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Sarcloret, le mystère du hérisson

Sarcloret (photo Philippe Marguet)

Sarcloret (photo Philippe Marguet)

10 novembre 2017, La Cave aux artistes, bar Le Hublot à Aix-en-Provence,

 

 Quatorze mois après sa dernière venue à La cave d’Aix, impossible de rater le passage de Sarcloret, helvète incontournable et mystérieux, pourfendeur d’institutrices et de collectionneurs de chansons, et « moraliste exigeant, surtout envers les autres » disait son ami Claude Astier.

Capable pourtant d’une patience inattendue, régalant son public de chansons de Dylan en v.o. le temps que tous les spectateurs arrivent. Laissant la place à la scène ouverte et aux chansons de Richard Daumas, occasion de  réentendre la noire tendresse de Claude Astier: « Ma tendre momie aux longs cils de soie / Aux cheveux d’ébène striés de fuschine ».  

Sarcloret est précédé d’une réputation sulfureuse pas complètement imméritée. C’est Mr Hide et Docteur J’te kill, Trick or treat, Sour cream. Mais ce soir le public n’a rien à craindre, nulle plaisanterie éculée sur les femmes, les Aixois ou les cheveux blancs comme on l’entend trop souvent chez des chanteurs dits gentils.

Pour démarrer, British American Tobacco est un concentré de Sarclo : mine de rien une campagne sanitaire, entre cynisme et tendresse, se foutant des cigarettiers comme de ceux qui s’achètent des illusions de liberté. Avec cette écriture qui  claque et qui cogne, qui coule et pourtant étonne à chaque vers, l’art de la formule que lui envieraient à l’envers les publicistes de La BA Tobacco : « Ils mourront, paix à leurs cendres / Dans les chiottes, elles vont descendre / On écrira sur la tinette : / « A bossé pour des clopinettes » » (on pourrait citer tout le texte).

Sarcloret musarde entre mélancolie et tendresse, le sourire fugace à peine moqueur, c’est bref et c’est précieux. Sa voix gagne en émotion ce qu’elle a pu perdre en éclat : murmure de douceur ou de pudeur, caresse râpeuse, cri de colère parfois, s’enrouant à dessein. Avec une façon bouleversante de laisser tomber la voix.

Ses versions de Dylan ne sont ni traductions ni adaptations, plutôt des respirations, l’émotion de mots qui en français, sonneront aussi bien qu’en anglais. C’est une œuvre et c’est pas facile.

Don’t think twice Its All Right, ce sera « Te casse pas la tête, ça ira bien. » Quand on ne trouve pas aussi bien, on garde l’anglais : You’re gonna make me lonesome when you go. Des questions ? Il explique doucement, ses recherches, son combat avec les mots. La douze cordes transformée en neuf cordes se fait rude dans l’orage : « Come in, she said / I’ll give ya shelter from the storm ». Plutôt qu’un abri contre la tempête, il nous chante : « Elle m’a dit, entre donc ici / C’est la tempête et je t’offre un abri ». Très sarclorien tout ça, en écho à toutes ses chansons d’amour, à l’abri entre les bras (ou les nichons) de ses femmes. Et très français, un vrai travail de recréation.

Pour Simple twist of fate ( Un simple petit coup du sort) , il nous donne la version bilingue, chaque couplet en anglais suivi de sa transposition en français. J’ai particulièrement aimé dans le dernier : « C’est ma jumelle à regretter, mon chaînon manquant / Cette fille était née au printemps / Et moi j’étais né dehors »

Dylan, c’est par lui que tout a commencé, il sait ce qu’il lui doit et ça va être dur de s’en passer . 

En alternance Sarcloret nous donne ses chansons. Depuis pas loin de quarante ans il chante l’amour (de plus en plus souvent), les enfants, les parents, la maladie et la mort (seule concession à son passé très cynique, La mort de Pierre Bache-lait), et quelques colères contre la bêtise et la méchanceté humaine. Comme tout le monde, me direz-vous.  Eh bien non, justement pas.  Sa vie est tendre, furieuse, rieuse, chaleureuse, irritante, parfois dégoûtante ou révoltante. Et sa façon d’en parler, jamais banale, sucrée-salée.

