je suis le plus souvent conquise par les découvertes que j’y fais.
    Au-delà de l’intérêt que je porte à la chanson, je suis très attachée à « l’esprit » des festivals, car je suis en projet, avec quelques partenaires, d’en organiser un, entre Vaucluse et sud Drôme.
    Je furète donc, d’un festival à l’autre en reniflant ce qui correspond à mes attentes.
    Je lisais vos articles sur le Chant’Appart auquel je n’ai pas eu plaisir de participer pour des raisons de distance et de disponibilité. Je suis très attentive à ce mode de fonctionnement d’un festival immergé chez les gens du pays, où chacun s’engage et s’investit pleinement, où règne un parfum de convivialité, de partage entre professionnels et amateurs. Nous tavaillons ainsi dans notre théâtre, et la rencontre avec les principaux dirigeants de Chant’Appart à Pézenas me l’a confirmé.
    Je suis donc très surprise et perplexe en lisant votre 2ème article sur ce festival…J’avais déjà perçu dans le premier un peu d’ironie, je trouve dans le second quelque chose qui s’apparente au mépris.
    Quand je lis « s’ exposent, font la belle, font le beau, espérant être adoptés par les accueillants devant lesquels ils font l’aubade. » j’ai l’impression que vous nous décrivez là des chiens savants (faire le beau ) dressés à plaire afin d’être « adoptés » (là, on est maintenant à la SPA…animaux abandonnés en quête de maître..) Pardon mais je trouve ces termes terriblement dégradants pour ces artistes que je connais pour la plupart et qui ne viennent pas mendier un contrat, comme vous semblez le laisser penser.
    Et c’est avec le même ton condescendant (en un seul mot pour plagier votre style) que vous parlez des accueillants : « foire aux artistes où on vient faire son marché, histoire de se concocter une bien belle soirée Chant’Appart bientôt à domicile » Si c’est le cas, je suis extrêmement déçue, moi qui pensais que ces personnes étaient des militants de la chanson, que leur objectif était de soutenir de jeunes artistes et de leur faire la courte échelle. Je pensais solidarité et partage, pas « on se fait plaisir pour passer une bonne soirée » égoïstement.
    Dans ce contexte votre « on sent qu’ils se modèrent, là, comme s’ils ne voulaient pas effrayer les postulants à leur accueil » laisse entendre que les accueillants sont frileux et peu curieux.
    Et vous parlez de « marché », de « foire » comme des commerçants concurrents qui s’arracheraient le « morceau » !!
    Je dis volontiers « Mercato » en parlant du festival d’Avignon où règnent la concurrence, le fric et la misère.
    Mais là, dans un pareil contexte où les accueillants sont bénévoles comment pouvez –vous employer des termes pareils ?
    J’ose espérer qu’il ne s’agit pour vous que d’un effet de style, qu’il vous plaît de manier l’ironie et le clin d’œil assez systématiquement, mais pour moi, les mots sont porteurs de sens, il convient de les manier avec précaution. Ce que je lis à travers vos lignes ne me paraît pas correspondre à l’âme de ce festival, que je suis, à distance, depuis quelques années.
    Ou alors, c’est moi qui me fourvoie, mais je tenais à vous exprimer ici, ce que les lecteurs de votre article auront pu entendre, comme je l’entends.
    Bien à vous que je continuerai de lire !!

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  2. Catherine Laugier 10 octobre 2017 à 20 h 26 min

    Bonjour Monique, je pense que vous faites une interprétation très personnelle du style de Michel Kemper auquel vous n’êtes pas habituée. L’humour (et non pas l’ironie) n’empêche pas l’attachement aux artistes, et il s’agit bien ici de sélectionner des artistes, tout bienveillants que soient les accueillants, car malheureusement le choix est nécessaire.
    Je déteste les émissions de télévision où l’on élimine des artistes tour à tour en les cassant, ici ce n’est pas du tout le cas et ce n’est absolument pas ce que décrit cet article.
    Quant au « marché » d’Avignon, malgré ses défauts il permet à beaucoup de programmateurs (souvent eux-mêmes bénévoles) de connaître des artistes qu’ils auraient du mal à aller repérer de tous les côtés de l’hexagone. Nous en rendons compte régulièrement et nous y avons trouvé un autre esprit que celui – là je ressens un avis méprisant – que vous attribuez à ce Festival (où se donnent également à fond de nombreux bénévoles)
    Quand on voit comment Michel Kemper décrit individuellement chacun des artistes que ce site défend depuis des années (la plupart des artistes apprécient les efforts que nous faisons pour les faire connaître, jetez plutôt un coup d’œil au Livre d’Or), on ne décèle aucun mépris de sa part, j’y vois plutôt de l’affection, qu’une longue fréquentation de ces artistes à travers leurs concerts et leurs albums a suscitée.
    Toute l’équipe de NosEnchanteurs se donne à fond, quelquefois au risque de sa santé, et bénévolement pour soutenir les artistes, en défendant des humains, des lieux et des relations de convivialité. Alors je pense représenter le ressenti de l’équipe (si tel n’est pas le cas ils me démentiront) quand je ressens vos propos comme blessants par rapport à la passion que nous mettons à soutenir les artistes. J’espère qu’il ne s’agit que d’un malentendu et que nous continuerons à recevoir vos avis sur nos articles et les artistes (très nombreux et de styles variés, mais toujours de qualité) que nous chroniquons.

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  3. Colette Vinceneau 11 octobre 2017 à 9 h 47 min

    Merci pour cette belle « revue des troupes » qui ne peut que compliquer encore plus le choix des accueillants. Dommage de ne pas tous habiter sur le territoire des Chant’Appart.
    Quant à la réaction de Monique Benintendi, cette dame s’ébroue dans la farce, le grotesque, l’excès, la caricature que rien dans cet article ne justifie. A-t’elle déjà lu un article sur ce site avant de taper n’importe quoi sur son clavier rageur ? Pas sûr qu’elle soit elle-même un bon argument pour la défense de la chanson.

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  4. Monique Benintendi 11 octobre 2017 à 21 h 28 min

    Je vous remercie Catherine, pour cette aimable réponse.

    Quant à vous, Colette, sachez simplement que non seulement j’ai déjà lu des articles sur ce blog et que j’en ai même appréciés.
    Mon clavier n’est pas rageur, il exprime un ressenti que j’argumente.
    N’est-ce pas l’objectif des la rubrique « commentaires » ?
    Si vous m’avez bien lue, vous constaterez que je dénonce des propos, pas une personne.
    Vous ne me connaissez pas et je déplore que vous vous permettiez de le faire à mon encontre.

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