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Jamait, le temps qui passe

Yves Jamait (photo Stephane Kerrad)

Yves Jamait (photo Stephane Kerrad)

Une heure de chansons inédites, treize titres, dont dix d’entre eux dépassent les quatre minutes (9’34’’ pour Une vie !) : visiblement ce huitième album de Jamait ne prétend pas passer souvent en radios, où la longueur sera un prétexte comme un autre pour ne pas le diffuser.

Tant pis, la carrière de Jamait se passe ailleurs, non dans un espace contraint, formaté, épuré, mais dans l’ivresse d’une grande liberté de ton. Et, même sans couvre-chef, il ne s’en prive pas, comme quoi tout n’était pas dans la casquette…

Allez, soyons fous, une fois n’est pas coutume, commençons par la fin : « Chacun chacun chacun chez soi / C’est qui qu’était là le premier / Chacun chacun chacun chez soi / Conduisons-nous en invités » : Yves Jamait a le bon goût, le bon sens, de rendre aux animaux le territoire qui initialement leur appartient. Cette chanson, interprétée en duo avec Suzie, sa gamine, devrait faire son effet dans les cours d’école : on devient tube pour bien moins que ça. Ce qui n’est pas dit dans la chanson, mais découle de source, c’est que les sangliers étaient là avant les gros cons de chasseurs.

D’un titre à l’autre, c’est la vie qui coule dans ce disque. La sienne à Jamait, Une vie, de quand « son ventre m’expulse / m’irradiant de lumière » à ses cinquante-cinq ans (il en manque six pour faire bon poids, mon cher Yves !). Titre fleuve qui vaut honnête autobiographie, entre amour et amitié. Là, c’est lui ; à l’autre bout du disque, en fait au tout début, c’est L’Autre, son fardeau, son enclume, son pire ennemi. Son double, «  qui se distingue de ne pas être moi », qui d’ailleurs donne son titre à l’opus. Dans une étonnante confession, Lavilliers, bouffé au mythe, chantait naguère Je suis l’autre ; Jamait, lui, s’accorde avec cet autre – le sien – qui est « très différent il me semble / de moi pourtant ça me ressemble / c’est pourquoi tant je m’en méfie / ne suis-je pas mon pire ennemi ? » Un des moments forts du disque…

L-Autre-Edition-StandardAutre « autre » de cet album, Mon garçon, tête à tête entre celui qui fut et l’autre qui est maintenant, nostalgie qui bandonéone de tendresse et de soupirs  : « L’horizon se rapproche et les chimères s’éloignent / Le crépuscule et l’aube lentement se rejoignent. »

Ratures de l’adolescence, blessures de la vie, celle qui fuit chaque jour un peu plus, bonheur de celle qu’on donne, les plages de cet album jouent les grandes marées de l’introspection et pleurent des larmes de sel.

C’est Jamait, et rien que des textes tactiles non parce qu’ils vous touchent, vous émeuvent, c’est entendu, mais parce qu’on y sent tout, comme si sa plume était épiderme, prolongement naturel de ses bras, de ses doigts.

C’est le disque d’un jeune sexagénaire, écoutant le bruit des feuilles d’automne, se souvenant du printemps et de l’été, constatant le temps passé. Un homme qui « marche un peu bancal » et avance, un sage qui consigne en chansons ses émotions d’hier et d’aujourd’hui.

Vous dire que c’est un très bel album ne veut pas dire grand-chose : c’est du Jamait dans ce qu’il a de plus beau, de meilleur. Capable de bien belles envolées, comme si l’amour avait encore des contrées inexplorées « qui laisse sur ma lèvre la tache d’un rubis. »

C’est aussi l’œuvre d’une belle équipe musicale qui sait peindre de ses notes les soubresauts de l’âme et les sourires des mots.

Puisque nous parlons de peinture : le visuel de ce disque est dû aux pinceaux du chanteur. Il sait tout faire, et bien, ce diable de Jamait.

 

Jamait, L’Autre, BlueLine 2022. Le site de Jamait, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

« L’Autre » : Image de prévisualisation YouTube

« Sur ta bouche » : Image de prévisualisation YouTube

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