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Retour sur le VIXI Tour 2015 d’Hubert-Félix Thiéfaine

12347854_10206919133488766_4801691052573314512_nPetit retour sur « les acrobaties verbales » d’un Thiéfaine qui, entre deux tournées, « se terre pour se taire » comme pour mieux faire renaître à chaque fois « son double pervers qui joue dans un groupe de rock ». Chaque nouvel album, chaque tournée, c’est toujours un événement que l’on attend avec impatience. Quand on tombe dans l’univers Thiéfaine à l’adolescence on ne s’en sort pas vraiment… « On est pas sérieux quand on a 17 ans », mais c’est finalement assez rassurant quand trois décennies plus tard, on se retrouve au milieu d’un public de tous âges, toujours présent, toujours amoureux de la poésie et du Rock‘n Roll.  Rock and roll, c’est bien la tonalité de ce «VIXI tour » porté par des musiciens de choix.  Alice Botté partage le lead guitare avec de Lucas Thiéfaine, qui non seulement a pris une part importante dans la l’arrangement et la production du dernier album Stratégie de l’inespoir (Grand Prix 2015 de l’Académie Charles Cros​ dans la catégorie « Chanson ») mais est devenu, à 22 ans, un guitariste confirmé qui donne sur scène une énergie impressionnante et une qualité d’exécution dont papa peut être très fier. Christopher Board aux claviers et Bruce Cherbit à la batterie faisaient déjà partie de la fine équipe pour le Scandale mélancolique tour  en 2006. Marc Périer à la basse pour sa part avait rejoint la bande à l’occasion de l’Homo plebis ultimae tour en 2011. Voilà une belle alchimie musicale qui nous aura enchanté au cours de cette tournée 2015 qui se prolonge au printemps 2016.

1622709_10206919133168758_2125690142721922635_nC’est à la Maison de la poésie de Paris, en juin, que nous avons eu la chance,  pour NosEnchanteurs, d’assister à notre premier concert de la tournée. Ce concert venait ponctuer deux jours de colloque sur la poésie de Thiéfaine. Un événement incroyable et inattendu pour les aficionados qui suivent l’animal bipède à station verticale depuis toujours. Les intervenants, tous passionnés par la richesse et la sensibilité de l’oeuvre de l’artiste, ont animé ces deux jours par leur éclairage personnel, sans pour autant sombrer dans ce que nous redoutions, l’analyse « intello », suffisante et indigeste qui tient plus souvent de la dissection stupide et de l’exégèse stérile que d’un partage généreux et humble. C’est au contraire avec grande finesse que chacun d’entre eux a pu se faire l’écho de « son Thiéfaine ». Faire une analyse de texte en prétendant détenir la vérité de Thiéfaine aurait été une ineptie totale. Thiéfaine, de notre point de vue, est tout sauf un porte drapeau d’une quelconque idéologie, un leader d’opinion. Sa poésie est libre. Elle pourfend les dogmes, les sectarismes religieux. Il confie lui même son admiration personnelle pour l’oeuvre de Leo Ferré qui s’y connaissait en la matière. Si l’oeuvre de Thiéfaine est nourrie de références littéraires et culturelles que l’on peut décrypter ça et là, à sa guise, elle reste un formidable creuset de sensibilité et d’émotion, mais aussi d’humour noir où chacun peut s’y retrouver simplement. C’est peut être « simplement » ça la chanson de Thiéfaine. Du sens bien sur, mais de beaucoup de sensibilité d’émotion et d’onirisme. La vie, la mort, l’amour.

On retiendra, entre autres, de ce colloque, la très belle et trop courte intervention d’Isabelle Guilloteau, (« Les figures féminines dans l’univers d’HFT, balises de l’homme en mutations »). Isabelle Guilloteau, qui dans son quotidien de professeur de Français, fait découvrir l’œuvre de Thiefaine à ses élèves de premières L. Petits veinards de lycéens…

