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Des livres chanson, mais toujours les mêmes

Une bibliothèque chanson idéale hélas à conjuguer au passé (photo Michel Kemper)

Une bibliothèque chanson idéale hélas à conjuguer au passé (photo Michel Kemper)

Sortent ces jours-ci en librairie un vingt-huitième (au moins) livre sur Jean-Jacques Goldman (1), ainsi qu’un dix-neuvième et un vingtième livres sur Daniel Balavoine (2). Sans nullement mettre en doute l’intérêt de ces artistes, sans nullement préjuger de la qualité ou non de ces ouvrages avant de les avoir lus (nous chroniquerons bientôt ces deux Balavoine), je ne peux m’empêcher de m’interroger sur une telle profusion de livres.

Séparons d’abord le bon grain de l’ivraie. S’il existe des livres exemplaires, passionnants, documentés, avec une vraie patte littéraire, il est aussi possible de torcher une bio sans beaucoup travailler le sujet, en copiant un peu beaucoup par-dessus l’épaule du voisin (ah ! l’art du copié-collé !), sans forcément vérifier les informations, sans se relire. J’en ai lu parfois des bios édifiantes qui ne reposent que sur de maigres arguments : que fait tel chanteur de tout son argent, les infidélités conjugales d’un autre, de supposées menaces de mort sur l’artiste pour mieux aider à vendre son nouvel album… (oui, il existe des gens pour écrire ça ; oui, on coupe des arbres pour imprimer ça). Ou, à l’inverse, prendre le temps de faire un vrai travail d’investigation, de recherches. Je sais qu’on peut prendre des éclairages différents, d’autres angles, d’autres entrées (nombre d’ouvrages sur Ferré et sur Brassens sont à ce titre exemplaires).

En sachant toutefois que l’artiste biographié n’a théoriquement qu’une seule vie à vous proposer : les bios sur lui forcément se ressemblent, un peu, beaucoup… Quel est donc l’intérêt de toujours labourer les mêmes sillons ? Et pas d’autres ?

Grosso modo, une bonne trentaine d’artistes sont « biographables », au sens que des éditeurs accepteront de miser sur eux. Toujours les mêmes, même si chacun d’entre eux compte déjà pas mal de titres sur lui (au moins une quinzaine pour Cabrel, une vingtaine sur Gainsbourg, autant pour Sardou, bien une cinquantaine sinon plus pour Renaud, un peu plus de trente pour Brel, pas loin de cent sur le seul Brassens, plus de cinquante sur Léo Ferré et je ne parle pas d’Hallyday, recordman absolu !). Mais seulement trois, à ma connaissance, sur Anne Sylvestre, un seul sur Graeme Allwright ! Si seuls 20 à 40 % des livres publiés (tous genres confondus) dans l’Hexagone sont rentables, il n’est par contre pas question d’y perdre le moindre euro pour un artiste de variétés : la prise de risque inhérente à ce métier, le fameux « courage éditorial », ne semble pas s’appliquer dès qu’il s’agit de chansonnette.

Un gros éditeur, qui attend de moi un nouveau tapuscrit, me demande sur quel auteur j’aimerais travailler. « Euh, Yves Jamait… » « C’est qui ? » me répond-t-il. Un projet existe actuellement d’une intégrale des textes de Michèle Bernard, un gros bouquin d’un millier de pages. Mais pour l’heure sans éditeur. Qui oserait encore un tel projet sur une chanteuse (une des plus grandes, vous ne me l’ôterez pas de l’idée) qui n’a jamais été invitée chez Drucker ?

Quand un de mes estimés confrères a voulu publier un bouquin reprenant ses chroniques sur la chanson (avec pléthore d’artistes dedans), il a dû l’autoproduire (avec grand succès d’ailleurs), son éditeur habituel, chez qui il venait de publier un Brel et s’apprêtait à publier un Goldman (deux gros « clients » soit-dit en passant) n’a pas eu cette audace : il a eu tort.

Une auteure à la production remarquable s’est vu retoquer un tapuscrit sur Catherine Sauvage, cause à ce que plus personne ne saurait encore qui est Sauvage…

Pour avoir fait et refait dans tous les sens le tour des chanteurs « biographables », certains éditeurs se tournent à présent vers des plus jeunes qui se taillent un notable succès : Orelsan (un livre est annoncé pour début 2021), Gims, Louane (ah, ça c’est déjà fait !), Jul, Black M, Amir… Les éditeurs savent-ils au moins que les fans de ces idoles ne lisent jamais, que du reste ils ne savent pas lire, pas au-delà des 110 mots les plus usuels ? Pour les convaincre il faudrait des albums à colorier à l’effigie de leurs idoles avec des stickers offerts dedans.

Pour accepter ou non un projet de biographie, les éditeurs se renseignent sur le chiffre de vente du précédent livre sur l’artiste. Si par accident, parce qu’il est était nul (ça arrive…), par mauvaise distribution (c’est hélas fréquent) ou que sais-je encore, le précédent s’est mal vendu, alors c’est foutu à tout jamais.

Ajouté à cela la crise du Covid qui a ajourné ou tout simplement supprimé nombre de projets, ces librairies fermées car non essentielles et rayons livres proscrits des grandes surfaces, nous sommes mal barrés. Ne nous reste qu’à encourager, plébisciter au besoin, les livres autoproduits (bien souvent par le biais d’un financement participatif – chez nos lecteurs québécois, c’est un sociofinancement) : c’est désormais la seule et unique solution pour que des livres a priori de grand intérêt, qu’on sait par avance à lectorat modeste, puissent encore exister. Faites-le, il en va de la mémoire, passée présente et à venir, de la chanson !

