Barouh d’honneur au château ! [Barjac 2012]
Sauvé dans En scène, Festivals
Tags: Barjac 2012, Nouvelles, Pierre Barouh
C’est un vieil homme qui arrive sur la grande scène, la démarche lente, le dos courbé. Le poids de l’aventure sans doute, de ses voyages, de ses rencontres… Mais il sera dit que Pierre Barouh est comme une fleur séchée qu’on trempe dans un vase : il reprend toutes ses couleurs, revit de toute sa sève, s’y épanouit. Barouh est tout sourire. Et déconcertant. Vrai ou faux, il n’a rien préparé, ne sait pas ce qu’il va chanter, ni nous raconter, laissant le soin à son pianiste d’occasion (Pierre-François Blanchard, pas inconnu du chanteur, loin s’en faut, qui remplace au pied levé son complice habituel) le soin de lui proposer des titres, au hasard, au feeling. Il ne le fera ni de sa Bicyclette ni de son Chabadaba… On peut feuilleter tout le dictionnaire des synonymes qu’on ne saura trouver le mot de circonstance : ce n’est pas un concert, non, ni une soirée musicale, trop peu un récital, pas vraiment un spectacle… C’est comment Barouh ? Simplement un type qui chante, qui nous enchante. Un moment passé avec lui, sans autre prétention. Il fait de la chansonnette, du trois fois rien, que des choses qui, en temps normal, indigneraient Barjac et ses intransigeants. Là, pas. Il est totale séduction, nous sommes sous le charme. Qu’il soit lent n’est pas grave en somme : on l’écoute lentement, puis on l’applaudit frénétiquement. Il nous chante ses souvenirs d’ado, ses émotions d’adulte, avec ce qu’il faut d’histoires et de mélancolie pour nourrir une chanson.
C’est une chanson d’amitié qui frère là, dans ce quartier de la Contrescarpe, où ce Barouh d’heures se montre de temps à autres, quand il n’est pas ailleurs, quelque part dans le monde. Au Brésil notamment, lui « le français le plus brésilien » qui soit, d’où il nous ramène une samba : « Une samba sans tristesse, c’est aimer une femme qui ne serait que belle… » commente-t-il avec délectation. Mélancolie, nostalgie, temps qui coule hémophile…, Barouh égrène sa vie en une prestation profondément humaine, simple, sans effets, sans rien d’extravagant. Il parle en abondance, livrant ses souvenirs. D’un tout autre que lui, on s’épuiserait ; là, on l’écoute, respectueusement, se délectant de son vécu. C’est souvent léger, dansant, frais, toujours frais, avec cette voix qui n’appartient qu’à lui (proche de Ricet Barrier, parfois). C’est sans prétention aucune, des ronds dans l’eau, un p’tit ciné de quartier à Levallois, des trucs de trois notes, une ode à Lily du tabac-journaux de la rue Mouffetard (partagé sur scène avec son copain Eric Guilleton)… vraiment rien que du très banal. Mais ça va, Saravah…
A un moment, il quitte la scène et s’en va dans le public, à sa rencontre, le micro à la main. Il serre des mains, il embrasse, la chansonnette s’épuise. Hors les applaudissements, nombreux et nourris, ne reste que le silence d’un homme parmi la foule. Jofroi, l’organisateur, s’en vient lui suggérer un rappel. Ben non, Barouh a fini et, doucement, lentement, s’en va. C’est là, sans doute, qu’il faut trouver le grand, le très grand moment de ce Barjac 2012. Barouh quittant la cours du château paré du respect de tout le monde, comblé d’amour. Ses p’tites chansons de pas grand’chose sont capables de ça : elles ont un charme indéfinissable. Précieuses donc, au-delà de tout. Et Barouh, je vous le dis, est un chouette type, un grand monsieur.
Pierre Barouh, c’est une sorte de magicien tranquille, il met dans le fil des jours des petites lumières qui font toujours un grand soleil amical. On ne peut pas mieux résumer cet éclaireur expert de l’art des rencontres qu’avec ces mots qu’il cite parfois , et qui sont la profession de foi de Saravah, » enfanter un peu de beauté humaine » , mission réussie pour ce roi du slowbiz. Avec la barque de l’oncle Léon, il a traversé plus de pays que les speedés des TGV et autres fusées des transports, c’est dans les paysages des humains que Barouh a vécu ses rencontres joyeuses, et joueuses, et qu’il en a fait un art de vivre, à la façon de ceux qui voient dans l’étranger un ami qu’on ne connait pas encore.
« Pierrot Pierrot, tu as ton soleil dans le dos, la vie t’a fait des cadeaux… » que tu as très largement partagés et donnés à tous ceux qui rêvent les yeux ouverts et le coeur toujours battant, pour quelque passante belle comme une samba Saravah…
Hasta luego compañero.
Post scriptum: il y a quelques mois Pierre Barouh a publié « Les rivières souterraines » (et l’effet Pollen) s’il y eût jamais un livre qui ressemble à son auteur, c’est bien celui-là. Autant dans le fond que la forme, chez un éditeur pile poil dans l’esprit Saravah, « A vos pages ».
http://www.avospages.com
C’est un livre qu’on peut lire à l’endroit, à l’envers, au milieu, et même en commençant par le début, c’est une belle et tendre ballade de papillon curieux, étincelant d’éclats de rêves, et de vie.
J’aime beaucoup le portrait que vous brossez de ce personnage tellement hors normes, hors des circuits traditionnels, qui fonctionne à l’affectif, qui sait nous donner en partage ses émotions encrées le plus souvent dans un quotidien intemporel…
Bravo aussi au portraits photo qui donnent une réelle idée de ce regard doux et affectueux qu’il pose sur les gens.
Chris Land
Bon, j’étais pas peu fier du titre de mon article et, l’ayant essayé à Barjac même, résolu de l’adopter. En me doutant quand même qu’un titre aussi facile que « Barouh d’honneur » avait déjà dû être fait mille et mille fois. Tiens, hier, machinalement je feuillette un vieux numéro de Chorus, le 4, de l’été 1993, avec Thiéfaine en couverture… Page 64, sous la plume de François-Régis Barbry, un papier sur le festival « Alors… chante » : « Barouh d’honneur à Montauban » ! Barbry et Chorus venaient de me piquer mon titre !!! Décidément, on ne peut plus se fier à personne.
Cet article est un très bel hommage à un homme libre qui nous a montré bien des horizons et procuré de superbes émotions !
Merci