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Lavilliers, pré carré du total déni

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La parution du livre Les Vies liées de Lavilliers (éditions Flammarion) aura eu cette conséquence : il y a désormais et manifestement deux Lavilliers.
L’un qui, preuves à l’appui, vit dans les pages de ce livre, partagé entre des vies qui s’imaginent, s’additionnent, s’entrechoquent et généreusement débordent.
Et l’autre qui, conséquence ou non des révélations du livre, se réfugie dans le dernier pré carré du déni ; qui, plus que jamais, n’est qu’un personnage, un concept. On ne convie plus l’artiste sur les plateaux télé : c’est l’avatar qui s’en vient, fardé d’une légende incontestable au seul titre qu’elle est sa substance même, sa moelle épinière, sa raison d’être.
Quand on interviewe Nanar, on est prié de ne pas rire, de faire semblant de ne pas savoir. De le croire sur parole. « Tout jeune, il a quitté Saint-Étienne, il a quitté la zone. Il est parti pour le Brésil riche de ses seuls rêves. Né trop tard pour être flibustier, il est devenu auteur-compositeur-interprète-voyageur-aventurier-chasseur de tigres… » lit-on encore avec le plus grand sérieux sur la dernière livraison du magazine de voyages A/R-mag (notez que « chasseur de tigres » est une nouveauté dans le cursus déjà agité de Nanar. Ça lui été inspiré par la chanson des Fatals Picards et, depuis, entériné par son numéro de dresseur de tigres au Gala de l’Union des artistes…). Et de toujours questionner Nanar sur sa folle vie, sur son passé aventureux, sur son présent qui doit être pareil (lisez Rolling Stones ou Libé…). Toujours lui faire vivre cette vie, jamais le contredire. C’est à peine le chanteur qui s’en vient mais le frère de lait d’Indiana Jones, le manuel de survie de MacGyver, le Cendrars bien Loti, le coup de crayon de Pratt…, on reçoit une icône, la projection de nos fantasmes, la matérialisation de nos envies. Lavilliers échappe à son humaine condition : il est largement ailleurs, en constante représentation, rivé à ses vies rêvées.
Et chacun de devoir choisir son camp : si on le croit, ou si on fait semblant, il vient, flamboyant aventurier toujours en veine de souvenirs croustillants. Il vient et vit, dans sa bulle à lui et dans la bulle médiatique, toutes deux décalées de toute réalité.
Si on met Lavilliers en doute, il n’existe plus, n’est plus qu’un chanteur sans estomac, ne sachant à quelle existence, quelle histoire se raccrocher. C’est pourtant ce chanteur qui s’est cherché, s’est construit, s’est carapacé une histoire pour y faire naître une œuvre, qui est passionnant. L’autre n’est plus qu’une caricature de lui-même. Un avatar, j’insiste.
« La seule chose un peu sincère / Dans cette histoire de faussaire / Et contre laquelle il ne faut / Peut-être pas s’inscrire en faux » dirait Brassens, c’est le talent du bonhomme, la qualité de l’œuvre qui, certes, parfois (souvent ?) emprunte comme on sait.
Je n’ai pas de leçon à donner à la presse… enfin, si, une. Elle qui meure à petit feu, si elle veut s’en sortir, il lui faut s’extraire de sa bulle stérile, gagner la vie réelle, fuir le consensus du mensonge permanent.
Je prélève bien volontiers la fin d’une superbe chronique de Floreal, consacrée au livre Les Vies liées de Lavilliers, qu’on peut lire sur son site florelanar : « Lorsqu’il faudra écrire un jour l’histoire fournie de la veulerie journalistique, les raisons du silence impressionnant qui a entouré la sortie de ce livre en constitueraient assurément un chapitre éloquent. Raison de plus, peut-être, pour se procurer et lire ce très bon livre. »

Un livre ne reste jamais longtemps en bac et celui-ci n’y échappe pas. Si votre commerce de proximité ne l’a pas, ne l’a plus (comme la plupart des hypermarchés), commandez-le sur internet : pas mal de sites existent, au paiement sécurisé il va de soit ; parfois même ils vous font grâce des frais de port. Il est de votre mission, si toutefois vous l’acceptez, de parler de ce livre, de le faire connaître, de briser ce silence coupable, cette implacable punition qui lui est faite au seul prétexte qu’il existe.

