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Lavilliers : que peut l’artiste contre ses habitudes ?

Lavilliers Baron samedi 001Si le succès critique et public est définitivement acquis pour Lavilliers, ce vingtième opus ne renouvelle pas son imaginaire, loin s’en faut. La source est-elle tarie pour qu’il se copie lui-même ? Son Vivre encore (« Vivre encore / Vivre comme un cri / Cri du sang / De l’amour aussi / Vivre ailleurs / Survivre ici ») fait de l’œil à son Nicaragua d’antan (« Vivre là, survivre là, aimer là / Sans trop savoir si c’est possible / De vivre là, survivre là, rester là »). Les bas-fonds, New-York, les banquiers, l’appel des tambours et les chansons vaudou, Haïti, le bagne, le clair-obscur… Nanar fait ici multiples redites. En cela, son univers est cohérent. Sans être insignifiant, loin s’en faut, il n’est pas sûr que cet album reste dans la grande légende Lavilliers même si, à 67 ans, convenons que notre Stéphanois cultive son art avec réel talent. Art justement et c’est une des chansons que nous retiendrons de ce Baron samedi : le titre Tête chargée nous entretient de l’art que Lavilliers questionne sans ambages : « Que peut l’art contre la misère noire / La musique contre la solitude / Les artistes contre les habitudes / Que peut l’art. » Art qu’on retrouve dans Villa Noailles, celle d’Hyères où il réside, un titre de 2010 qui visiblement n’avait pu trouver place et cohérence dans le précédent opus du chanteur. On retiendra Sans fleurs ni couronnes, bel hommage rendu à sa vieille mère décédée, titre qui a l’élégante pudeur de ne pas chercher le pathos, la trop facile émotion. On retiendra, mais c’est chez lui une habitude, cette attache à la littérature (c’est sans doute le chanteur français le plus cultivé de tous, genre bibliothèque d’Alexandrie à lui tout seul) par le Scorpion de Nazim Hikmet bien éventé par les radios depuis quelques semaines, par Rest’là Maloya d’Alain Peters et La complainte de Mackie de Boris Vian (musique de Kurt Weill) que Damia, Colette Renard, Pia Colombo, même Vince Taylor et désormais Carmen Maria Vega ont chanté avant lui. Aussi et surtout par le deuxième cédé joint à ce livre-disque, un seul titre, dit, non chanté, mais quel poème ! : La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, texte fleuve de Blaise Cendrars (27 mn !), l’un des principaux inspirateurs des aventures rêvées de Lavilliers, de ses voyages de papier, celles qui font la légende qu’on sait.

Notons que ce disque, en grande partie arrangé et réalisé par Romain Humeau, chanteur et guitariste du groupe Eiffel, nous apporte une nouvelle équipe musicale encore, dans une tonalité relativement assagie, très grand public, très bon public aussi.

Bernard Lavilliers, Baron samedi, Barclay/Universal 2013. Le site de Lavilliers c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà écrit sur lui, c’est là. Et particulièrement sur Les vies liées de Lavilliers, pour tout savoir du StéphanoisImage de prévisualisation YouTube

13 Réponses à Lavilliers : que peut l’artiste contre ses habitudes ?

  1. Emmanuel Guilloteau 3 décembre 2013 à 10 h 47 min

    J’aime beaucoup cet album. Peut-être ne suis-je pas objectif, Nanar a tellement apporté à la chanson française, et sur un plan perso. Je l’avais abandonné lors de l’album « Soho » et les suivants. Ce n’est pas le Lavilliers que je préfère, je garderai toujours une affection particulière pour le « O Gringo ». Merci Michel pour cet article du personnage peut-être le plus singulier de notre patrimoine. On peut lui faire de multiples reproches mais pas celui d’être plat, commun, sans relief…

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  2. Petite Marie 3 décembre 2013 à 10 h 49 min

    J’aime l’encyclopédie !! :-)

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  3. Olbius 3 décembre 2013 à 11 h 18 min

    Boris Vian a bien signé une adaptation en français du texte écrit par Bertolt Brecht sur une musique de Kurt Weill. Mais les paroles des versions de « La Complainte de Mackie » enregistrées par Damia, Colette Renard et Hugues Aufray (que je me permets d’ajouter à votre liste d’interprètes) sont d’André Mauprey.

