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Suzane, attention au départ !

Suzanne (photo de presse Liswaye)

Suzane (photo de presse Liswaye)

Toï Toï. Titre étrange que celui-là. L’explication ? Il s’agit d’une expression allemande que l’on glisse aux artistes avant une représentation, afin de leur porter chance. L’équiva- lent de notre merde, quoi ! Belle appellation dès lors pour un premier jalon de carrière.

Car Toï Toï n’est que le premier disque de Suzane, si l’on considère son EP de 4 titres paru en 2019 comme un simple galop d’essai. Pourtant, l’artiste a déjà conquis un public nombreux et fidèle, à coups de clips bien pensés et d’un marathon scénique impressionnant (pas un festival de l’été 2019 n’y a échappé !). Venue d’Avignon, la jeune chanteuse de 28 ans n’a guère traîné à gravir les escaliers de la gloire, se retrouvant d’ailleurs déjà parmi les candidats à la Victoire 2020 de la « révélation scène ». Pas un gage de qualité que ces récompenses galvaudées, me direz-vous, mais par contre, assurément un signe que le métier la compte parmi ses futurs poids lourds. Et pour l’avoir applaudie à deux reprises, ce n’est certes pas l’auteur de ces lignes qui estimerait usurpée cette mise en valeur : Suzane sur scène, avec ses chorégraphies, sa combi bleue pétante, sa présence solide, son contact immédiat, c’est très très bien !

Et Suzane sur disque alors ? Musicalement, pas de changement : de l’électro-pop jouée à la machine. Les instruments synthétiques y sont en effet à l’honneur : guère de place pour les « vrais instruments ». Choix artistique de la chanteuse, qui a tenu à proposer un disque fait maison, proche d’elle et de l’univers dans lequel le public l’a découverte. L’étoffer par un apport d’autres instruments et une orchestration plus riche n’aurait peut-être pas fait de tort, mais reconnaissons-lui l’homogénéité de l’ensemble et saluons sa volonté de proposer un spectacle total. Rarement une aussi jeune artiste aura-t-elle poussé le trio disque/scène/clip aussi loin dans la cohérence pour nous offrir son monde en partage, où tous les éléments se répondent, tant visuellement que musicalement.

74602121_774414642999332_6366029942362210304_nLe disque fourmille d’atouts. D’une part, la voix de la chanteuse, forte, puissante. Suzane se présente à raison comme une héritière de la chanson réaliste, tant son chant nous renvoie aux goualantes du siècle passé, ainsi d’ailleurs que la forme classique couplets-refrain systématiquement adoptée.

D’autre part, l’autrice qu’est aussi Suzane a du répondant et ne chante pas pour ne rien dire. Loin des histoires d’amour brisé qui font le pain quotidien des chanteuses en vogue, ses textes brassent l’air du temps et nous parlent de notre époque, avec ce qu’il faut de distance, d’humour et d’empathie pour éviter – parfois de justesse – le côté donneur de leçon. En bonne milléniale, les réseaux sociaux et la technologie moderne occupent le terrain d’une partie de son répertoire, que ce soit pour en dénoncer la trop grande emprise (Pour une poignée de pouces levés / Ton intimité tu la donnes / À des anonymes abonnés / Hashtag, raconte ta vie.com) ou pour souligner leur capacité à générer du rêve autant que de la frustration (Aux quatre coins du globe). La vision du monde partagée par Suzane n’est de toute manière guère réjouissante : dictature de la minceur (Pas beaux), ennui généralisé (L’insatisfait), planète en voie de destruction (Il est où le SAV ?), harcèlement à tous les étages (SLT), rythme de vie épuisant (Plus vite que ça) ou homophobie (P’tit gars)… On y ajoute le portrait tout en mélancolie d’une vie entre-deux-eaux (Madame Ademi) et un témoignage sensible sur les attentats parisiens (Novembre). Des grands sujets, qu’on aurait peut-être souhaités en nombre plus restreint, pour faire place à des chroniques plus sensibles, comme cette ballade sur la belle Anouchka qui ose enfin assumer ses penchants ou cet amusant autoportrait Suzane, la serveuse de café qui se rêve chanteuse.

Ce premier album de Suzane n’est certes pas parfait. Si le chant est bien au point et la personnalité très marquée, l’écriture, tant musicale que textuelle, ne pourra que gagner dans le futur en maturité et en diversité. Mais dans l’immédiat, c’est déjà une très belle confirmation d’une talent appelé à grandir. Jusqu’à devenir énorme, prenons-en le pari ! Ne loupez pas ce train, il vous emmènera loin.

 

Suzane, Toï Toï, 3ème Bureau/Wagram Music, 2020. Le site de Suzane, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. Image de prévisualisation YouTube

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