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Gérard Pierron : tout Couté, peu coûteux

FA5638Ne dites pas à sa mère qu’il est chansonnier, elle le croit faire carrière dans l’administration des finances. En 1898 à Paris, le jeune Gaston Couté, alors fagoté d’un costume beauceron pour faire dans la rustique authenticité, se produit d’abord à l’Âne rouge puis aux Funambules, avec son premier succès – on ne dit pas encore tube –, Le champ d’naviots : « L’matin, quand qu’j'ai cassé la croûte / J’pouill’ ma blous’, j’prends mon hottezieau / Et mon bezouet, et pis, en route ! / J’m'en vas, comme un pauv’ sautezieau, En traînant ma vieill’ patt’ qui r’chigne / A forc’ d’aller par monts, par vieaux / J’m'en vas piocher mon quarquier d’vigne / Qu’est à couté du champ d’naviots ! »

Avec un succès grandissant mais sans jamais le sou vaillant, notre poète paysan, notre anarchiste Gaston Couté, ne vivra que 31 ans. Mort en 1911, de maladie et de misère, il aura vécu entre deux guerres, fustigeant celle passée comme cette autre à venir. Nous laissant « une œuvre d’une rare et étonnante puissance humaniste. Le gâs qu’a mal tourné, comme il se définit, clame en français ou dans son patois beauceron, le désenchantement de la France de la Belle époque, une société inégalitaire en cours d’industrialisation, belliciste et nationaliste. Un sens du mot et du rythme uniques donnent une symbolique moderne et universelle à son œuvre » lit-on, sous la plume d’Augustin Bondoux et de Patrick Frémeaux, au dos du présent coffret.

Soyez assuré qu’aucune anthologie poétique ne porte le moindre de ses vers : pas de pouilleux dans les pages bien blanches et soigneusement typographiées des doctes et sages académies ! Mais cent ans plus tard et plus encore, on dit, on lit Couté (il faut le lire, à haute voix, rien que pour soi). Et on le chante. Bien sûr on citera Edith Piaf (La Julie jolie, en 1949 et Bernard Lavilliers (La dernière bouteille, 1967 ; Le Christ en croix, 1968) comme repreneurs. Et puis Marcel Amont (Va danser, 1962) comme Jacques Douai (Va danser, 1962), René-Louis Lafforgue (La Julie jolie, 1959), Monique Morelli et avant eux d’autres interprètes, le premier d’entre eux à graver sa voix ayant été Félix Mayol dès 1903, du vivant de Couté, avec La gars qu’a perdu l’esprit.

Mais s’il en est un qui, pour nous, presque personnalise, à la manière d’un double, comme un frère, Gaston Couté, c’est bien Gérard Pierron, « artiste artisan » et précieux mélodiste. Qui, en 1977, sort son disque-étalon, partagé avec Bernard Meulien : La chanson d’un gâs qu’a mal tourné. C’est du reste le titre d’une intégrale en cinq livres, entamée depuis l’année précédente aux éditions Le Vent du ch’min, comme ça l’a été, quelques décennies avant, le titre d’au moins deux recueils qu’on retrouve parfois encore en fouillant chez les bouquinistes.

Pierron, cet électromécanicien chez Citroën qui, découvrant la chanson, plaque l’usine pour les cabarets où il chante Francis Leclerc, Léo Ferré, Pierre Mac Orlan, Francis Lemarque et Georges Brassens. Ce même Pierron qui, attiré par la mer et le rêve qu’elle représente, se fait embaucher comme électricien sur un terreneuvas. Puis, revenu à terre, découvre, rencontre Gaston Couté à quai, chez un bouquiniste. Bien sûr Pierron ne chantera pas que Couté, allant vers d’autres poètes à sauver de l’oubli, tel le marseillais Louis Brauquier (que Lavilliers, toujours à l’affût de ce que chante Pierron, interprètera à son tour). Tel son copain Leprest, qu’il participera, de belle manière, à faire découvrir…

Restons sur Gaston Couté : tous les enregistrements de Pierron sont désormais réédités, en un coffret de trois disques, 55 titres et un livret de 28 pages contenant les textes additionnels de chacun des disques d’origine, chez Frémeaux & associés. Tirés de 8 albums, en évitant autant que faire se peut les doublons. Tout ce Couté qui, sur plus de trente ans, occupe une place centrale, majeure, dans l’oeuvre de Pierron, enfin réuni : mise en lumière aussi magnifique que profondément humble d’un auteur important, graine d’ananar boutée du champ de la poésie, artiste maudit, réfractaire, révolté. Un marginal qui, petit à petit, année après année, grâce à Pierron et désormais une foule de repreneurs, vise un peu, un petit peu, sinon à l’immortalité, au moins à l’évidente reconnaissance.

 

Gérard Pierron chante Gaston Couté (rétrospective 1977-2008), Frémeaux & associés 2016 (29,99 €). Le site de Gérard Pierron, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Ce que nous avons écrit sur Gaston Couté et ses repreneurs.

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2 Réponses à Gérard Pierron : tout Couté, peu coûteux

  1. Odile 28 août 2016 à 10 h 26 min

    Voilà un article qui me comble!
    Admiratrice de Gaston Couté et de Gérard Pierron qui l’interprète.
    Permettez moi Michel de rajouter Laurent Berger qui a mis une superbe musique sur « Jour de lessive » et  » j’ai fais des bleus sur ta peau blanche « . son interprétation est très émouvante.
    Merci pour ce lancer de disque qui me va droit au coeur!

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  2. tocade 10 septembre 2016 à 11 h 10 min

    Merci pour l’information: je me régale en écoutant les CD en boucle!
    Quelle force, quelle authenticité…

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