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Ne lâchons rien. Et même mieux, osons !

L'Internationale, une chanson de combat

L’Internationale, une chanson de combat

par Jean-Claude Barens,

 

J’ai en mémoire un document de l’INA où le grand Jacques déploie sa longue carcasse dégingandée sur la scène d’un Olympia enfiévré.

Ses immenses bras moulinent au rythme d’une musique lancinante : « Au suivant, au suivant » chante-t-il, reprenant les vociférations d’un adjudant qui régule le trafic d’un bordel ambulant. Le mouvement de ses deux mains balayant l’espace de droite à gauche, je l’ai tout de suite associé à l’image d’une succession de personnes que l’on écarte. Brutalement. Sans préalable. Sans le moindre regard sur un passé proche. Et d’un revers de main : allez hop ! du balai, circulez, y’a plus rien à voir !

Au suivant, au suivant… Avant-hier, c’était Alors Chante à Montauban qui disparaissait sous les coups de boutoirs d’une élue vengeresse, aux pieds caressés par quelques vaguelettes bleu marine. Hier, c’était Philippe Meyer qui était prié de ne pas venir chanter la prochaine fois. Aujourd’hui, c’est le Centre de la chanson que l’on veut abandonner lâchement après 28 années d’activités et un projet en cours, nécessaire et pertinent. Mais aussi le Limonaire, lieu mythique, qui est menacé de disparition.

Sachez bien que l’entreprise de destruction a débuté il y a fort longtemps. Mais tout cela n’a jamais été totalement reconnu, car sur l’océan des paroles seule flotte la langue de bois. En 1983, le ministère de la culture supprimait la ligne budgétaire « chanson, variété, jazz » pour la remplacer par la ligne « rock-variétés ». Le mot chanson disparaissait ainsi du vocable des disciplines que l’on pouvait aider.

C’est vrai que chanter en français, à une époque, pouvait apparaître comme une maladie honteuse. Pour les artistes, certes, mais aussi pour ceux qui avaient envie de défendre ces auteurs qui se faisaient un sang d’encre et qui suaient la syntaxe. Avec en prime, pointé du doigt par les faiseurs d’opinions, un lourd soupçon de nationalisme.

Le soutien de l’Etat à la chanson et à ses réseaux de diffusion a toujours été faible. Il est alors devenu inexistant. La chanson est une voyageuse au long souffle qui se métisse de toutes les influences et accents. Mais la chanson demeure mal aimée et mal connue des milieux culturels. Cette vieille dame poudrée a couru les rues, traîné sur les ponts, accompagné les soulèvements. « L’art de fixer l’air du temps » comme la définit Stéphane Hirschi, est aussi un formidable véhicule pour la littérature et la poésie. Prévert, Aragon, Apollinaire, Maïakovski, Mallet-Joris… ont pu ainsi glisser leurs vers à l’oreille d’un auditoire renouvelé… Pourtant la chanson est souvent ringardisée, affublée de qualificatifs parfois moqueurs et déposée dans le panier des « variétés » quand la sphère commerciale a décidé de s’en emparer pour en tirer profits. Et c’est là que j’oserai presque vous parler de chanson d’art et d’essai, en imaginant l’existence de lieux estampillés et soutenus, comme l’on peut en trouver pour le cinéma. Cela fait bien une douzaine d’années que cette idée me trotte dans la tête.

Le Centre de la Chanson. Paris

Le Centre de la Chanson. Paris

Mais aujourd’hui il faut agir vite tant l’inquiétude est pesante. Les crédits destinés à la transmission des savoirs fondent, l’action culturelle est fragilisée, les valeurs artistiques et intellectuelles vitales, souvent sacrifiées sur l’autel de la mondialisation. Comment prendre le temps de cheminer tout en mesurant l’urgence, de trouver les espaces pour faire ouvrir les yeux. L’économique vise le court terme et se soucie peu des carrières d’artistes au point d’affirmer qu’il n’y a rien de nouveau. L’adulte est avant tout un être qui n’a pas le temps, un collabo du monde réel et les chiffres ont éjecté les mots dans la marge.

