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Francis Chenot, 1942-2020

Francis Chenot (photo non créditée)

Francis Chenot (photo non créditée)

Il fut un temps en Belgique où tout amateur de chanson française connaissait Francis Chenot. Il faut dire que sa dégaine insolite – ses longs cheveux, sa barbe fournie, son inséparable pipe, ses tenues rustiques tout en velours côtelé… – ne lui permettait guère de passer inaperçu dans les antichambres des salles de spectacle, cafétérias et autres lieux de réjouissance post-concert. Si lesdits aficionados avaient en outre le goût de l’information, ils ne pouvaient qu’apprécier la revue Une autre chanson, bimestriel qu’il a porté durant 28 ans, de 1980 à 2008, des fonts baptismaux jusqu’au tombeau. Il y régnait en maître de sa plume avisée, entouré d’une fine équipe de passionnés. Chanson française (francophone serait le terme exact), mais aussi jazz et musique du monde, y étaient célébrés. Un doux refuge pour tant d’artistes trop peu médiatisés. Une autre manière pour Francis de vivre sa passion pour la poésie, mise en musique ou marchant nue. Il fut à ce sujet le co-fondateur de la Maison de la poésie d’Amay, la petite ville qu’il habitait, et l’auteur lui-même de nombre de plaquettes et livres de poème.

Avant cette aventure éditoriale, Francis fut longtemps le responsable des pages culturelles du journal communiste belge Le Drapeau rouge, jusqu’à l’arrêt de celui-ci. Il fut aussi durant quelques années le correspondant belge de Chorus. Rares sont donc les férus de chanson à ne pas l’avoir croisé dans leur vie, au détour d’un spectacle, d’un festival comme Barjac ou d’un article de presse.

Je l’ai côtoyé personnellement durant quelques années, essentiellement durant les mois de mars des années 2000, lorsque se déroulait alors à Charleroi le plus beau festival du monde, Mars en chansons. Je passais le prendre chez lui, dans son antre débordant de livres et de disques, et le ramenais après les concerts. Tous ces kilomètres avalés ensemble furent le nid d’une joyeuse amitié, non dénuée d’engueulades amicales. C’est que le Francis, sans être un ayatollah rabique, avait une conception parfois restrictive de la « bonne chanson française ». Pour caricaturer quelque peu, ses goûts étaient restés « rive gauche » et les chanteurs poussant la sono outre mesure l’indisposaient fortement. Oserais-je même dire que le succès d’un artiste le rendait tout de suite un peu suspect à ses yeux, bien qu’il fût le premier à se réjouir, par exemple, de l’audience élargie d’une Maurane, qu’il avait connue débutante dans les petits lieux bruxellois ? C’est ainsi qu’il avait rompu les ponts avec les Francofolies de Spa, dont Une autre chanson fut le partenaire à ses débuts, parrainant les concerts intimistes du regretté Salon Bleu. La foule et le barnum médiatique n’étaient définitivement pas son truc !

Cet aspect pittoresque ne doit évidemment pas masquer son goût prononcé pour la découverte, son enthousiasme communicatif, son œil intègre, sa bienveillance naturelle et son humour discret. Hasard de la vie, j’ai justement sous la main le numéro de mai-juin 2005 d’Une autre chanson. En couverture : Karim Kacel. Au sommaire : Yannick Le Nagard, Marie-Paule Belle, Jacques Bertin, Xavier Lacouture, Céline Caussimon… Quelle autre revue nous offrait cela en Belgique ?

L’ami Francis s’en est donc allé rejoindre ce 13 juillet 2020 les limbes de Verlaine. Il nous laisse sous un ciel bas et lourd, tel le couvercle de Baudelaire chanté par Souchon. La poésie a guidé sa vie, puisse-t-elle lui faire mener une mort douce.

Une réponse à Francis Chenot, 1942-2020

  1. Francis Hébert 16 juillet 2020 à 13 h 54 min

    Bel article. Ce serait bien qu’il existe un recueil de ses articles ou un site, pour ceux qui, comme moi, n’ont pas eu accès à ses écrits.

    Je ne crois pas que le nom Francis Chenot ou sa revue Une autre chanson se soient rendus jusqu’au Québec.

    J’ai appris son décès par la page Facebook de Jofroi.

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