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Frédéric Quinonero, une vie de biographe

Frédéric Quinonéro (photos Emmanuelle Grimaud)

Frédéric Quinonéro (photos Emmanuelle Grimaud)

Frédéric Quinonero écrit beaucoup sur la chanson et les chanteurs. Coup sur coup, il vient de nous offrir deux biographies, sur Jacques Dutronc et Serge Lama, et nous annonce pour février 2022 déjà un ouvrage sur Julien Doré. L’occasion idéale de l’interroger sur la condition d’écrivain-biographe. Une tâche ingrate par bien des côtés et, comme pour nombre de métiers artistiques, bien aléatoire d’un point de vue financier. Raison pour laquelle il a endossé depuis peu une seconde peau d’homme de lettres. Mais écoutons-le plutôt.

 

Frédéric Quinonero : Avec le Covid en 2020, j’ai passé une année épouvantable et je me suis rendu compte que je n’étais pas du tout en sécurité en ne faisant qu’écrire. J’ai donc cherché une autre activité et je l’ai trouvée, puisque je suis devenu facteur. C’est rassurant d’avoir un salaire, une mutuelle… Toutes choses que l’activité d’écrivain ne permet pas d’avoir. En plus, le métier de facteur est plaisant, qui me requinque et me remonte le moral, en me donnant une vie sociale. Cette vie facilitée va me permettre d’envisager l’écriture différemment et d’être plus libre dans le choix de mes sujets. Peut-être pourrai-je me passer des livres de commande.

bruelNosEnchanteurs : Précarité et contraintes, l’activité de biographe ne serait donc pas une source de félicité ?

Être biographe, c’est très frustrant. Cela représente un gros travail, de minimum six mois, pendant lesquels on fait des recherches tous azimuts : on relit des interviews, on visionne une multitude d’images (à l’INA, sur YouTube…), on collecte des entretiens avec l’entourage de l’artiste… Et ensuite seulement vient la phase de rédaction, éprouvante également si on veut s’appliquer, soigner le style, ne pas écrire à la va-vite. C’est donc beaucoup de soi que l’on met dans son travail, sans aucun retour, ou si peu. Et les quelques rares retours qu’on a de l’artiste, qu’on essaie pourtant de mettre en valeur, sont souvent négatifs : du mépris affiché, voire des menaces de procès. C’est très ingrat. En réalité, les seuls bons retours sont ceux des journalistes ou des fans.

Notez que les journalistes musicaux sont beaucoup mieux considérés des artistes que les biographes. Mais on sait pourquoi : avec eux, on est toujours dans un système d’échange, de donnant-donnant. Mais d’un biographe, on considère qu’il n’y a rien à attendre en retour, alors…

lamaVous avez une écriture bienveillante. Les artistes auxquels vous vous consacrez devraient le savoir, non ? Pourquoi ne collaborent-ils pas davantage avec vous ?

Quand on est biographe, en règle générale, on est en empathie avec le personnage dont on raconte l’existence. En ce qui me concerne, je n’écris pas des brûlots pour les assassiner. Au contraire, j’écris pour les défendre et mettre en avant leur œuvre et leur travail. Effectivement, ils devraient le savoir, puisque ça fait quinze ans que je pratique. Le show-biz, c’est un microcosme dans lequel tout se sait très vite. Mais je crois que c’est le principe-même de la biographie qui leur déplaît. Parce que cela implique qu’on s’intéresse aussi à ce qu’ils sont, et pas seulement à ce qu’ils font. Même si moi, dans mes livres, je me penche avant tout sur l’œuvre, je ne peux fermer les yeux sur certains aspects intimes, sans faire les poubelles pour autant. Ce que fait un artiste va forcément de pair avec ce qu’il vit, avec ce qu’il est. On ne peut pas juger son travail sans évoquer son enfance, ses origines, parce que ce sont souvent ces premières années qui expliquent tout.

Votre méthode est de rechercher, recouper et compiler les extraits de presse (entre autres). Sachant que les artistes se plaignent souvent que la presse déforme leurs propos, n’est-ce pas dangereux de se fier à ces interviews pour en tirer des conclusions sur l’artiste ?

