Albin aux Bouffes du Nord : en voiture Simone !
Albin de la Simone en concert (photos d’archives Athos99)
Pour ceux et celles d’entre vous qui n’auraient pas la chance de connaitre cet endroit extraordinaire, sachez que rien ne laisse imaginer depuis la rue que cette façade haussmannienne des plus banales, coincée entre deux épiceries tamoules (miamm…), dissimule un tel petit bijou aux pierres patinées par le temps, une fantastique salle de 500 places, cathédrale élisabethaine païenne tout en hauteur, aux murs écaillés et aux boiseries cérusées, laissée quasi en l’état dans les années 1970 lorsque Peter Brook la redécouvrit et décida de lui redonner vie après ses folles années du XIXème siècle.
Les spectateurs perchés dans les hauteurs comme autant de mousses dans la mâture craquante d’un vieux gréement bénéficient d’une fantastique vue plongeante sur l’immense plateau, au centre duquel Albin de la Simone, seul au clavier de son Wurlitzer vintage ouvre la soirée en distillant de charmantes bluettes de sa voix un peu monocorde, mais pleine de charme et de malice. Auteur, arrangeur et accompagnateur de nombres d’artistes forts doués (Keren Ann, Souchon, Arthur H., Vanessa Paradis, Mathieu Boogaerts…), ce dandy désabusé et minimaliste joue ce soir dans une formule osée, mais parfaitement adaptée à la fabuleuse acoustique du lieu : la sonorisation est minimale, juste la voix et le clavier sont repiquées discrètement, et restitués par une unique enceinte située en fond de scène et servant également de retour.
Les autres claviers occasionnels, les cordes et les chœurs sont totalement acoustiques et l’on a, des hauteurs de la salle, l’impression extraordinaire qu’ils ne jouent que pour nous. Jugez plutôt : le moindre petit claquement de doigts, la moindre petite note de guimbarde s’envole gracilement jusqu’au paradis tel un papillon ivre…
Avec trois fois rien, quelques mots, quelques notes, une boucle de loops, Albin de la Simone parvient à établir une connivence tendre avec la salle, consciente de vivre là quelque chose de l’ordre de l’instant privilégié et de l’émotion folle, comme seul le spectacle vivant peut nous offrir parfois.
Sur une émouvante ambiance de thérémine aquatique, la petite section de cordes fait son entrée, composée des talentueuses Maëva Le Berre (violoncelle) et Anne Gouverneur (violon, clavier), déjà sur scène, elle, la veille aux côtés de Franck Monnet au Café de la Danse. Paris est tout petit…
L’éclairage et la lumière ne sont pas en reste, témoin cette belle histoire de pendus chantée dans une obscurité quasi totale, le visage seul d’Albin émergeant faiblement tel une apparition fantasmagorique : l’effet est saisissant, l’appel aux sens total, et l’écoute bouleversante et incroyable de tension partagée de la part de la salle…
Quelques pitreries façon Tati (Jacques, hein, pas l’autre), et nous avons droit à une très belle reprise de Miossec, « La Fidélité« , avant que celui-ci, assis dans le public comme les autres invités, ne rejoigne le centre de cette arène antique pour interpréter « J’étais içi hier« , seul et l’anti-sèche à la main, cette dernière remarque uniquement dans le but pervers de relancer içi un petit débat qui vous est familier , EnLecteurs bien aimés…
Un Miossec chapeauté, un peu gauche et emprunté, tel qu’on l’aime, quoi, avec ses belles éraflures.
S’ensuit un beau duo en piano-voix Albin / Camélia Jordana, laquelle apporte au titre « La première femme de ma vie » le grain joli de sa belle voix mate et chaude, puis un moment de bel échange avec le public, invité sur « J’ai changé » à siffloter le refrain et à moduler, avec succès, d’un demi-ton sur une simple mimique du visage du chanteur…
Changement de « non-décor » à vue ensuite, les pupitres des cordes disparaissent, le fond de scène rouge sang-de-bœuf s’illumine, la large voute sortant de la pénombre pour évoquer au choix un Alhambra parisien ou la cour du Palais des Papes. Un majestueux piano à queue fait son apparition comme par prestidigitation.
Au clavier, rien de moins qu’Alexandre Tharaud lui-même, en chair et en notes…
Instant de grâce suspendue, suivi dans la foulée par l’entrée nonchalante d’un machiniste lunaire nommé Vincent Delerm, lequel s’active, moderne Buster Keaton, à réinstaller les chaises et les pupitres des musiciennes, de retour sur le plateau.
Une version impeccable de « Elle aime » plus tard, place à la grande Sarah Murcia et à sa contrebasse de contrebande, pour un bel hommage bashunguesque, version iconoclaste et décalée de « Vertige de l’amour » tout en cordes amoureuses et en clusters martelés au piano. Vertiges dans la salle.
Pas le temps de se remettre de ses émotions que Lou Doillon vient nous offrir sa version de l’immortel « Fade to grey » du groupe Visage (souvenez-vous…), parties en anglais pour elle, parties en français pour lui. Un grand moment !
Mais déjà le ciel blanchit, esprits je vous remercie de m’avoir lu jusqu’ici, apprenez encore que le tour de chant s’est clôturé sur une reprise plutôt inattendue de « Quoi ma gueule ? » de qui-vous-savez. Si, si.
Une soirée véritablement inoubliable, une vraie magie imagée d’imaginaire.
Et en prime ci-dessous, pour vous consoler de n’y avoir point été, un petit mot spécialement pour vous, chers EnLecteurs :
Pas de site d’Albin de la Simone : il est actuellement en (re)construction.
Merci pour le compte-rendu de ce beau concert.
J’imagine en lisant l’article que c’était bien. J’ai découvert Albin de la Simone avec son dernier album « Un homme », un homme qui a longtemps travaillé dans l’ombre des autres et, riche de ses expériences, donne enfin le meilleur de lui même avec sobriété, sincérité et raffinement.
Chère Danièle, vous imaginez bien..!
Oh là, là …grand article vraiment !!! Un régal de lire et de s’émouvoir…