Radio et télévision sont des vecteurs redoutablement efficaces du marketing qui court-circuitent tout ce qui pense – car penser veut dire penser par soi-même, ce qui est à l’opposé de tout consumérisme. Présentement, c’est bien Internet qui fusionne tous les médias.

« La radio n’utilise pas de chanson dans ses émissions mais de la variété. La chanson est intelligente, drôle, émouvante ou colérique. Ça ferait des morceaux trop gros pour la bande passante et ça esquinterait les compresseurs… Les auteurs de chansons qui espèrent faire connaître leur travail par les radios sont donc contraints au formatage de leur travail en variété ou au ridicule d’un anonymat non consenti. » Voilà ce que nous dit Sarclo, et je l’applaudis des deux mains !

La langue et les mots constituent un véritable patrimoine qu’il convient de ne pas assécher, qu’il faut nourrir en permanence, sans le ramener sans cesse à la matérialité économique. Cette chanson dont nous parlons n’a aucune valeur marchande au sens d’une large diffusion. C’est de l’artisanat face à la production industrielle. Pendant longtemps, des associations, des petits lieux, des passionnés, ont permis l’existence d’un réseau fragile, mais militant. Force est de constater qu’il s’épuise. C’est la construction d’un autre cadre qu’il faut inventer.

Comment ne pas regarder avec ironie toutes ces grosses structures d’accueil du spectacle vivant venir subventionner de grosses productions et précipiter ainsi la disparition des artistes qui essaient de survivre en dehors des circuits commerciaux.

Alors, n’en déplaise aux faiseurs de rois, sondeurs et autres proctologues de l’opinion, il existe bien une place pour un nouvel essor de la parole, pour que se déplient les mots, pour que se déploie une chanson vivante, en ouvrant des espaces d’expression de proximité. Des moments de rencontre où se construisent la mixité et la citoyenneté, en réactivant le sens critique.

Même si elles sont une véritable respiration dans un contexte difficile, on ne peut pas se contenter de la multiplication de formules du type « chez l’habitant ». Il ne faut surtout pas délaisser l’espace public. Chacun, suffisamment passionné et motivé, peut devenir un organisateur potentiel dans le Foyer rural de son village, une petite salle de son quartier, un lieu patrimonial singulier ou une cour silencieuse et ombragée. Il peut être l’interlocuteur des élus locaux, le lien vivant. C’est du terrain que doivent remonter les envies. Je vous garantis que c’est possible. Quand j’ai créé il y a 20 ans Chantons sous les pins dans les Landes (bâti sur le modèle d’utilisation de lieux ruraux non répertoriés par le circuit culturel), il me semblait que la création d’un Chantons quelque chose… dans chaque département, serait un formidable ballon d’oxygène pour la chanson. L’entreprise était colossale et après de belles expériences dans trois autres départements, il me manqua le temps nécessaire, une équipe et une structure pour porter le projet. Je pense qu’il existe la même nécessité aujourd’hui, mais avec des financements qui ne sont plus les mêmes. Il faut resserrer la proposition, l’adapter aux moyens. Le mot festival, utilisé à tout-va, devient parfois incongru. Préférons-lui  Rencontres ou autres noms plus conviviaux. Faisons qu’il puisse exister des lieux d’écoute où le texte révèle tout son sens aux sens. Ou vibrations et émotions se partagent à portée de regards.

Résistons en déployant convictions et solidarité, au moment où l’industrie du divertissement s’installe plus lourdement que jamais. Soyons vifs, virevoltants, inventifs, car les mastodontes ont toujours du mal à se mouvoir. Persuadons-nous  que le formatage des goûts du public et l’homogénéisation des modes de comportement n’est pas inéluctable. Toute cette énergie déployée dans la résistance, nous devons la mettre au service de ces artistes qui continuent à nous enchanter contre vents et marées, parfois au bord du naufrage.

Il est l’heure de remuer ciel et terre pour sauver le Centre de la Chanson et Le Limonaire, car c’est bien dans cet état d’esprit qu’ils agissent au quotidien. Leur disparition serait un coup supplémentaire porté aux artistes et à tous ceux qui se battent pour la diversité culturelle.

 

Jean-Claude Barens
Activiste de la chanson vivante

12 Réponses à Ne lâchons rien. Et même mieux, osons !

  1. Henri Schmitt 19 décembre 2016 à 15 h 55 min

    Le ministre fossoyeur de la chanson s’appelait comment deja?

