Barjac 2021. Yoanna, sauvée des eaux
Sauvé dans Anne-Marie Panigada, En scène, Festivals
Tags: Barjac 2021, Nouvelles, Yoanna
3 août 2021, finalement sous chapiteau,
Ça ressemble à du Sacha Distel : « toute la pluie tombe sur moi… » Le public s’était installé dans la cour du château, protégé de la voûte céleste par une inextricable forêt de parapluies. Attendu, redouté mais logique, le verdict finit par tomber, qui déménage : transport de la soirée plus loin, en bas, sous le chapiteau. Lourdement lesté d’une technique qui le rend prisonnier, le cœur gros, l’âme chavirée, Govrache en larmes devra abdiquer. Captive elle-aussi d’un set trop technique, intransportable en si peu de temps et bien trop de gouttes, Yoanna pourra, elle, s’en affranchir, retrouvant sa belle indépendance, sa coutumière insolence, l’effervescence qui est sienne. La voici sur scène, surprise, étonnée, bringueballée, un peu assommée quand même.
Avec son compagnon musicien, Mathieu Goust, ci-devant percussionniste, qui lui gratte le do et caresse son soufflet, elle se met à improviser une prestation, sans avant, sans apprêts, ne sachant justement jamais la chanson d’après. Elle navigue et chante à vue, ça se voit. Nature, Yoanna hésite, cherche, éclate de rire, nous parle, se dévoile, se présente : « Moi ? J’ai fait un disque, un gosse, un disque, un gosse, un disque, un gosse, un disque… Bon j’ai fait plus de disques que de gosses ! »
Yoanna fonce, foudroie, fustige : pas un seul de ses mots, pas une seule note, ne trichent. Ses vers sont rudes, âpres, acérés, tranchants, plus encore car c’est chanté avec bonheur, sourire, innocence presque (mais méfiez-vous, pas tant que ça) : cette native Suisse ne sait rien de la neutralité, elle s’ingère dans nos renoncements, suggère d’autres attitudes…
Son spectacle actuel – celui que nous ne verrons pas – mêle et maille son accordéon à des sonorités plus urbaines : Yoanna n’en donne pas moins les échantillons qu’elle peut. « Laissez-moi ma colère / Laissez-moi mes défauts / Laissez-moi ne rien faire / Laissez-moi parler aux oiseaux… » Pour qui la connaît, elle n’avait besoin de rien pour s’exprimer ainsi, en temps normal. Mais la donne #metoo a trempé plus encore ses piques au curare. Et notre amazone vise bien (que je sache, Guillaume Tell était Helvète, lui aussi), faisant flèches de sa voix. Ni chichis ni tabous, ses vers n’ont pas été calibrés, soupesés, négociés : le mâle et ses travers sont la cible de notre fine archère. C’est ça qu’elle nous chante et son « concert » impromptu en reprenait quelques fondamentaux. Ça et cet État En marche, ça et les atteintes à l’environnement, cette planète qu’on fait crever, tant qu’on peut s’en gaver… Prise au dépourvu, Yoanna n’affiche pas les peintures et masque de guerre de la pochette de son dernier album (2e sexe) mais, derrière ses rires et fou-rires, la lame de sa voix tranche pareil.
Yoanna nous a donné un bout de son talent, de son art. Suffisamment pour savoir qui elle est, pour furieusement nous donner envie de la découvrir en entier, de se faire dévorer par l’art fauve de cette belle carnassière. Ce millésime de Barjac restera celui de ce triomphe incongru et mérité.
Le site de Yoanna, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
C’était un des plus beau moment du festival. Pour moi une découverte, un coup de cœur, un coup de poing. Et depuis, je découvre plus tranquillement ses textes, ses engagements. Merci Barjac m’enchante de m’avoir permis de découvrir autant de talents et merci à Yoanna, belle, forte et fragile à la fois, magnifique dans ce dénuement soudain. Je suis heureuse d’avoir été là ce soir-là.
S’il y a bien un concert que j’ai raté, c’est celui-là. J’avoue m’en mordre un peu les doigts…