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Ramon Pipin, la déconne qui sonne

Ramon Pipin (photo Eric Mistler)

Ramon Pipin (photo Eric Mistler)

Ramon Pipin, vous connaissez ? Je l’espère de tout cœur, ayant l’intime conviction que la partie du monde qui s’en délecte vit bien plus sereinement que celle qui l’ignore. Pour le reste, je ne vais pas vous refaire le topo sur sa riche carrière et vous renvoie habilement à l’article que nous avions consacré à son précédent opus.

Tel un Polnareff, il était resté une éternité sans donner de nouvelles discographiques : 24 ans séparaient Ready Steady Go – 1992 – de Comment éclairer son intérieur, paru en 2016. Il a désormais, semble-t-il, trouvé son rythme de croisière : après son Qu’est-ce que c’est beau en 2018, le voici déjà de retour, avec l’étrangement nommé Alafu. Un Ramon Pipin tous les deux ans, qui s’en plaindrait ?

Pour les distraits, résumons son art en quelques mots. Ramon Pipin se caractérise par une propension à ne pas se prendre au sérieux et à pratiquer la dérision en toutes circonstances, maniant le calembour en maître aguerri et affûtant son second degré sur la meule corrosive de l’humour à froid. Appliqués à ses textes, ces bons principes engendrent des chansons drôles et absurdes, n’hésitant pas à aborder les rives de la provoc et de la paillardise, camouflant toujours sous des dehors rigolos une saine critique de nos travers contemporains. Notre facétieux moraliste a en outre le bon goût de sertir ses perles littéraires dans un anneau musical du meilleur aloi, ses mélodies imparables bénéficiant d’arrangements d’orfèvre exécutés par la crème des musiciens.

alafuLe petit dernier, Alafu, s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs. Il débute très fort par un morceau qui dépote, Je promène le chien, griffé d’un riff de guitare tranchant appelé à devenir un classique du rock ‘n roll. Superbe habillage pour nous conter l’histoire, somme toute triste à pleurer, d’un monsieur ordinaire engoncé dans ses habitudes, qui, face à un monde en perdition, n’a d’autre issue que de balader son clébard encore et encore. On poursuit avec 3 sœurs, 2 frères, un micro-ondes, portrait craché d’une famille exemplaire et hommage vibrant à l’Education Nationale (à moins que ce ne soit ironique ?). Vous en voulez d’autres ? Sachez alors que seront abordés cette engeance moderne que sont Les mecs en trottinette, la difficile recherche de l’orgasme (avec cette subtile constatation : L’aubergine, j’ai failli venir / Mais j’aurais pas dû la faire cuire), une initiative gouvernementale pour veiller à notre bien-être (un office où exposer ses soucis, opportunément nommé Le Centre de gravité), un songe étrange et pénétrant (Quand je rêve, je rêve de toits). J’y ajoute une tentative de détrôner Beyoncé (Je grouve) et le compte-rendu d’un débat politique mené comme un match de boxe, très satisfaisant pour l’audimat (Pas un débat d’idées / Mais une putain d’ soirée)… Enfin, alors que Richard Gotainer nous a chanté jadis les mésaventures d’un quatuor en détresse, c’est un Quatuor silencieux que Pipin nous convie à découvrir, avec interprétation en finale d’un fragment de son célèbre Coprolithe pour des temps incertains. Entre les deux, sommet de cynisme et/ou de lucidité, un hymne à la joie ressentie lors du décès d’un être détesté (J’ai pu t’entrevoir, inerte, à l’hôpital / Ça m’a fait plaisir / Je rends grâce à l’impuissance de tout le corps médical).

Des thèmes aussi variés qu’essentiels, qui devraient remplir de joie les anciens lecteurs d’Hara-Kiri et les amateurs d’humour grolandais. Ceux qui seraient par malheur hermétiques à cette catégorie de galéjade se contenteront de régaler leurs oreilles. Comme toujours dans la maison Pipin, la production est solide et le son impeccable. Pop, rock, funk ou ballades sont élégamment mises en ondes, les cordes classieuses se mêlant aux guitares acérées, le tout rehaussé de chœurs emballants et parsemé d’instruments rares (sousaphone, celesta, mandoline…).

Si je vous dis en outre que la richesse du contenu n’a d’égale que l’opulence du contenant (magnifique livret illustré de Max Ruiz, aidé par Cécilia Ranval), vous aurez compris que le meilleur remède à la disette imposée par le confinement est d’effectuer sans retard ce maître-achat. Ceux qui s’en abstiendront auront tort.

 

Ramon Pipin, Alafu, Mon salon records, 2020. Le site de Ramon Pipin, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. CD en vente sur le site ainsi qu’en téléchargement numérique ici.

Je promène le chien, réalisé en confinement Image de prévisualisation YouTube

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