12366470_10206919142528992_144214652485331959_nL’essentiel des interventions de ce colloque sur la poésie de Thiéfaine devrait être publié, on attend avec impatience. On ne manquera de vous en parler sur NosEnchanteurs le moment venu. Thiéfaine n’a pas souhaité assister lui même aux différents débats, sans doute un peu par pudeur, et surtout parce que l’essentiel est sûrement de livrer son écriture, sa musique au travers de ses albums et de ses concerts au public, qui en fera ce que bon lui semble. C’est avec ce concert dans une petite  salle de spectacle  intime de la maison de la poésie qu’il remerciera une poignée de privilégiés dont nous faisions partie. La setlist aura été modifiée en circonstance avec des titres comme  Affaire Rimbaud, Syndrome albatros, Petit matin 4.10 heure d’été, Libido moriendi, Compartiment C voiture 293 (Edward Hopper 1938), Je t’en remets au vent, Des adieux  et Les dingues et les paumés qui « Piétiennent dans la boue les dernières fleurs du mal et qui  ont cru s´enivrer des chants de Maldoror ». Autant d’hommages de l’artiste aux poètes qu’il admire, Rimbaud, Baudelaire, Lautréamont, Sénèque… Ce soir là, il nous prévient, « pas d ‘Alligator 427, les murs ne pourraient pas supporter » Il faut dire que le titre est joué en version très rock n’roll dans ce VIXI Tour. Par chance, une captation audio de ces versions acoustiques de la maison de la poésie est disponible dans une réédition augmentée du dernier album Stratégie de l’inespoir ça vaut le détour croyez moi.

C’est en Octobre au Palais des sports de Paris que nous avons repris place sur « Nyctalopus Airline » pour de nouvelles turbulences scéniques du VIXI Tour. Nous voilà embarqué pour un concert très rock à la set-list finement concoctée de titres du dernier album mais qui va aussi chercher dans presque toute la discographie. C’est un enchaînement de 25 titres, qui s’ouvre sur En remontant le fleuve, un beau crescendo musical qui plonge la scène dans une ambiance d’un bleu profond. Mais du dernier album, Thiéfaine choisira aussi Amour désaffecté, Médiocratie, Fenêtre sur désert, stratégie de l’inespoir, Résilience zero, Angelus qui sera introduite par quelques vers en latin «angelus domini nuntiavit mariae et concepit de spiritu sancto » (L’ange du Seigneur apporta l’annonce à Marie Et elle conçut du Saint-Esprit…). Karaganda (camp 99) est un moment fort du concert, baigné dans une ambiance rouge sang Thiefaine lance un vers empreinte à un poète polonais « nous t’attendons peste rouge, pour nous délivrer de la peste brune » petit rappel sur les horreurs des victimes de Stalinisme et que nous prendrons plus largement comme un cri contre les facismes en tout genre.

12369205_10206919137808874_4801869206398200661_nDe la période Dernières balises (avant mutation) et Soleil cherche futur, Thiéfaine nous sert les incontournables, 113 cigarettes sans dormir, Les dingues et les paumés, Lorelei Sebasto cha et  enfin Autoroute jeudi d’automne qu’il n’avait pas chanté en live depuis 1986 et qu’il  introduit en récitant les vers du poète péruvien, Cesar Vallejo, qui lui a inspiré la chanson : « Me moriré en París -y no me corro tal vez un jueves, como es hoy, de otoño. » Nous ne bouderons pas notre plaisir lorsque retentiront les premiers accords de Bipède à station vertical ou Errer humanum est. Il  nous pétrifiera de plaisir avec l’inattendue Femme de loth car ce titre, issu de l’album Alambic sortie sud, n’avait pas été joué sur scène depuis le Zenith 1985. Enfin, Thiéfaine nous comblera d’émotion, seul en scène, il égrainera les arpèges sur sa Gibson de Petit matin 4.10 heure d’été mais aussi de Je t’en remets au vent, chanson écrite au tout début des seventies, lorsqu’il arpentait les cabarets de la rue Mouffetard avec sa guitare Gordini bleue et notamment «au Petrin» ou il croisait notre ami Germinal, mais aussi Gilles Servat, Jean Vasca, Bernard Lavilliers et bien d’autres. C’est avec Des adieux » qu’il sortira de scène. On regrettera la qualité du son au Palais des sports qui laisse parfois à désirer, l’acoustique de la salle n’est vraiment pas terrible ce qui n’enlève rien à la qualité exceptionnelle du concert que l’on retrouvera avec plaisir dans le DVD car les deux soirs à Paris ont fait l’objet d’une captation live.

Quinze jours plus tard c’est à l’occasion de l’enregistrement du concert Alcaline pour France 2 en matinée, au théâtre du Trianon, que nous prolongerons notre aventure du VIXI tour pour un set réduit mais tout de même d’une heure trente. 

