Lavilliers au Boxing-Club : célébration d’un pieux mensonge
24 septembre 2024, Boxing-Club Le Soleil à Saint-Étienne,
« Au quartier du soleil, quand j’apprenais la boxe / Pour secouer les grilles de l’avenir branlant… » (1) Nous sommes à Saint-Étienne, pas loin du Zénith où il se produira dans quelques jours avec l’Orchestre national de Lyon.
Plusieurs fois reporté, l’événement était d’importance pour les dirigeants du Boxing Club du Soleil : la venue de son parrain autoproclamé, Bernard Lavilliers, éclairage médiatique sans précédent pour un club qui, bon an mal an, brille aux palmarès régionaux et régulièrement produit des champions d’envergure nationale.
Cet été, un nouveau ring a été installé à l’étage, offert par le natif de la ville devenu star de la chanson. Et qui dit à qui veut le croire, le chante désormais, qu’enfant il a débuté la boxe dans ce club (2). C’était il y a environ soixante ans. Le temps a passé, la mémoire s’est estompée, aucun témoin de l’époque n’est bien sûr présent, les archives du club ont disparu et ni le chanteur ni personne n’a pu exhiber la moindre médaille ou coupe. A-t-on déjà vu un ancien boxeur dépourvu de tels trophées ? Pas non plus de photos de l’époque ou de coupures de presse qui pourraient couper court au doute.
La salle où trône le ring tout beau tout neuf a été baptisée « salle Bernard-Lavilliers ». Dans son compte-rendu, le journaliste local se fait lyrique : « Le chanteur est fier de retrouver l’endroit où il a donné ses premiers uppercuts, à une époque où le bandit joyeux se rêvait sans doute déjà large d’épaules ». Sait-il d’ailleurs que ce « bandit joyeux large d’épaules » est un indélicat emprunt à Victor Hugo, un plagiat ? (3) Peu importe : la presse d’aujourd’hui valide sans nullement chercher à vérifier, le mensonge s’érige en vérité que nul ne peut contester. Notons cependant que d’un « où il affirme avoir appris la boxe », ce journaliste-là montre qu’il n’est pas tout à fait naïf. C’est rare.
Dans le livre Les Vies liées de Lavilliers (Flammarion 2010), le doute s’insinuait déjà quant à ce prétendu apprentissage de la boxe. S’il avait été membre du Boxing-Club, on devrait retrouver trace de sa licence : or, au moins à ma demande, la Fédération Française de Boxe a fouillé ses propres archives et ne trouve pas trace du nom de Bernard Oulion. Thierry Ardisson l’avait interrogé à ce sujet lors de l’une de ses émissions (4) : Lavilliers lui avait répondu qu’il s’y était inscrit sous un pseudonyme. Comme si, gamin, on se paraît d’un pseudo, avec ou sans l’accord de son paternel.
Nul doute que les dirigeants du club ont aussi cherché à vérifier les dires de leur présumé champion. En vain. C’est donc un marché de dupes auquel on assiste : je t’offre mon image et tu valides sans sourciller cette part de ma légende.
« Frappe du gauche frappe des mains / Avance toujours avance […] Rentre ta tête ton crochet droit / Avance toujours avance » (15e Round – Bernard Lavilliers, 1977). Lavilliers se targuera souvent d’avoir été boxeur semi-professionnel. Il a dit aussi avoir été boxeur professionnel, selon la crédulité de son interlocuteur du moment. Sans, là encore, qu’on ne trouve trace de ce passé : Lavilliers serait bien le seul boxeur sans trophée, sans photos, sans rien ! A un journaliste du quotidien L’Équipe qui le questionnait sur son passé de boxeur, il avait prudemment répondu avoir boxé pour de l’argent… en Amérique latine. Invérifiable alors que le moindre combat sur le sol français l’est : les archives de L’Équipe sont, elles, bien tenues, n’en doutons pas.
Dans le livre Les Vies liées de Lavilliers, j’écrivais : « Dans notre inconscient, la boxe renforce l’idée de vouloir s’en sortir, de se battre pour gagner, ce dans des mises en scène, des mises en ring, aux règles admises et respectées qui tranchent singulièrement avec les rixes de la vie, de la rue, ces castagnes où la seule loi qui vaille est celle du plus fort. C’est aussi, au-delà de l’image de la sueur et du sang, l’idée de payer de son corps pour s’en sortir. C’est enfin l’association de la chanson et du noble art, c’est Édith et Marcel en un seul et unique bonhomme, pour le prix d’un seul. »
Le Boxing-Club stéphanois, aveuglé sans doute par l’aura de Lavilliers et de son « soleil énorme », vient de lui offrir la légitimité d’un pieux mensonge. Levons notre verre : ça s’arrose !
(1) Je tiens d’elle, en duo avec Terrenoire. Sur l’album « Sous un soleil énorme » 2021.
(2) Paroles et Musique n°11, juin 1981, propos recueillis par Jacques Erwan. François Bensignor rapporte, quant à lui, que Bernard a « pratiqué [la boxe] suffisamment sérieusement pour faire des matchs de championnat de France (Top-Stars spécial Lavilliers, 1986).
(3)« Nous sommes deux drôles / Aux larges épaules / De joyeux bandits / Sachant rire et battre… » Victor Hugo, 1847.
(3) À un Thierry Ardisson qui lui pose frontalement la question, arguant du fait qu’on ne trouve pas trace d’un boxeur nommé Oulion, Lavilliers répond, visiblement gêné : « Je ne m’appelais pas comme ça » (Salut les terriens ! Canal +, 24 janvier 2015).
Au tapis, le papy !!!