    Réponse du modérateur : Grand merci, Olbius, de ces utiles précisions. MK

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  4. Danièle Sala 3 décembre 2013 à 12 h 25 min

    Tant pis si cet album ne reste pas dans la légende Lavilliers, il est dans la continuité d’une oeuvre, avec de belles références littéraires , toujours entre l’imaginaire et le réel . c’est …Du Lavilliers .

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  5. Norbert Gabriel 3 décembre 2013 à 13 h 29 min

    Un détail en passant, j’ai entendu plusieurs fois en play list, « la plus étrange des créatures » et à chaque fois on signalait qu’Yves Montand avait été le premier à en faire une chanson… A une époque où la culture des « animateurs » se réduit à ce qui est né hier matin, c’est bien de se souvenir d’un vieux chanteur, qui a été un des premiers à dire un poème sans musique en scène (Barbara, de Prévert)

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  6. Claude Fèvre/ Festiv'Art 3 décembre 2013 à 13 h 44 min

    Ce deuxième CD consacré à un long poème (et quel poème !) de Cendrars vaudrait à lui seul que l’on parlât de Lavilliers … c’est acte d’engagement que de mettre ainsi l’éclairage sur ce lien solide, bien que parfois très ténu chez certains entre chanson et poésie.
    J’avoue que j’aime cette tendance actuelle à mettre en exergue les mots, la parole et de tant de belles façons …ça dit, ça slame, ça tchatche !! Les interprètes d’aujourd’hui ne peuvent ignorer cette tendance là… et personnellement j’aime beaucoup cette façon de scander les mots, de les frapper, les caresser pour en faire ressortir toute la saveur, tous les parfums ! Du coup avec ma pratique de la lecture en scène, habillée de musique, je me sens encore plus de cette famille qui me vaut tant d’engagements !

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  7. Odette Estorgues 3 décembre 2013 à 14 h 34 min

    Je suis inconditionnelle de Bernard Lavilliers, avec ses qualités, ses redites… Je suis de l’avis d’Alfred Jarry disant « L’œuvre est plus complète quand on n’en retranche point tout le faible et le mauvais. » Et cela vaut pour toute création artistique.

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  8. Rob 3 décembre 2013 à 15 h 36 min

    Voilà un texte de Jules Supervielle musiqué par Jean vasca, il y a longtemps, « Vivre encore »
    Ce qu’il faut de nuit
    Au-dessus des arbres,
    Ce qu’il faut de fruits
    Aux tables de marbre,
    Ce qu’il faut d’obscur
    Pour que le sang batte,
    Ce qu’il faut de pur
    Au coeur écarlate,
    Ce qu’il faut de jour
    Sur la page blanche,
    Ce qu’il faut d’amour
    Au fond du silence.
    Et l’âme sans gloire
    Qui demande à boire,
    Le fil de nos jours
    Chaque jour plus mince,
    Et le coeur plus sourd
    Les ans qui le pincent.
    Nul n’entend que nous
    La poulie qui grince,
    Le seau est si lourd.

    Un observateur pointilleux et avec un mauvais esprit peut remarquer une similitude dans le titre, évidemment mais peu importe, mais aussi dans la construction du texte avec les « Ce qu’il faut de … » en petite litanie.
    Le thème n’a rien à voir, les images sont différentes, mais on peut imaginer une réminiscence quand même et on dirait que Lavilliers a vraiment une belle culture poétique française et qu’il n’a pas oublié ses vieux compagnons de route dans les cabarets. La chanson est superbe et Lavilliers est vraiment un grand artiste, et puis je trouve que sa voix est de plus en plus sensuelle, je l’adore.

