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Pierre Perret, l’esprit Charlie

Pierre Perret (photo David Bakhoum)

Pierre Perret (photo David Bakhoum)

Si nous devions céder à la mode de noter les disques, celui-ci – qui sort aujourd’hui en bac – aurait bien trois ou quatre « N ». N comme NosEnchanteurs il va de soi. Revoici revoilà Pierre Perret, 84 ans. Pour un trentième album studio, si on compte bien. Faites gaffe, y’en aura pas autant à venir… On avait dit de lui que sa voix était tombée dans les chaussettes mais ce qui est vrai en scène l’est moins en studio. Ou alors il a dû boire des cubis d’amidon à midi.

L’écriture de cet album a commencé il y a à peine trois ans et demi, nous avoue-t-il. Euh, trois ans et demi, si je calcule bien… Nous étions juste au lendemain de l’attentat contre Charlie-Hebdo, la froide exécution de ces trublions du dessin et de l’impertinence que furent Cabu, Charb, Honoré, Wolinski, Tignous. Et de leurs collègues d’infortune. Non seulement Pierre Perret revient sur le sort de ses copains caricaturistes, mais il reprend pour ça sa chanson la plus évidente, qui existait déjà : Amour liberté vérité, de 1981. Ça devient Humour Liberté (la chanson-titre de cet album), mais c’est sans humour, sans possible discussion, sans tergiversation : « Humour liberté vérité / Il faut s’en servir / Humour liberté vérité / Il faudra choisir / C’était une poignée de grands gosses / Le soleil qui habitait leurs yeux / Travestissait les choses atroces / En éclats de rire contagieux… » Autre horreur d’une tragique actualité, celle qui vivent Les émigrés, et Perret, s’il en était encore besoin (il en est grand besoin !), de nous rappeler que « On est tous des émigrés / Qui arrivent avec la marée ».

71TWycjiTcL._SL1200_Comme tout vieux chanteur (il y a peu, Aznavour nous avait fait le même coup), Perret convoque à lui la nostalgie. A La communale notamment, où il retrouve « ces éclats d’enfance / au soir de ma vie ». Mélancolie certes, mais il n’est pas dit que notre Pierrot soit hors-jeu. La France qu’il évoque (Ma France à moi), bien qu’elle appelle à elle des Gotlib, Soulages et Picasso, Stendhal et Molière, Lucie Aubrac, Simone Veil et Isabelle Adjani, Jules Ferry, Pasteur et Charlemagne, n’est pas ici pour ressasser le passé mais, fort de de telles figures tutélaires, affirmer une idée précise, ferme, politique, joyeuse autant que frondeuse, de son pays, le nôtre : « Les mots d’amour voire les blasphèmes / Sont l’essentiel de ma respiration ».

Quand je dis Pierrot, c’est parce que j’y associe volontiers le terme tendresse. Elle y est, bon poids même. Avec des personnages haut en couleurs, en rondeurs quand c’est conjugué au féminin : « J’imaginai sa poitrine / Gonflée de plaisir / Et sa graine de capucine / Durcie de désir… » Tendresse aussi pour des notes de musique : celles de Django. Et celui de colère. Je n’aimerai pas être archevêque de la Capitale des Gaules à l‘écoute de Pédophile (« Au lieu d’embêter / Les petits enfants / Tire ton coup curé / Avec leur maman / ça te soulagera… ») : il y a de quoi ravaler son hostie. Là, c’est aussi et encore Perret, celui qui s’insurge contre la connerie humaine et bouffe avec raison sa ration de curetons, de monstres (ce sont parfois les mêmes…).

Car tout dans ce disque est Perret. Tout est malheureusement pérenne. Tant que le Pierrot sera là pour le dire, le dénoncer, le chanter, ça ira, lui passe encore à la télé pour dire de telles vérités. Faudra penser, un beau jour, un triste jour plutôt, à lui succéder.

 

Pierre Perret, Humour Liberté, Adèle/Irfan le label 2018. Le site de Pierre Perret, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

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2 Réponses à Pierre Perret, l’esprit Charlie

  1. Jean-Marc Dermesropian 9 novembre 2018 à 10 h 20 min

    Félicitations, Michel, pour ce très beau papier. Il faudra bien qu’un jour Perret soit cité parmi les  » Grands de la chanson francophone  » au même titre que Brassens, Brel et Ferré. Moi qui ai la chance d’être son ami et de donner régulièrement des concerts complets avec son répertoire, je peux t’assurer que le public va de découverte en découverte, trop habitué à ne connaître que quelques unes de ses chansons  » rigolotes « . Quand il découvre  » Le bouillon de canard « ,  » La veuve « ,  » Celui d’Alice « ,  » Ma nouvelle adresse « ,  » Jeanine  » … et mille autres merveilles de poésie, il est étonné de tant de belle écriture et de belles mélodies.

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  2. Odile Fasy 9 novembre 2018 à 12 h 47 min

    Bien d’accord avec vous Jean-marc.
    Depuis que j’ai le CD de La tribu de Pierre Perret, paru l’an dernier, je ne me lasse pas de l’écouter, et j’apprécie le choix des interprètes et des chansons de cet album une vrai merveille.
    « Lily », Ma petite Julia, la vivouza, Mimi la douce, la petite kurde  »
    et bien d’autres encore, toute ces chansons, qui à leurs époques, passaient moins souvent sur les ondes que « les jolies colonies de vacances ou Tonton Christobal, le zizi etc…

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