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Imbert Imbert, se souvenir de vivre

Imbert Imbert ©Marc Ginot

Imbert Imbert ©Marc Ginot

Que Mathias Imbert soit un enfant, ce n’est pas une surprise. Depuis sa naissance ou plutôt dès qu’il en a eu conscience, il s’est attaché à résoudre l’insoluble problème. Pourquoi naître puisqu’il nous faut mourir.

Il en a eu des maux de têtes ou des nausées, il en a fait des colères, à gratter à vif ses blessures, à racler la chair de ses morsures. Il a aboyé après les gens, il leur a dit des gros mots (bien gras, mais jamais vulgaires, rassurez-vous, juste la vérité crue, la vérité nue). Il s’est accroché à la hampe de sa contrebasse comme un navire au milieu de la tempête. Et puis, comme il le dit déjà en 2016 : « Moi j’me réjouis d’être à ma place / Dans les bras de la vie qui passe ». A chercher des étoiles dans l’obscurité, il semble qu’il les ait trouvées. Un enfant toujours, mais de 300 000 ans. 300 000 ans d’humanité balbutiante, de joies et de haines, d’espoirs et de révolte. 300 000 ans à tenter de dompter les éléments, pour se dire un jour qu’il suffit sans doute de s’y fondre, de jouir de cette fusion pour attraper le pourquoi, le pompon de la vie : « La joie d’être là simplement / Suspendu / Entre les crochets des atomes / Tant pis pour les hématomes ».

Et de jouir tout court, de la fusion des êtres, chemin sacré du bonheur. C’est la chanson la plus sereine, « Glisse moi dans / Ton secret / Nos nuits sont des virgules / Des points de suspension du temps / Des parenthèses, une bulle / De printemps ». Si vous n’avez pas valsé sur le refrain, c’est que vous êtes au concert assis masqués à danser d’une fesse à l’autre sur votre fauteuil. Comme un petit clin d’œil à l’aîné, le bon Georges, Mathias fait aussi sa non demande en mariage : « Loin des idées qu’on signe au bas d’un papier gris (…) Ma promesse est plus sobre et plus sincère aussi /  Mon amour pour l’instant, j’t’aime pour la vie ».

Le titre de l’album est aussi celui de trois chansons – même si le mot n’est pas forcément approprié, on n’a pas trouvé meilleure appellation pour définir un ensemble de mots qui font son, qui font sens avec une musique qui les porte dans nos corps, nos cœurs, nos esprits. Chansons qui ouvre, ferme et habite l’album.

La première dénonce : « Les technologies de pointe / Les numéros les empreintes / Les horreurs ordinaires / Le sang les effets spéciaux / Et les réseaux asociaux / Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire / Pour se taire ? » et rêve déjà : « Un oisillon dans ma chambre / Et ma vie entre tes jambes ». Elle bat sur la contrebasse, dissone sur le violon, roule en chœurs, monte et coupe en apnée, en acmé. Autre dénonciation, en douceur sur la forme avec ses chœurs d’enfants, celle de l’hypocrisie bien-pensante: « Mais pas touche à la mouche au lapin, à l’oiseau / Au bébé kangourou aux petits doigts fragiles / Ou je pleus des torrents à inonder le monde / De toutes les larmes de tous les crocodiles ». Et conseil ultime « Insurge-toi (…) Pour le reste brûle / De fureur ou de joie / La vie est un feu de toi.»

IMBERT IMBERT 2020 Mémoires d'un enfant de 300 000 ansLa seconde anticipe son avenir intime : « Mon cœur est un flocon / Pris à son propre piège / Je suis juste un peu con  / Quand je neige. » Elle danse mélancolique et gaie, s’évapore, s’allume sur un feulement de guitare, sur une caresse d’archet : « Mon cœur est un soleil / Allumé dans la nuit / Comme un enfant qui veille / Quand je luis ».
La dernière est prononcée aussi doucement, sur quelques accords de contrebasse, qu’elle se lâche sur la forme, retrouvant son vocabulaire imbertien, « Ta part des anges / En pleine gueule / Tes coups du lapin / Ton coup de la pine », pour s’élever en musique,  comme en mots surréalistes : « Je donne ma langue aux rats / Angoras ». Il est temps d’apprendre à perdre.

Cet album très abouti musicalement, produit par le magicien californien Oz Fritz, s’habille de la guitare de Brunoï Zarn, complice de Boucan, des percussions de Laurent Paris, qui cisèle les rythmes, et des cordes tour à tour caressantes, raclantes et dissonantes du violon de Mathieu Werchowski. Même si manque à la musique Greg Gensse (1). Pudiquement, Mathias choisit de nous le dire en deux temps : « et la musique c’est ma vie ». Entre-temps, le trompettiste Piero Pépin a manqué à son tour à Boucan, brutalement, et ils tentent de s’en remettre. Entre confidences douces qui n’en sont pas moins terribles, entre révolte et soubresauts, l’écriture se fait chemin, « La vie est un risque à dresser ».

(1) parti juste après le mixage de Viande d’amour, en 2016. Musicien pianiste, compositeur, arrangeur prodige qui manque à tant d’artistes amis.


Imbert Imbert, Mémoires d’un enfant de 300 000 ans, Printival-L’autre distribution. 
Le site d’Imbert Imbert, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.

Une superbe vidéo de Marie Heyse & Romain Al’l, avec l’enfant  Malena Al’l, Mémoires d’un enfant de 300 000 ans I
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