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    • Dark31 18 août 2015 à 23 h 21 min

      merci pour ce rappel mémorial

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  9. Gérard Chiurchi 3 décembre 2013 à 20 h 19 min

    Bon ben encore une fois j’ai cédé à la tentation « nanaresque »!! J’aime bien, et en plus comme le souligne si justement Rob, rien à signaler sur la ligne de front « plagiste »!!! Si ce n’est le titre de la chanson « Vivre encore » et « Ce qu’il faut » répété à l’envi, toujours tiré du même poème de Supervielle, mis en musique et chanté par Vasca. Sinon, très belle et très émouvante chanson dédiée à sa mère disparue, « Sans fleurs ni couronnes ». Tiens, en parlant de l’ami Jean, j’en ai profité pour mettre son disque en tête de gondole, à la FNAC, dans les bacs  » Chansons françaises ». Et putain que c’est chiant d’aller à la case V, qui se trouve pratiquement au ras du sol……me suis fait un tour de reins du coup. Merde c’est plus de mon âge ce genre d’exploit physique!!

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  10. catherine Laugier 3 décembre 2013 à 22 h 00 min

    J’avais d’abord trouvé l’album un peu court, n’ayant pas sur ma plate-forme le poème de Cendrars (j’espère que son interprétation vaut celle de Vicky Messica que j’ai découverte à cette occasion, excellente).
    Mais cet album me plaît beaucoup, et je crois qu’il me plaira de plus en plus quand je pourrai approfondir les paroles. Non, Vivre encore n’a pas la même ambiance que Nicaragua, et c’est une question que tous peuvent se poser, Vivre ici, Vivre là, Vivre maintenant, la question principale de toute vie humaine, très belle chanson en tout cas. Outre les chansons citées (coup de cœur pour Tête chargée, j’avais relevé les mêmes vers) j’ai beaucoup apprécié l’ambiance de Jack , le Baron Samedi éponyme de l’album, et la belle Vague à l’âme. Pratiquement tout en fait. Scorpion est une belle version, très « Lavillienne » j’aime beaucoup aussi celle de Montand, plus « dramatisée ». Pourquoi reprocher à Lavilliers d’avoir un style, il y en a qui en ont si peu !

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  11. Voleurdefeu 8 décembre 2013 à 15 h 34 min

    Bonjour Michel, une petite visite et surtout un commentaire quant à cette critique pertinente sur le 20ieme album studio de Bernard Lavilliers « Baron Samedi ». Pour tout te dire, j’ai eu le même réflexe que toi avec cette similitude des « survivre » entre « Vivre encore » et « Nicaragua ». Le bel espoir et cette envie de lutter que traduit « Vivre encore » bercent mon quotidien plutôt complexe. Banquier, je suis sensible à « Jack ». Que dire de la prose ? Sinon que l’interprétation est magistrale de part le mélange de la musique et du texte. Cela ne sera pas, pour ma part, le meilleur album de Lavilliers. Je mets le lien de cette critique sur mon blog Michel ainsi qu’un rappel sur « Les vies liées de Lavilliers ». Htm://voleurdefeu.skyrock.com.
    Bien à toi Michel
    VDF

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    • Michel Kemper 8 décembre 2013 à 15 h 50 min

      Salut Voleur de feu,
      C’est un bien bel album, pas le meilleur (c’est vrai que je préfère pour ma part une période plus éloignée de son oeuvre) mais de bonne tenue. Nanar a son monde bien délimité, bien cartographié et évolue dedans : rien de bien nouveau mais ça n’empêche pas le plaisir. Pour m’être intéressé de près au bonhomme, ce disque apporte beaucoup d’eau à mon moulin, sur la part littéraire de Lavilliers, un des rares chanteurs qui puisse nous parler de littérature, de romans, d’auteurs. La Prose du Transsibérien, par lui, est, je dois dire, assez magistrale : en tous cas un grand moment qui unie poésie et chanson.
      Ces derniers temps, chaque fois le pur hasard, j’ai été en contact avec de nombreux autres témoins du passé de Bernard Lavilliers. Qui chaque fois m’apportaient des précisions supplémentaires sur son histoire, confirmant, confortant ce livre. Je t’en parlerai un jour. Bonne journée VDF !

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