Nouvelles de Bretagne : quatre albums dans la hotte

Le Trio Pêr Vari Kervarec (photo non créditée)

Permettez-moi, avec le nom que je porte, de parfois me croire breton. Souvent me revient ce texte de Morvan Lebesque, La Découverte ou l’ignorance, jadis interprété par Tri Yann (en écoute au bas de cet article), sur leur album éponyme de 1976 : « La Bretagne n’a pas de papiers / Elle n’existe que si à chaque génération / Des hommes se reconnaissent bretons ». Je veux bien être du lot et quitte à faire, le jour venu, reposer sous un dolmen, si possible pas loin de Brocéliande. Voici quelques albums parus ces dernières semaines, tous bretons, tous d’une qualité irréprochable.

Trio Pêr Vari Kervarec « Pellgent, un noël breton » autoproduit 2025

Le trio Pêr-Vori Kervarec se veut être plus qu’un ensemble musical, mais « le porteur d’une mémoire vivante, une passerelle entre l’histoire et le présent, entre la langue d’un peuple et l’âme de celui qui l’écoute ». Bombarde, biniou, piano et orgue, chant, ce trio, fondé en 2020, à la volonté de « proposer au public un voyage dans cette culture bretonne, en se laissant envoûter par ces mélopées où se révèle la mémoire d’un peuple, l’âme profonde de la Bretagne ». C’est tout à fait le cas avec ce remarquable album.

Pas de paroles malheureusement (qu’il eut fallu imprimer tant en breton qu’en français) sur le livret de ce CD, mais des textes très documentés, et pour tout dire passionnants, sur ces nuits de Noël, ce « moment charnière où l’âme chrétienne se mêle à l’imaginaire celtique », où « l’Enfant-Dieu partage l’espace avec l’Ankou, les korrigans dansent dans les landes et les pierres séculaires. Sur les Mystères joyeux, le Noël nouvelet… Les explications se poursuivent de temps à autre sur l’album, c’est sans doute un peu dommage pour qui veut l’écouter d’une traite sans cette historique. Qu’importe, et pas besoin d’être croyant pour être ici saisi par l’extrême beauté de ce Noël, en tomber sous l’indicible charme. Le facebook du Trio Pêr-Vori Kervarec, c’est ici.

Annie Ebrel « An Ebatoù » Arfolk 2025

L’incipit du livret donne le mode d’emploi de ce précieux album : « Na vê an ivern da dreujo / Ret ê mont d’an dañso’ ! » à savoir : même s’il y a l’enfer à traverser, il faut rejoindre la danse ! D’ailleurs, le premier titre, un instrumental, ne s’intitule-t-il pas Ba’n dañs (Entrons dans la danse !). Annie Ebrel est une chanteuse d’expression bretonne. En osmose avec ses racines, elle permet au chant traditionnel de s’enrichir des sonorités les plus contemporaines. Interprète de kan ha diskan, de gwerzioù et de sonioù, elle se fait l’ambassadrice du chant breton en France et à l’étranger. Outre de multiples participations souvent à des formations de grand renom, cet enregistrement public (au Jardin moderne, à Rennes) est son dixième album. C’est « un hommage à la fête, à la danse comme souffle vital de la culture bretonne. Le répertoire nous raconte les joies, les peines, les drames et les croyances, la vie qui s’articule autour du plaisir partagé de la ronde ». Au chant et à la podorythmie, avec trois excellents musiciens, Annie Ebrel nous entraîne dans un tout de chant éblouissant, nul n’est besoin d’être breton pour en être pleinement convaincu. Le facebook d’Annie Ebrel, c’est ici.

Eben « Dinaskañ » Arfolk 2025.

Deux voix (Marine Lavigne et Sterenn Le Guillou) et trois instrumentistes (Antoine Lahay à la guitare, Julien Stévenin à la contrebasse et Jonathan Dour au violon alto), ainsi est Eben qui, au féminin en langue bretonne, signifie « L’Autre ». C’est le second album de cet ensemble ancré dans le le kan ha diskan et les gwerzioù, piliers de la tradition bretonne, même s’il s’ouvre à des horizons bien bien plus larges, revendiquant pleinement l’hybridation : chants polyphoniques, percussions galiciennes et indiennes, et arrangements orchestraux s’entremêlent aux cordes et aux voix. Pour qui n’est pas breton, les onze titres de cet album donnent un tout plaisant et hypnotique, un peu à la manière de derviches tourneurs. On peut le prendre pour un appel à la danse : à lire les textes (traduits sur le livret) on prend conscience de la charge de ceux-ci. « Dinaskañ est pensé comme un manifeste qui s’ancre dans l’héritage du chant breton tout en le confrontant aux réalités d’aujourd’hui. Inspiré par les luttes et les voix trop souvent réduites au silence, il donne chair à des récits contemporains – de l’ouvrière révoltée à la danseuse insoumise, de la sorcière condamnée au voyageur rêveur – et transforme la mémoire en un espace de résistance vivante. » Tout est dit. Le site d’Eben, c’est ici.

Red Cardell « En concert » autoproduit 2025

Dans l’attente d’un 25^e album en 2026, Red Cardell nous a sorti un 6^e live enregistré en août de l’an passé à La Fête du Bruit de Landerneau. Une heure de concert, avec des titres parfois longs comme un jour sans crêpes, des propos non sans engagement, des airs qui souvent se prêtent à la danse, l’appellent de leurs notes. S’il est manifestement breton, ce groupe, né à Quimper en 1992, aime être inclassable, groupe populaire par essence, ouvert sur le monde : leur bretonnité est souvent mixée à des sonorités slave, latine ou berbère, avec adjonction de doses variable selon les albums de blues, rock, punk et de chanson française. Si leur discographie recèle de vrais joyaux, Avec plus de deux mille concerts au compteur, Red Cardell est cependant d’abord et avant tout un groupe de scène. C’est dire si chaque nouveau live est un régal : celui-ci n’y échappe pas : dommage cependant qu’il n’y ait pas de livret. Pour autant, on ne peut que vous le recommander.

Le site de Red Cardell, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’eux, c’est là.

Tri Yann : « La Découverte ou l’ignorance » : 

Trio Pêr Varl Kervarec « The water is wide » : 

Annie Ebrel « Ar Goukoug (Le Coucou) » : 

Eben « Dinaskan » : 

Red Cardell (ici avec le Bagad Kemper) « Les Gueux » :