Lucas Rocher, artiste ou VRP ?

Lucas Rocher (photo non créditée)
Pour avoir chroniqué Lucas Rocher en scène il y a quelques mois, ce disque tout beau tout neuf ne nous est pas franchement une surprise : il avait été enregistré en public quelques temps auparavant. Si ce n’est un duo aussi inédit que drôle avec Emmanuel Urbanet (des Joyeux Urbains et des Wriggles) sur leur notoriété respective, la tracklist est semblable. Saluez notre constance : nous avions adoré ce concert, nous adorons ce disque. Même Télérama dis-donc, on se sent moins seuls : si maintenant le guide officiel de la culture mainstream se met aussi à chroniquer des Chanteurs confidentiels, nous risquons de perdre notre raison d’être.
Ce n’est certes pas le premier album de ce Rocher-là qui, comme Sisyphe, est à re-présenter et à re-défendre chaque fois : s’il accède un jour à la juste notoriété, nous n’y serons pas pour rien.
Rocher n’avait pas gravé dans le laser depuis cet album en deux parties, Restons couchés, l’un en 2015, l’autre quelques mois après. C’est dire si nous attendions, sans jamais voir venir. Cet impertinent du spectacle se rattrape bien.
Ici, donc, Rocher se donne en public. En formule « premium », avec publicité : si t’es pas content fallait payer plus. D’abord il se présente, cherche à se définir : « Salut ma belle et fidèle clientèle / Prends-toi mon grand sourire / Et mes bonnes nouvelles / Artiste ou VRP ? » Par là même, tout en débitant plus vite encore qu’une mitrailleuse nord-coréenne face à un char ukrainien, Rocher fait intéressante auto-analyse de ce qu’est un chanteur en notre époque, qui ne dit plus musique mais contenu, qu’on jauge au nombre de vues qui est tant « auteur, monteur, chanteur, streameur, acteur, youtubeur, chroniqueur, promoteur, performeur, podcasteur, community manager » : « J’crois qu’au départ / On faisait juste des chansons ».
Quel que soit le sujet, même dans l’intime ou la mélancolie, l’algorithme, la tendresse ou les relations humaines parfois grinçantes, façon langues de vipères, les chansons de Lucas Rocher sont comme des scans, qui auscultent les mots et ce qu’il y a dedans, dessous. Les mots ? Les chansons de Lucas Rocher sont bavardes, mais jamais pour rien. A lui seul, il rattrape, répare et comble le vide sidéral de la chanson d’aujourd’hui. Chaque fois le public en a pour son argent et mérite la pub d’après. Chaque fois d’impeccables et implacables démonstrations. Un peu comme l’art narratif de Volo, dont l’air de famille est patent, pas pour rien d’ailleurs que Frédéric Volovitch signe deux des titres.
Seul en guitares-voix, Rocher occupe tout l’espace, tant et si bien que jamais on ne se rend compte de sa presta en solitaire. Faut dire que rien que sa voix, bien sculptée, est déjà mélodie, faite de pleins et déliés.
Convaincus ? Essayez Rocher, c’est du stable, du solide. Un des meilleurs disques de ce début d’année. Y’a pas de raison qu’il se dévalue au fil d’émois.
Lucas Rocher, Premium, Bleu Pinces Productions/Kuroneko 2024. Le facebook de Lucas Rocher, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Bien d’accord avec Michel ! Il y en a qui investissent dans la pierre, moi j’investis dans le Lucas. Euh… Le Rocher. Sinon ça marche pas. La blague.
Pour une fois, Nicolas, t’es pas sale as ! encore que ! Amitiés.