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Jean Fauque : « Y’a un avantage à pas gagner sa vie »

Jean Fauque Photos ©Helealea -Jean-Pierre Maybon

Jean Fauque Photos ©Helealea -Jean-Pierre Maybon

Quai des Arts à Veynes (05), 24 septembre

Rembobinons la cassette (ah ces doux plaisirs d’antan : essaye donc de rembobiner ton MP3 pour voir !) et revenons sur le premier spectacle de Chantons sur le Quai comme boucle à boucler. Ce 24 septembre dernier, c’était donc Jean Fauque, célèbre parolier de Bashung, qui ouvrait le bal, rien de moins.

Dans une conférence mi-chantée mi-dialogue avec Lizzie Ling, le public a voyagé d’anecdote en anecdote, d’une interprétation d’un des grands succès d’Alain Bashung à une lecture d’un texte pour Jacques Dutronc, d’une des chansons de son dernier album (car oui, il chante, et d’une belle voix grave) aux questions du public. Le tout glisse tout seul sans anicroche : on se laisse transporter au naturel des deux personnages qui nous racontent cinquante ans de carrière par petites touches de vie en à peine une heure.

N’être que parolier…

Mais si ce qu’il évoque sur sa relation avec Bashung et ses autres interprètes est passionnant (l’entendre raconter Johnny Hallyday à Vegas a quelque chose de berçant), ce sont d’autres aspects qui me frappent dans cette conversation prolongée un peu plus tard en coulisses : ces idées reçues sur le métier d’« auteur-compositeur-interprète » et consœurs dont un beau papier d’humeurs de ce printemps dernier évoquait déjà, mais de l’autre côté, celui de l’interprète.

« Les chansons ne sont pas faites pour nous appartenir »

C’est un fait, on pense souvent au chanteur comme un tout : un être musical qui écrit, compose et interprète ses chansons. Mal vous en prendrait donc de n’être que l’un des trois dans le trio à présent indissociable de compétences, le fameux auteur-compositeur-interprète. À savoir n’être que parolier ou pire encore n’être qu’interprète, comme le contait il n’y a pas si longtemps Michel Kemper dans ce beau papier.

En réalité, parolier est dans l’inconscient, avouons-le, une coche au-dessus de l’interprète : au moins, lui, il crée. Mais c’est un homme de l’ombre, obligatoirement frustré par le succès qui lui tombe à côté. Nombre de questions, confie Jean Fauque, tournent autour de cette problématique : « cela ne vous embête-t-il pas de toujours œuvrer dans l’ombre ? ». Au contraire, raconte-t-il : « J’aime pouvoir aller faire mes courses au supermarché et que personne ne me reconnaisse ; là, à la radio, il y aura peut-être un tube de Bashung, ça me fera sourire et je passerai pourtant incognito ». Alors que ce ne soit pas lui dont on se souvient à la mort de l’interprète en question, ou encore dont on prononce le nom quand le tube passe sur les ondes, peu lui en chaut : « elles ne sont pas faites pour nous appartenir, les chansons ».

« La chanson, c’est une histoire de collaboration »

Master classe en septembre

Master classe en septembre

Jean Fauque pose ainsi le parolier comme un métier à part entière. L’un des conseils qu’il donne à ses apprentis chansonniers de master class est en effet loin de n’être que conseil prosodique. Il faut selon lui d’abord être capable de connaître ses faiblesses : « j’suis mauvais guitariste, mauvais pianiste, mais je suis un bon parolier. C’est fait pour ça les paroliers ; la chanson, c’est une histoire de collaboration. Et le parolier est là pour déceler les défauts d’un texte, lui donner une rigueur ». Transposons l’image dans les métiers du livre : un livre ne se fait rarement qu’avec un auteur et une maison d’édition. Jean Fauque nous rappelle simplement qu’en musique, c’est la même chose.

Toujours à raconter des histoires, voilà d’ailleurs pour illustrer qu’il me sort une feuille de papier : parler de la rigueur musicale du texte revient à parler de LA chanson par excellence, Le parapluie, découverte sur microsillons à cinq ans, se demandant bien où était rangé Brassens : dans la boite ?

Quand on lui parle de ce qu’il faut pour écrire une bonne chanson, c’est ainsi d’abord la rigueur qu’il mentionne – « il faut être carré ». Surprenant quand on écoute les paroles de Tu m’as jeté  ou de Malaxe  ? S’il évoque beaucoup la part d’inconscient dans l’écriture de chanson, il y a néanmoins derrière un gros travail de structure : « J’ai beaucoup appris à déstructurer avec Bashung. On a envoyé la balle dans le jeu de quilles, on a tout cassé, c’était rigolo, s’amuse-t-il. D’ailleurs, bien souvent les jeunes paroliers à Astaffort m’arrivent avec des chansons complètement bordéliques pensant qu’il s’agit de mon style. Je les détrompe très vite. »

« Y’a un avantage à pas gagner sa vie »

Jack Simard dans ce même festival chantait dans des paroles assez jouissives : « Je suis chanteur intermittent / Je suis branleur aux yeux des gens ». En général, la vie d’artiste n’est pas perçue comme métier qui rapporte rémunération – « la vie d’artiste n’est pas rose / n’est pas sans tâches » renchérit ainsi Bashung.

©Stéphane de Bourgies

©Stéphane de Bourgies

Pas faux : on a rarement vu un auteur-compositeur-interprète se déplacer en hélicoptère pour faire ses courses. Encore moins donc un parolier. Interrogé sur l’écriture pour commandes (celle du parolier) contre écriture purement créative (celle du chanteur qui écrit pour lui), Jean Fauque évoque bien entendu ce bémol du métier : « Le parolier n’est payé pour sa chanson QUE si la chanson sort. Bref, dans ce métier, on gagne que dalle ».

Bémol de belles mélodies cela dit, car, explique-t-il, « le parolier est le seul qui n’a pas de rapport financier avec l’interprète. C’est la SACEM qui fait l’intermédiaire. Tout ceci mène donc à de grandes amitiés entre paroliers et interprètes ». Et d’ajouter, taquin : « Et je dois avoir une tête de confesseur, car il y en a sur qui j’en connais un bout ! Mais mieux vaut rester motus… »

À l’écouter, on arrêterait presque de se faire auteur-compositeur-interprète pour ne se faire que parolier. Et le mot de la fin, c’est encore lui qui l’a – ou presque, car il me cite Bashung : « On aurait tendance à découvrir une chanson par la musique, mais c’est avec le texte qu’elle va durer ».

***

L’entretien de Jean Fauque avec la SACEM à l’occasion des dix ans de la mort d’Alain Bashung où il y explique son lien avec l’artiste, c’est ici !

Pour ceux qui auraient envie de décortiquer La nuit je mens  ou encore Elle m’a rien dit, elle m’a tout dit, celui-ci les explique en des capsules de 8-10 mn sur sa page Facebook (« On décompose la chanson » avec la Ville de Frontignan).

Enfin, voici juste là une chronique de son album 13 aurores sorti en 2008 – « pour que ses chansons ne restent pas dans un tiroir » – dont vous pourrez entendre extraits sur YouTube.

 La page facebook de Jean Fauque, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.

La nuit je mens, au Réservoir en 2008 Image de prévisualisation YouTube
Ma jonque est jaune, au Réservoir en 2008 Image de prévisualisation YouTube

 

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