 

L’auteur de cet article publie lui-même une partie de ses livres en autoproduction. Les livres concernés sont ici.

(1) « Goldman, l’intégrale. L’histoire de tous ses disques » par Daniel Pantchenko, E/P/A octobre 2020. 29,95 €

(2) Valérie Alamo et Stéphane Deschamps « Daniel Balavoine, l’enfant caché du rock » par Valérie Alamo et Stéphane Deschamps, Hors Collection novembre 2020, 29 € ; « Daniel Balavoine, une homme vrai » par François Alquier, Pygmalion novembre 2020, 18,90 €. Nous chroniquerons prochainement ces deux livres sur NosEnchanteurs.

 

LES 1000 CHANSONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Les-1000-chansons-preferees-des-Francais« Ils aiment la chanson, on leur offre ça ils seront contents ! » Et c’est comme ça que, d’année en année, on entasse dans un placard, au grenier, de prétendus « beaux livres » sur la chanson, après les avoir vaguement survolés, juste le temps de constater leur vacuité, leur inutilité. Voici Les 1000 chansons préférées des Français » de Thomas Pawlowski, directeur délégué de RFM (une référence !), un livre qui est plus fait pour offrir que pour lire, pour capter une part du budget cadeau des fêtes de fin d’année. 1000 chansons « préférées », sur un panel proposé de 3500. Mais qui a fait ce panel, à partir de quoi ? Pas en lisant les pages expertes de NosEnchanteurs, ça se saurait : nous n’avons quasiment rien à partager avec ce prétendu panel plus commercial qu’artistique, un truc ni fait ni à faire, aux commentaires convenus, à la mise en pages confuse et, pour tout dire, laide. La chanson est bien plus large que ce ridicule panel : encore une fois on nous prend pour des imbéciles en ne retenant que la partie émergée, médiatique (5 % tout au plus) de la chanson. Toujours les mêmes ! C’est une preuve d’inculture de la part de l’auteur, c’est une forme de mépris pour l’ensemble de la chanson et de ses amateurs. A n’offrir qu’à ses beaux-parents, si on les déteste. MK

Editions Glénat, 372 pages, 39,95 euros

6 Réponses à Des livres chanson, mais toujours les mêmes

  1. Pascal Descazaux 19 novembre 2020 à 22 h 57 min

    Bonjour
    si vous voulez découvrir le livre d’un chanteur inconnu pour changer, pourquoi pas le mien?

    Cordialement

    https://editions-sydney-laurent.fr/livre/1978-2018-40-ans-et-100-chansons/

    Répondre
  2. Robert Gomin 20 novembre 2020 à 12 h 54 min

    Toujours aussi pertinents et impertinents tes articles…
    Dommage qu’il ne touche pas le grand public… mais prendrait il le temps de te lire ?

    Répondre
  3. Erwan 21 novembre 2020 à 12 h 50 min

    Un livre sur Catherine Sauvage ??
    EN-FIN !!!!!! Il serait grand temps !!
    Je suis impatient.

    Répondre
  4. Luguern Joël 21 novembre 2020 à 16 h 29 min

    Grâces soient rendues aux éditions Jacques Flament pour avoir, sans la moindre hésitation, publié « Pierre Barouh, l’éternel errant » ma biographie de l’auteur de « La biclyclette » et du célébrissime « Chabadabada », du découvreur de tant d’artistes au sein de son label Saravah et de l’acteur qui joua dans nombre de fims devenus cultes: « Une fille et des fusils, La dérive, Un homme et une femme, Les naufragés de l’île de
    la tortue », etc, etc.
    Et un grand merci aussi à Michel Kemper pour avoir écrit tout le bien qu’il pensait de cette biographie dans Nosenchanteurs du 1er juillet 2014.
    Ah ! Si tous les éditeurs osaient prendre les mêmes risques que « Jacques Flament Alternative Editoriale », et si tous les journalistes lisaient aussi attentivement que M. Kemper les livres dont ils font une chronique…, les auteurs auraient beaucoup de chance…

    Répondre
  5. Pierre Pecquenard 22 novembre 2020 à 15 h 25 min

    Bonjour,

    Si je partage le propos général de cet article, je trouve que les termes employés pour désigner les fans de Gims ou autres Louane sont d’une grande violence dans le mépris et d’une grosse épaisseur dans la condescendance.
    Est-ce qu’aimer Brassens nous prémunis de la connerie et aimer Kendji nous assigne à la bêtise et l’illettrisme ? Pas convaincu !
    Cordialement.
    Pierre

    Répondre
    • Michel Kemper 22 novembre 2020 à 20 h 03 min

      J’ai du mal à concevoir un papier d’humeur sans une once d’humour. Oui, certains propos ont le trait d’une caricature et je le revendique sans mal. Bien sûr qu’on peut trouver des gens cultivés chez les amateurs de Kendji ou de Gims. Et, à l’inverse, des cons finis chez ceux de Brassens ou de Ferré. On peut trouver aussi des éditeurs qui, je ne sais pas pourquoi, vont sortir un livre chanson bien plus difficile, à grand risque. On trouve de tout, de partout.

      Répondre

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