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  2. Elziere Francine 19 décembre 2016 à 16 h 07 min

    Partage à 100% votre indignation et la relaie .

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  3. Daniel Des Bois 19 décembre 2016 à 19 h 30 min

    Merci et bravo pour ton coup de gueule et aussi tes propositions, Jean-Claude !

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  4. Gilbert Laffaille 19 décembre 2016 à 19 h 52 min

    Très beau texte, merci Jean-Claude Barens !

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  5. Yann Malau 19 décembre 2016 à 19 h 54 min

    Très beau texte, en effet, mais je suis moins compatissant envers le Centre de la chanson que je croyais déjà mort et qui ne font aucun travail de fond envers les artistes autres que parisien ou déjà bien connus. Jamais eu de réponse de leur part.
    Oups, j’oubliai leur festival de reprises.

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  6. Alain Lanatrix - Barde authentix ! 19 décembre 2016 à 20 h 28 min

    Joli coup de gueule en effet avec des idées pour occuper l’espace autrement qu’en allant chez l’habitant même si c’est pourtant un magnifique échange à chaque fois.
    Ce serait dommage de s’en priver tellement cette façon de présenter ses chansons à un public de proximité est enrichissante et conviviale

    Il est vrai que contacter les élus est une manière aussi de trouver des salles et pour peu que la promotion du spectacle soit assurée cela permet un éventail plus large de spectateurs.

    Chaque façon est adaptée suivant l’objectif avec toujours comme idée commune le partage des créations avec le public.

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  7. Nicole Ligney 20 décembre 2016 à 0 h 43 min

    Bravo Jean-Claude et merci pour ce beau texte. Je signale également que « Le Limonaire », un petit lieu parisien, convivial et dédié à la chanson, est en train de mourir à petit feu. Alors oui, résistons !

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  8. S Jeune 20 décembre 2016 à 10 h 20 min

    Des erreurs de gouvernance ont pu entacher ces dernières années le travail du Centre de la chanson, cause à la personnalité un peu rigide de sa directrice. Il n’empêche que l’objet même du Centre de la chanson est nécessaire à la chanson. Même si, dans les faits, il s’en dégage un fonctionnement bien trop parisien pour que tous nous nous sentions concernés. Cette mise à mal, à mort, du Centre de la chanson s’ajoute à toutes les attaques (concertées ?) contre la chanson. Que peut-on faire ? Peut-on interpeller la représentation nationale pour qui le sort de la chanson française semble être le cadet de ses soucis ?

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  9. François André 21 décembre 2016 à 13 h 29 min

    Jean-Claude,
    Jean Vasca devait être du prochain Barjac, sous réserves…
    Il faudra qu’il y soit sans réserves d’une façon ou d’une autre.
    Tristement.

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  10. Stef! 21 décembre 2016 à 15 h 29 min

    Elle est très belle cette chronique…

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  11. Camerlynck 24 décembre 2016 à 2 h 28 min

    Oui c’est un beau texte et indispensable. Oui le Centre de la chanson est utile. Depuis des années il a beaucoup évolué. Sans gros moyen il ne peut faire plus. Pourquoi pas une concertation, des liens plus étroits entre le centre de la chanson, le Hall de la chanson, La manufacture chanson, le travail d’Eric Nadot, des liens plus étroits avec certaines associations de diffusion de la chanson. Pourquoi devrions-nous continuer à subir une forme de Racket de la part de la SACEM et de l’ADAMI si ces organismes qui sont ‘LES NOTRES ne nous soutiennent plus? Nous autres saltimbanques n’avons nous pas à réfléchir à des actions créatives, à une politique de conquête du public. Je remercie ces bénévoles et ces professionnels qui se battent pour et avec nous. Jamais je ne les critiquerais sans avoir des réflexions communes et des propositions à Faire. Alors en route les amis. Nous avons internet utilisons les moyens formidables que nous avons et que nous n’avons jamais eu. Amitiés à TOUS

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  12. Alexandre l'Agodas 25 décembre 2016 à 20 h 22 min

    Merci pour cette parole d’au-delà des écrans.
    Salut à vous m’sieur Barens!

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