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Barjac 2023, Thibaud Defever, Du temps qu’il fait au temps qu’il faut

Thibaud Defever et le Well Quartet à Barjac en 2023 Photos ©AM Panigada

Thibaud Defever et le Well Quartet à Barjac en 2023 Photos ©AM Panigada

Par Franck Halimi,


Barjac, le samedi 29 juillet 2023

Quand on aime la chanson, la perspective d’un concert de Thibaud Defever est réjouissante. Parce que, depuis qu’il est apparu sur le devant de la scène avec Presque Oui, il a toujours su tisser sa toile d’art et nier tout mauvais goût, en se plaçant à juste distance d’un public esthète et amoureux de ses histoires musiquées.

Alors, loin de nous l’idée de penser que tout serait gagné d’avance et qu’il suffirait que Defever prenne sa guitare et ouvre la bouche pour que le succès soit acquis. Mais, il est vrai qu’il a tellement fait ses preuves depuis belle lurette, que l’envie et l’attente ont grandi sous des auspices plutôt favorables. Et si besoin était de le prouver, la Cour du Château est bien remplie et on sent le plaisir qu’ont les spectateurs de retrouver une nouvelle fois cet écrin qu’est l’Espace Jean Ferrat.

DEFEVER ET MECHE ©AMPanigadaPour autant, après le joli passage d’une Mèche qui a su allumer les premiers feux de ce nouveau Barjac m’en Chante, avec son univers rock’n roll évolutif et prometteur, le crépuscule ambiant qui nous enveloppe de sa cape de velours ne paye pas de mine. En effet, d’emblée, Thibaud Defever « fugue » en nous chantant « Et puisqu’on a pris l’eau, qu’on n’a presque plus rien, autant laisser en plan le peu qui nous retient » Et ni une ni deux, Zeus, Jupiter ou Tlaloc (chacun y reconnaîtra son dieu) lui répond sous la forme d’une ondée que Julie Berthon (la nouvelle directrice artistique du festival) redoutait depuis quelques heures déjà. Mais si, pour préserver les instruments du Well Quartet, cette averse a interrompu le concert une vingtaine de minutes, l’eau s’est immédiatement métamorphosée en bière et, une fois la pression bue (et retombée), Thibaud et le quatuor à cordes reviennent nous faire miroiter leurs images, leurs rimages et leurs mirages, avec une élégance folle.

DEFEVER WELL QUARTET ©AMPanigadaCar les images que nous offre Joël Legagneur -avec ses pinceaux de lumière soulignés par une fumée que le vent rend volatile- les rimages des textes co-écrits avec Isabelle Haas et les mirages d’un horizon tentateur mais versatile sont magnifiés par les arrangements sur-mesure de Jean-Christophe Cheneval. En effet, partant du guitare-voix de Defever, celui-ci a su tailler, calibrer, façonner et ciseler l’accompagnement sensible de Widad Abdessemed et Luce Gofi au violon, Anne Berry à l’alto et Chloé Girondon au violoncelle, pour que le régisseur-son Guillaume Caro puisse le faire sonner comme il le mérite. Et bien que le quatuor à cordes soit de facture classique, l’orchestration ne l’est pas vraiment et la subtilité de l’arrangeur et des interprètes du Well Quartet permet de sculpter un écrin sonore approprié au sens et aux sensations que chacune des chansons cherche à provoquer.

Car une indéniable connexion relie sens et sensation et font, paradoxalement, des histoires de ce conteur hors-pair de véritables tableaux simultanément impressionnistes et expressionnistes. Car, si comme nombre de ses consœurs et confrères, la chanson lui permet de délivrer des messages de toute nature sur l’amour et ses déboires, sur l’écologie et ce qui l’agresse, sur la société et ce qui la déconstruit, sur la mort et ce qui la transcende, Thibaud Defever parvient à réussir un tour de force rare : réunir Renoir -et sa peinture concrète du réel- et Van Gogh -et sa réinterprétation du monde, non tel qu’il est, mais tel qu’il l’envisage (déformation de la ligne, simplification radicale des détails, couleurs agressives)- au sein du même « tableau musico-narré ».

DEFEVER Thibaud Barjac 2023 ©Anne-Marie Panigada 2Ainsi, d’une écriture fluide et, apparemment, simple, naissent de véritables allégories susceptibles de transformer la vie quotidienne en un effroyable champ de bataille, « Il a suffi d’un mot en l’air, d’une balle perdue, pour qu’on s’inflige un feu d’enfer, une pluie d’obus » (L’artillerie lourde) / « Les flammes dansent dans la nuit, les flammes dansent, c’est joli et je les regarde danser / La maison brûle dans la nuit, la maison brûle, m’éblouit mais je la regarde brûler / Brûle, brûle, brûle bien, brûle, qu’il ne reste rien de la maison d’enfance » (Brûle).

Et ce qui est admirable, chez Thibaud, c’est que, malgré la force et la complexité des écritures musicale et sémantique, tout coule tout cool ! Car ce désormais vieux routier de la scène parvient à se mettre le public dans la poche en 2/2 grâce à sa décontraction naturelle manifeste et à l’imperceptible -mais impeccable- mise en scène de Fred Radix. C’est donc l’air de rien que Defever nous en dit beaucoup sur Nous (« à moins que la terre tremble, à moins que l’on se noie, nous vieillirons ensemble / Car toujours nous revenons à nous. »), sur nos défaites de la pensée qui deviennent de véritables calamités, comme dans Des Oiseaux« Vous parlez d’un ami qui prend souvent la mer. Qui, de jour comme de nuit, peut passer la frontière… Dehors, dans la ville qui tremble, des oiseaux se rassemblent et espèrent » : tout n’est donc pas perdu car, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir…

DEFEVER Portrait 2023 ©AM PanigadaEt tout est à l’avenant dans cette œuvre magistrale qui se présente humblement sous la forme de petites vignettes de la vie courante, à l’intérieur desquelles l’inéluctabilité du temps qui passe peut, parfois, s’autoriser une pause nécessaire et sensible. Mais, sans la posture des poseurs et des causeurs… juste comme ça, juste pour respirer : « Ici, tu peux dormir, te refaire une santé, et retrouver le goût de lire, d’écrire et de flâner… La ville est loin derrière, le sommeil est profond / Ici, tu peux te taire et laisser faire les saisons » (Le temps qu’il faut). Devenu sage, Defever a laissé sa colère s’éteindre pour laisser la vie l’étreindre, sans esbrouffe ni faux-semblants, et transformer le temps qu’il fait en temps qu’il faut…
- Franck HALIMI

 

Thibaud Defever & Le Well Quartet, Le temps qu’il faut – Espace Jean Ferrat – Cour du Château de Barjac (Gard)

Le site de Thibaud Defever, c’est ici. Celui du WellQuartet, là. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Thibaud Defever-Presque oui, ici.

« Des oiseaux », clip 2021 Image de prévisualisation YouTube
« Le temps qu’il faut », session 2020 avec Le Well Quartet Image de prévisualisation YouTube

Une réponse à Barjac 2023, Thibaud Defever, Du temps qu’il fait au temps qu’il faut

  1. Gallet 2 août 2023 à 8 h 10 min

    Impression que Thibaud Defever fait en sorte que nous profitions de chaque mot, chaque note… que nous partagions Ce n’est pas rien !

    Répondre

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