11 Réponses à Lavilliers, pré carré du total déni

  1. Réjanie13 11 mars 2011 à 6 h 55 min

    En lisant cet article, tu m’as donné envie de le lire
    Je viens donc de passer commande ^_^
    Je ne suis pas fan de la vie des personnalités « artistiques » (ou autre d’ailleurs) je me contente d’aimer ou pas ce qu’elles produisent dans la limite que leur vie privée ne « prive » pas de vie ou de liberté autrui, j’estime (à tort ou à raison) que je n’ai pas à aller fouiller ailleurs que dans ce pourquoi ils deviennent célèbres.
    Pour autant, je fais comme tout le monde dans les salles d’attentes diverses et variées, je lis les poubelles médiatiques.
    Pour en revenir à Lavilliers, j’aime sa musique et ses paroles après le bonhomme, je le trouve un peu trop coincé dans ses futal… :) J’espère que ce livre va m’apporter une lumière différente.
    Bonne journée

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  2. joan 11 mars 2011 à 9 h 03 min

    Je suis sûr que même si elle est victime d’une omerta, votre excellente bio continuera à se diffuser par les chemins de traverse.

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  3. cozette 11 mars 2011 à 9 h 19 min

    Il n’y a plus qu’une issue pour ce livre : la mort de l’artiste. Les langues se délieront, les plumes s’affineront, les négationnistes se souviendront ! Patience, Michel !

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  4. Claude Vlerick 11 mars 2011 à 9 h 20 min

    Bientôt 30 ans que Brassens a cassé sa pipe.
    La vraie, pas celle de Magritte, qui – comme chacun sait – n’en est pas une, mais a néanmoins (néant ?) son prix.
    On va en entendre parler – forcément – parce qu’une dépouille, c’est très docile et parfois très rentable…
    De plus, y en a qui sentent déjà le sapin et qui vieillissent mal bien avant de mourir, qui Kollaborent, suicident leur oeuvre en quelque sorte…
    Malgré ce qu’on dit et quoi qu’on en fasse, un cadavre ça ne sort jamais de sa tombe…
    Sauf moi, et je préviens…

    Mais « c’est extra » non ? : qui comprendra ?
    IL N’Y A VRAIMENT PLUS RIEN, PLUS, PLUS RIEN…

    Trente ans…
    Cela veut dire que, selon la loi, des gogos héritiers qui se foutent de son oeuvre ont le droit de passer à la caisse et de rentabiliser quarante ans encore…
    Avant qu’il ne tombe ? qu’il ne grimpe, nom de dieu… (dans notre estime) dans le domaine public, je veux dire qu’il nous fasse l’honneur de nous appartenir à tous, comme il a eu l’honneur de ne pas lui demander sa main…

    J’aimais bien Brassens… Mais sans plus…
    Et puis je constate qu’en vieillissant (moi, bien sûr, lui n’a même plus ce privilège…), comme un vieux cru, il bonifie en moi…
    Je n’avais que peu d’affinité avec sa prose (enfin ses vers) que j’estimais moyen-âgeuse et j’avais un mouvement de recul envers ce que j’estimais son manque de radicalité. Raconter que, pour ne pas être confronté aux flics, il allait jusqu’à traverser dans les clous…

    Et puis ça se décante.
    Je finis par partager résolument son refus de « Mourir pour des idées » et de m’aligner sur aucun des « Deux oncles » (même pas, surtout pas, ceux de l’actualité. Mais qu’est-ce que l’actualité devant l’éternité ?) et de trouver que, comme dit la chanson, les « trompettes de la renommée » sont décidément bien mal embouchées…

    Et c’est là-dedans que je trouve, désormais, une sensation quelque peu authentique de radicalité…

    Claude.

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  5. Philippe 11 mars 2011 à 21 h 51 min

    Bravo, bel article !
    Lavilliers n’est qu’un avatar, bien vu, bonne définition.
    La clique des medias Parisianistes serait-elle un tas de « Larbins » comme dirait Mélanchon !

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  6. Murielle 11 mars 2011 à 23 h 33 min

    M. Kemper ne vous trompez pas de cible. Votre livre je l’ai lu et il m’a fait aimer encore d’avantage l’artiste Lavilliers.
    Maintenant je comprends très bien que lui ne veux pas en faire de la pub… et puis d’ailleurs il n’en a jamais fait pour les autres livres paru sur lui avant le votre.
    Votre livre parle de l’homme Oullion qui a réussi à faire entendre son immense talent pour ma plus grande joie (et celle de beaucoup de monde…).
    Lavilliers lui est un conteur… et il raconte ses vies inventées ou vraies…. qu’importe…
    Il raconte un personnage… il raconte des choses qui deviennent comme une part de nous tous… Personnellement je me fous de savoir s’il a vraiment eu un copain afghan qui a été reconduit à la frontière… Cet afghan c’est un peu le copain que l’on a tous au fond de notre coeur… et quand Lavilliers le chante dans « Exilé » et bien il est notre ami à tous luttant contre la connerie de notre gouvernement.
    C’est pareille pour Betty, pour ce capitaine des sables, pour cette fille la Salsa, pour Bob Marley ou pour les tigres…

    Votre livre va sortir des bacs assurément passé un certain temps mais il a beaucoup d’avenir…. car Lavilliers est un très grand artiste…
    Et cette mise en lumière sur l’oeuvre de ce Bernard Oulion restera aussi longtemps en mémoire que les chansons de Lavilliers.

