L’homme de la sanza, Francis Bebey
« Dibiye » (intelligence, ruse, en langue douala du Cameroun) a marqué son temps, influencé une génération (symbolique du passage de la colonisation à l’indépendance) de « world musiciens », bercé les amoureux d’Afrique, alimenté les samplers de amateurs de trip-hop de tous horizons, fait les beaux jours des radios spécialisées. Certains titres de Francis Bebey sont repris et réinterprétés aujourd’hui de par le monde par les nouvelles générations d’artistes.
Dans l’excellent livret qui accompagne la réédition de l’album de Francis Bebey sorti au printemps 1997 les promoteurs du label Peewee (1) en rappellent l’importance un peu oubliée aujourd’hui. Vingt-cinq ans après, Dibiye est de nouveau rendu disponible à tous. Un des derniers albums d’un artiste pionnier des musiques africaines et installé en France, alors une des capitales des musiques du monde. Francis Bebey (1929-2001), « petit homme très délicat, avec un immense sourire » se souvient-on encore dans ce précieux livret. « C’est sous son autorité que les sons élémentaires des flûtes pygmées, des sanzas et des peaux s’organisaient en boucles hypnotiques, en répétitions transcendantes, en chants incantatoires ou en hymnes simples. Il conduisait son voyage comme on fabrique son pain ». Quel chemin parcouru depuis son premier album en 1972 et son départ du Cameroun pour l’Europe. Le gamin qui savait chanter des cantiques dans sa jeunesse puis des airs de Tino Rossi, en vogue à l’époque, avant de se faire connaître comme guitariste de concert, est devenu au fil des années l’ambassadeur des musiques africaines en Occident.
Écrivain, satiriste, poète, chanteur, guitariste, compositeur, grand promoteur de la sanza, instrument à lamelles de la famille des xylophones, Francis Bebey a également développé à l’Unesco où il avait été engagé, le département musique. Il est considéré comme un des pères, sinon le père, de la world music. On se souvient encore qu’il reçut en 1977 le prix de la chanson française attribué par la Sacem.
Avec trente-quatre albums la discographie de Francis Bebey court de 1965 à 2000. Des Pièces pour guitare seule à Mbira Dance. « Dibiye »se présente comme une conversation tout en finesse entre instruments et voix. Sans que personne ne hausse le ton indique un article de l’époque. Il résume la liberté créatrice de Francis Bebey et son souci d’explorer de nouveaux horizons. Onze titres figurent sur l’album dont un Stabat mater dolorosa décliné en plusieurs langues (douala, français, anglais). Le descendant de pasteur, familier des musiques de Bach, transmettait à son tour son legs à destination universelle. Avec ses deux fils musiciens, Patrick et Toups, et Noël Ekwabi Francis Bebey invitait au voyage avec un éventail instrumental et vocal saisissant.
La réédition de Dibiye a été menée avec la collaboration de Patrick Bebey. Trois bonus sont disponibles grâce à un QR code. Le livret compte un entretien inédit recueilli en 2001 par Sophie Beau-Blache.
Pour concrétiser encore le retour de Francis Bebey une intégrale est évoquée, à l’initiative d’un label britannique.
Robert MIGLIORINI
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Fondé en 1995, suspendu depuis 2000, le label Peewee revient ces jours avec trois déclinaisons : des productions d’artistes contemporains, des nouvelles éditions complètes de trésors oubliés, des éditions limitées de luxe (comme celle de Francis Bebey), tirée à 1200 exemplaires) et des remises à disposition en physique et numérique remastérisé des 26 albums du label.
Francis Bebey, Dibiye, Label Peewee PWC001 (Peewee collection), 2021
Esok Am, Francis et Patrick Bebey,La cercle de minuit 1996, INA
Stabat mater dolorosa, audio
La version de Stabat mater dolorosa de Patrick Bebey et Noga 2014 (Latin douala anglais français hébreu…)
Francis Bebey expliquant la flûte pygmée en bambou au Real World Studios en 1995
N’oublions pas ce grand monsieur, un grand humaniste.