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Les Vies liées… Le « salaire de la peur »

Résumé des épisodes précédents : Nous sommes en 1966. Ou 1967. Nanar est en Amazonie. L’ancien conducteur d’engins de travaux publics qu’il fut jadis est embauché comme conducteur de camion par un Français, ancien de la légion étrangère, qui « vend de tout en se procurant tout grâce à des combines d’enfer »… Extrait du livre Les Vies liées de Lavilliers, pages 187 à 189 :

"Le Salaire de la peur" (1953), film d'Henri-Georges Clouzot d'après le roman de Georges Arnaud

Il se retrouve donc à nouveau au volant de « gros culs » dans un commerce tordu mais florissant, fleurant bon le cambouis et la mélasse, qui épouse le tracé d’une Transamazonienne apportant la civilisation à mesure qu’elle détruit l’environnement et nie le droit d’exister aux populations locales : « Tu partais pour deux semaines avec 7 500 km à couvrir sur des pistes qui ne pardonnaient pas la moindre erreur et sachant que tu ne pouvais dépasser les 40 ou 50 km à l’heure. Là, pas de contrôle kilométrique journalier, tu étais ton maître à bord avec tous les risques que ça comportait. »
Nanar, qu’on imagine bien en marcel trempé de sueur et muscles saillants, conduit des semi-remorques (« dont il faut passer les vitesses à coup de lattes »), empruntant à tombeau ouvert les routes les plus improbables (« de la taule ondulée ! »), parfois même des sentiers. Fondrières et voleurs de camions interdisent de fait la conduite de nuit, trop périlleuse. « Se méfier des auto-stoppeurs… Rouler et ne ralentir qu’en conservant le pied sur l’accélérateur, au cas où… Parfois, cependant, il y avait des endroits où l’on pouvait s’arrêter, dormir, en ayant bon espoir de retrouver au moins le camion le lendemain matin… C’était vraiment dangereux et l’on jouait sa peau : un genre de Salaire de la peur. Il m’arrivait aussi d’assurer la surveillance du fret qui transitait par bateau de Belém jusqu’au comptoir de mon employeur, un énorme entrepôt au nord de Manaus, le plus grand centre de l’Amazone. Quinze cents kilomètres sur des bateaux qui s’arrêtaient toutes les trois heures, en panne. »
« J’avais un copain qui roulait beaucoup dans le Sertão et, un jour, il a vu dans ses phares une fille à poil, allongée sur la route. Il a ralenti… ralenti… et puis il a aperçu des fusils qui brillaient, alors il lui est passé dessus. »

Charles Vanel dans "Le Salaire de la peur"

C’est chacun sa peau. Ou la leur… La misère est telle qu’on peut difficilement en vouloir aux braqueurs. Quand on n’a pas le choix, il faut bien se battre ! La nuit, comme ce serait folie de rouler, on gagne une taverne où, contre quelques pesos, un gamin montera la garde près du camion, armé et prêt à tout pour défendre le fret.
Des anecdotes sur le Brésil, Bernard en a à la pelle. Qui ont toutes l’odeur du vraisemblable. Il peut vous en entretenir avec passion des heures durant, des nuits entières… Comme cette fois où, en pleine forêt, une mouche le pique. Il tombe malade, fièvre hurlante et corps desséché. Il délire et se voit trépasser. La médecine blanche est impuissante dans cette jungle. Son boss fait alors venir un sorcier du cru au chevet de l’agonisant, qui brandit un de ces médicaments étranges qu’est le peyotl. La singulière pharmacopée que voilà, drogue hallucinogène qui « te permet de te comprendre jusqu’au plus profond de la moelle de tes os, de te renforcer et de comprendre qui tu es par rapport à l’équilibre du monde. » Pour notre plus grand bonheur, Bernard revient en ce bas monde.
Notre intrépide aventurier reviendra parfois sur cette substance « initiatique » aux stupéfiants effets : « Crois-moi, la première fois c’est impressionnant, mais après tu n’as plus peur. Par la suite, j’ai appris à manier l’hallucinogène et il m’est même arrivé d’aller me balader au Brésil sans bouger de mon appart, à Paris. »

3 Réponses à Les Vies liées… Le « salaire de la peur »

  1. Henri Schmitt 21 décembre 2010 à 17 h 55 min

    Le coup des voyages au Brésil depuis Paris grâce au peyotl, je l’avais lu il y déjà un moment dans une interview. La question : qu’est-ce qui est vrai et ou commence la fiction ?

    Réponse : La réponse est dans « Les Vies liées de Lavilliers« , en vente dans toutes les bonnes crèmeries, comme il se doit ! Tout n’est que fiction mais, entre nous, que la fiction est belle et que Lavilliers est un bon conteur, un bonimenteur de premier choix ! Les vies de Lavilliers sont ainsi faites qu’elles nous emportent dans son imaginaire luxuriant… et convaincant. Passionnant. Ça l’est tout autant de détricoter la pelote… MK

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  2. Philippe 21 décembre 2010 à 18 h 23 min

    Et pendant 30 ans, j’y ai crû, jusqu’à la lecture du livre !

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  3. bentejac helene 3 janvier 2011 à 9 h 04 min

    Inconditionnelle du Stéphanois depuis 1976, j’ai lu et relu avec beaucoup d’intérêt, de gourmandise et de… stupéfaction « Les Vies liées de Lavilliers ».Toutefois j’ai relevé une erreur page 233 (peut-être un lapsus calami ?) en effet le photographe américain Mapplethorpe se prénomme Robert et non Richard. Merci en tout cas d’avoir dévoilé la face cachée de notre Grand Fauve d’Amazone.

    Réponse : Merci Hélène pour avoir relevé cette erreur qui a échappé tant à ma vigilance qu’à celle d’une poignée de relecteurs. En cas de réédition, on corrigera. MK

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