    C’est un tout petit coup de mains mais j’ai ajouter votre blog en liens sur le mien
    http://d-eau-et-d-ocean.over-blog.fr

    Bon courage à vous
    Murielle

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  7. Philippe 13 mars 2011 à 22 h 32 min

    La Question impossible :
    Si notre Grand Fauve d’Amazone n’avait pas raconté toutes ces Histoires « Abracadabrantesques », serait-il sorti de l’anonymat ?
    Profiterions-nous de son talent ?

    Réponse : Impossible n’est pas « chanson française », Philippe : on peut effectivement se poser cette question, il me semble. J’ose espérer qu’il serait quand même sorti de l’anonymat mais son œuvre eu été tout à fait différente, ses « vies » ayant accouché une grande part de l’œuvre qu’on connaît. MK

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  8. Réjanie13 14 mars 2011 à 5 h 51 min

    Etant donné qu’il a été connu avec cet image on ne peut présumer de quoique ce soit. Mais il a du talent, ça ne fait aucun doute pour moi qu’il aurait fait une belle carrière avec pour seule différence qu’il serait passé au pilori aujourd’hui pour autre chose ..

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  9. brigitte 28 mars 2011 à 20 h 53 min

    D’abord, on écrit MélEnchon, avec un E. Merci ! Et puis, c’est quoi cette nouvelle mode de tout vouloir fouiller, petit menu, et au passage casser les mythes. À vrai dire, on s’en fout un peu que Perret et Lavilliers aient ou n’aient pas croisé Léautaud ou le Che. En tout cas, moi je m’en fous. Ça retire quoi à leurs chansons ? Et au bonheur de les écouter ? Comme il dit Mélenchon, justement, c’est pas le sujet ! Les truites vives de Lorca, elles sont encore plus vives lorsque l’ami Pierrot les enchante, non ? Qui a un jour tenté de ciseler trois lignes sait bien qu’on n’invente rien, jamais. Molière, et La Fontaine, et même Racine, ils ont bien copié sur les voisins aussi. Par les temps qui courent (et ils courent vite, les bougres !) il ne sera pas inutile de réécouter en boucle, de l’un : le Prince passe, et de l’autre, les Mains d’or. Vous verrez, ça vous guérit de bien des votes imbéciles.

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  10. Réjanie13 16 juin 2011 à 0 h 10 min

    Je viens de finir les vies liées de Lavilliers.
    Pas de regret, j’ai adoré le lire. ça m’a aidé à mieux comprendre le personnage.
    Dommage qu’il n’est pas été plus médiatisé, car ce livre le mérite.
    SI tu veux en savoir plus,va lire mon article.

    http://ariko13.wordpress.com/2011/06/16/un-texte-un-auteur-les-vies-liees-de-lavilliers-michel-kemper/

    Bonne soirée

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  11. bellec 4 décembre 2013 à 18 h 02 min

    Je déteste ce type depuis aussi longtemps que j’ai apprécié le chanteur. En 78 (sauf erreur), tandis qu’il commençait tout juste à se faire connaitre avec « San Salvador », un copain de mon frangin, passionné de théâtre, était régisseur bénvole du Palais de la Méditerranée à Nice rien que pour profiter de l’estrade avec sa troupe d’amateurs. Il contacte Lavilliers pour qu’il vienne y chanter. Le Lavilliers « gauche ouvrière ». Qui se met à exiger un cachet important, une suite à l’hôtel Truc, une auto « comme çi », etc, etc… le copain l’a écouté et s’est retenu de lui cracher dessus…
    En 81, concert groupé à Menton: Magma, Gong et Lavilliers au programme. Deux heures de retard, pas de Magma ni de Gong, « tombés en panne ». Et Lavilliers, sans doute excité par la « Riviera », mais que surtout on n’était pas venus voir (on était venus pour Magma et Gong, tiens !) qui se met à nous asséner « Petit bourgeois d’Europe, toute la musique vient d’Afrique.. » l’air de nous prendre pour ce qu’on n’était pas… on l’a viré, il est parti sous des tonnes d’injures. Sale c.. puant, faiseur né. Avec lui, Belem-Manaus en stop en camion se transforme plus tard en  » J’ai été routier deux ans au Brésil »… un vrai clown. J’ai bien rigolé quand j’ai entendu il y a trois mois qu’il s’était pris une rouste dans la rue par un jeune, « la terreur » ! Combien il mesure, déjà ?

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