Laurent Berger : aux mondes bien réels

Laurent Berger (photo Martine Fargeix)
C’est une eau berçante qui nous accueille dans ces mondes irréels, bien loin d’univers de science-fiction : de « ces beautés partielles / Qui font nos crépuscules » en « vérités crues / Superbes et naïves », les mots du premier titre de cet album nous parlent d’emblée à l’âme sans secret.
Les mots ne sont pas seuls : voilà que guitare joue à leur faire symétriquement écho. Ce sixième disque, Laurent Berger l’a composé confiné, seul, à l’aide « d’instruments virtuels de qualité ». Cela s’en sent-il ? Oui. Les arrangements sont soigneusement confectionnés, sur un mélange d’inédits et d’écrits (Il y a des arbres, L’Enfant-vague, … sortis en 2020 dans Chansons d’instant), soulignant les mots, rythmant ce qu’il reste à rythmer dans des textes « qui tiennent tout seuls ». « Je les travaille en les disant, avant même de les mettre en musique », dit-il ainsi en entretien.
Mais fallait-il qu’il le précise. Tout y est cousu serré, quel que soit le thème, du plus universel au plus délicat : marquante Prisons de femmes, chanson-tableaux qui en quelques couplets fait l’inventaire des violences vécues par les femmes. Les mots y sont crus, vrais ; l’amorce étonnante : « Mais la main baladeuse / Au cul de la serveuse / À votre avis des deux / Qui baissera les yeux ».
Le réel n’est jamais très loin derrière ces petites histoires, il suffit de prêter l’oreille au ressac de L’Enfant-vague, par exemple, pour le cueillir. Mais en caresse. Dans l’embrasse : tout dans cet album au rythme souvent ternaire, comme un balancement marin gianmariatestien, est délicat et sincère – « On laisse toujours derrière soi / Quelques souvenirs quelques traces / Que le temps peu à peu efface/Je n’ai pas l’orgueil des rois » (Le Chemin du retour).
Tour de force également que de jouer avec le feu du tout cuit (l’amour et la mer, l’homme et la mer, la femme à marée) sans s’y brûler : Il y a tant d’îles en elle où femme et mer vont de concert est aussi précieuse dans sa langue (« D’aucuns racontent que… N’en croyez rien de rien ») que précieuse à l’oreille.
Les plus précieuses sont peut-être les plus curieuses, d’ailleurs : lorsque la tristesse se transforme en cadeau (Tu pleurais dans mes bras), lorsque des châteaux d’eau se font intrigants (Les Châteaux d’eau). Ou bien est-ce l’effet de la mélodie ? L’album s’achève sur la vibration et les pincements des guitares, laissant résonner en nous longtemps son drôle de refrain qui couplette : « Puisqu’il faut bien que ça se fasse / Puisqu’il faut bien que l’on s’efface »…
Laurent Berger, Aux mondes irréels, éditions Tohu-Bohu, 2024. Le site de Laurent Berger, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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