C’est Arman Mélies qui fait la première partie avec un titre Constamment je brûle. Arman Mélies  avait déjà écrit la musique de Trois poèmes pour Anabelle Lee sur l’album Supplément de mensonges en 2011 et signe sur Stratégie de l’inespoir la musique de Fenêtre sur désert qu’il viendra chanter en duo avec Thiéfaine. Il invitera pour un second duo Jeanne Cherhal qui pour sa part a signé la musique de Mytilène Island  du dernier album. Jeanne Cherhal semble légèrement impressionnée mais prendra un plaisir non dissimulé à interpréter une Lorelei Sabasto Cha  qui nous fera chavirer au milieu des remous du public du Trianon. Très rock’n'roll, Presque déstructurée, cette version de Lorelei sur le VIXI tour nous déroute un peu. Le célèbre riff joué par Claude Mairet sur l’album Soleil cherche futur est remplacé par des rythmiques endiablés des guitares de Lucas Thiéfaine (coté cour) et Alice Botté (coté jardin). Thiéfaine est un vrai créatif qui aime nous bousculer avec des arrangements et variations musicales. On apprécie à la fois cette remise en question artistique constante et l’espace d’expression qu’il laisse aux musiciens avec qui il travaille. Chaque tournée est une découverte, une nouvelle création, une nouvelle provocation.

Le concert Alcaline est enregistré dans les conditions du direct  avec un dispositif de prise de vue impressionnant. Lors de sa diffusion sur France 2 nous avons pu vérifier l’excellente qualité des images et le rendu fidèle de l’ambiance générale du concert même si le montage n’a absolument pas respecté la chronologie de la setlist. « La fille du coupeur de joints »  a été placée  ouverture du concert alors que c’est le final, entre autres…

Enfin, c’est du concert de Fontenay sous bois en décembre, à la salle Jacques Brel, que nous rapportons quelques photos d’illustration pour NosEnchanteurs. Ce fut une soirée particulièrement chaleureuse, avec un son et des lumières de grande qualité. La set-list est légèrement réduite par rapport à la formule des Zéniths mais gardera tout de même 19 titres  dont on retiendra, entre autres évoqués plus haut, un excellent « Alligators 427 ». Thiéfaine confiera qu’il a écrit cette chanson en revenant d’une manif sur le site de Fessenheim au  début des années 70. Notre président de la République n’aurait il pas promis la fermeture de ce site pour 2016 ? Compte tenu des promesses  présidentielles tenues, Thiéfaine peut chanter encore longtemps « Je sais que, désormais, vivre est un calembour. La mort est devenue un état permanent » et le public pourra scander l’effroyable et  sempiternel « Je vous attends… Je vous attends. »

Finalement c’est bien dans sa formule pour des salles plus réduites, d’une jauge d’environ mille personnes que l’on a le plus apprécié le VIXI Tour qui devrait se poursuivre au printemps de cette année 2016. Il permet à la fois de garder l’énergie et la puissance de son rock ‘n roll tout en offrant au public des concerts à taille humaine qui gardent une réelle proximité avec le public pour les moments plus intimistes. Merci encore monsieur Thiéfaine pour cette belle folie et ces généreux instants de scènes partagés.

« Dans cette foire aux âmes brisées où le vieux drame humain se joue / La folie m’a toujours sauvé et m’a empêché d’être fou. »

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4 Réponses à Retour sur le VIXI Tour 2015 d’Hubert-Félix Thiéfaine

  1. Franck Halimi 10 février 2016 à 16 h 13 min

    Très beau papier, à la fois érudit (sans se révéler abscons), sensuel (dans le sens où il nous fait formidablement vivre les sensations vibratoires du spectateur) et amoureux (sans jamais être aveugle).
    Parler ainsi d’une personnalité aussi importante dans le paysage de la chanson française que l’est HFT -avec cette profondeur (dans la compréhension du personnage et de l’oeuvre) et cette finesse- révèle un vrai beau et bon journaliste, assorti d’un humain à la sensibilité partageuse => bravo et merci, Vincent Capraro !

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  2. Isabelle Guilloteau 10 février 2016 à 16 h 46 min

    Très bel article et très belle plume !

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  3. Hélène Vulcain 10 février 2016 à 17 h 02 min

    « Quand on tombe dans l’univers Thiéfaine à l’adolescence on ne s’en sort pas vraiment… » ! C’est exactement ça… on ne s’en sort pas au début (mais qu’est-ce qu’il raconte ???) et puis finalement, avec le temps, on n’a pas et surtout plus envie de s’en sortir du tout, tellement cette poésie, qui lui est propre et unique, est envoûtante… Concert VIXI Tour, moment sublime à Saint-Malo le 27 janvier dernier !!!

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  4. Capraro Vincent 10 février 2016 à 17 h 17 min

    Merci Franck , Isabelle, Hélène, à tous, pour ces compliments. Je serai à Alfortville Samedi soir pour continuer mon voyage dans le VIXI Tour et rapporter de nouvelles photos que vous pourrez voir bientôt sur mon site vincentcapraro.fr. L’objectif est atteint, partager de l’émotion et des passions avec des âmes sensibles. Merci les amis.

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