C’est pourquoi je privilégie les documents filmés, sur le site de l’I.N.A. en particulier. Pour Lama, j’ai pu ainsi revoir de nombreux « Grand Echiquier ». Quant à la presse, ce n’est pas le tout de relire des interviews, encore faut-il savoir choisir judicieusement les citations à en retirer, sans recopier tels quels de grands pavés. Il faut savoir aussi capturer dans l’article, où le propos de l’artiste n’a parfois pas été reproduit avec exactitude, l’idée sous-jacente et la réinterpréter de façon correcte.

Johnny-immortelVos livres ne contiennent jamais d’entretien avec le chanteur concerné. Est-ce une volonté de votre part ? Un bon biographe doit-il éviter de côtoyer celui sur lequel il écrit ?

Il est en tout cas plus facile d’écrire sur quelqu’un sans le rencontrer. Il faut savoir qu’un artiste qui écrit son autobiographie va généralement édulcorer son histoire, ne raconter que ce qui le valorise et occulter ce qui peut déranger. Il est rarement d’une grande honnêteté, sauf exceptions (comme Elton John, par ex., qui ne s’est pas épargné dans ses mémoires). Moi, de l’extérieur, j’ai la distance que l’artiste n’a pas et une liberté que je ne pourrais obtenir de sa part. Car s’il accepte de me donner un interview, c’est certain qu’il voudra avoir un droit de regard sur ce que j’écrirai sur lui. Je trouve donc beaucoup plus intéressant d’avoir des entretiens avec son entourage. Et encore faut-il que l’artiste n’y fasse pas barrage, comme Lama l’a fait par ex. (puisqu’il va publier ses souvenirs, il a demandé à certains proches, comme Alice Dona ou Marie-Paule Belle, de ne pas répondre aux demandes extérieures). De façon générale, de toutes manières, les chanteurs au sommet de leur gloire, ils ne touchent plus terre et sont totalement intouchables : ce n’est même pas la peine d’essayer de les contacter personnellement !

Pour tout dire, un biographe doit aimer les gens, il doit être en empathie avec son sujet. On préférerait donc écrire sur les artistes qui ont besoin qu’on parle d’eux, qui démarrent, qui ne sont pas dans le show-biz, qui ont toujours les pieds sur terre. On a envie d’écrire sur de telles personnes, qui sont certainement plus intéressantes. Mais le problème, c’est que ça n’intéresse pas les éditeurs, puisque ce n’est pas vendeur.

242416362_1059499868189761_6767143889633738106_nVous avez déjà eu des échos venant des stars concernées ? Par ex, savez-vous si Dutronc ou Sardou ont lu votre livre ?

Je n’ai jamais eu de retours directs de l’artiste, mais bien de son entourage. Thomas Dutronc, par ex., avait adoré mon livre, au point d’accepter d’en écrire la préface. Pour Michel Sardou, j’ai eu de nombreux échanges avec son épouse, Anne-Marie Périer, qui était intervenue auprès de l’éditeur (City) pour qu’il garde le titre que j’avais choisi, à la demande de Michel, et m’avait fait corriger trois erreurs factuelles. Je sais aussi, par Michel Mallory ou d’autres, que Johnny appréciait beaucoup ce que j’avais écrit sur lui. Lorsque je tournais un documentaire sur lui pour la télé, il trouvait ce que je disais juste et bienveillant. Un biographe, et c’est peut-être malheureux, se contente de peu : quand Goldman m’a envoyé un mail plein d’humour pour me dire qu’il me laissait champ libre pour écrire sur lui, ça donne des ailes.

En fait, la chanson, c’est ma passion. Les artistes qui me méprisent ou me menacent de m’intenter un procès (peu nombreux, heureusement), c’est ce qu’ils ne comprennent pas. C’est parce qu’ils font de la chanson que j’écris sur eux. Mes livres sont un hommage à leur art et jamais ne leur feront du tort, ni n’iront à l’encontre de ce qu’ils sont. Je ne comprends pas ce mépris. Un biographe est avant tout un écrivain. Et un écrivain n’est pas plus méprisable qu’un chanteur.

 

Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Frédéric Quinonéro, c’est là.

Une réponse à Frédéric Quinonero, une vie de biographe

  1. burgos david 24 septembre 2021 à 19 h 22 min

    Un bien bel article…. J’espsère que le concert de demain sera à la hauteur….
    https://www.billetreduc.com/263787/evt.htm

    Répondre

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