Quand sa gonzesse se casse, les chagrins d’amour font de belles chansons : « J’aurais tellement aimé vous suivre / Où vous vouliez que je nous entraîne / J’en suis triste avec le sourire / Quand je pense à vous, je vous aime ». Le vous qui surgit à la fin en fait le prix. Mais même le quotidien n’est pas chiant chez lui, tout en tendresse olfactive : « Y a des matins, tu sens les cendres / Et puis la flotte qu’est tombée d’ssus / Alors là, je t’aime à pierre fendre / À bride abattue ». Les couleurs, les parfums et les caresses le débordent : « Elle a fait son jardin dans ma cour (…) Elle a fait ses enfants dans mon lit » .

Les emprunts à ses pairs confirment la délicatesse du spectacle. Les mots délicieusement surannés de Charles Cros qui cachent une réalité moins romantique : « Jeune fille du caboulot / Laisse crier et continue / A charmer de ta gorge nue / Les yeux du public idiot. » La Dame Pauvreté de Jean Villard-Gilles, véritable hymne à la sobriété heureuse, ou son Bonheur, chose si légère qu’il nous échappe si nous refusons d’y croire…

A trente ans on philosophe « Pour mourir dans très, très longtemps / Vivez mourants, mourez souvent » ; plus tard la vie vous joue des tours, seuls l’amour et l’humour noir vous sauvent, Fucking crabe ! Et la révolte, de la rigolade de J’en ai marre des caleçons à fleurs et des marques dont on nous fait volontaire homme-sandwich, à la dénonciation plus virulente des reconduites à la frontière : « Les amis qu’ils ont sont ici / On les renvoie dans un pays / Dont ils connaissent plus les saisons ».

En rappel, Joli foutoir et Mon papa, qui nous parlent tant. Merci au hérisson qui voulait tellement être heureux, comme il l’écrivait il y a vingt ans.


Quand Sarclo ne chante pas, il tire des plans sur son lieu de spectacle, La pension Thénardier à Montreuil, un phalanstère d’artistes (Théâtre, humour, chanson…) dans une ancienne friche industrielle entièrement redessinée et restaurée par lui-même (il est aussi architecte). Ce lieu comporte deux salles petite et moyenne et accueille des résidents permanents co-propriétaires du lieu et des résidences d’artistes de passage. Il présente d’ores et déjà des spectacles intimes au 19 rue Girard à Montreuil, comme le vendredi 1er décembre 2017 Pulcinella, jazz from Toulouse et le jeudi 28 décembre à 20 h Albert Chinet, le troubadour électro, et Sarcloret en trio. Albert Chinet, musicien et chanteur, est le fils de Sarcloret.


La page facebook de Sarcloret, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Et encore là.                  

« Fucking Crabe »Image de prévisualisation YouTube

« Simple Twist of Fate »Image de prévisualisation YouTube

3 Réponses à Sarcloret, le mystère du hérisson

  1. couderc 2 décembre 2017 à 12 h 55 min

    chapeau pour cette belle chronique,je cours remettre un cd dans mon lecteur en attendant d’aller à Montreuil…

    Répondre
  2. daumas 6 décembre 2017 à 0 h 54 min

    Belle écriture de Catherine et joli hommage au Sarclo d’enfer.

    Répondre
  3. Sarcloret 6 décembre 2017 à 13 h 34 min

    Merci Catherine
    On finira peut être par creuser la question chantistes furieux versus philatélistes…
    Ton article est un joli cadeau, et tu étais pas obligée.
    J’ai lu à peu près ce que j’avais envie de lire… tu as quelque chose à me demander ?
    Sans déconner je te fais un gros bonjour.

    Répondre

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