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Avignon Off 2017. Utopie 1 / Réel 0

vz-de9f86b9-1a4e-4ad7-8644-97174fe234efCompagnie L’envers du décor dans « Le cercle des utopistes anonymes » (texte d’Eugène Durif),  Maison de la Poésie, 8 rue Figuière, tous les jours à 14h45 (relâche lundi 24 juillet)

 

Eugène Durif est un « espérateur » : aspirant à un monde meilleur, il picore ça et là des raisons d’y croire et les recycle à sa façon de poète « espère en tout, mais expert en (petits) rien(s) ». Auteur contemporain important, il fait théâtre en mettant sur le plateau des êtres incarnant des visages d’une humanité ô combien désirée.

Assis sur la scène, deux personnages sont déjà là quand le public entre dans la salle de La Maison de la Poésie. À jardin, un homme, massif et observateur, assis à son écritoire : il s’agit du poète lui-même, Eugène Durif. Et à cour, plus élancé, le musicien Jean-Christophe Cornier. Ils sont là, comme dans des starting-blocks, prêts à démarrer. Mais, plein centre, entre alors une créature de genre très féminin (sorte de Rita Hayworth dans « Gilda ») dans une robe lamée argent surprenante, mais ô combien seyante. Et là, bien que rien n’ait réellement encore commencé, on comprend vite que cette femme apparaît aux yeux du musicien comme une fille dans un jeu de chiens. Mais, immédiatement, le poète assure et rassure l’inquiet : elle -La Femme- est bel et bien là pour apporter aux hommes ce qui leur manque et leur fait défaut, et qu’elle pourra leur être d’un grand secours.

Le décor est planté. Un trio : deux hommes et une femme. Mais, le propos n’est pas amoureux, au sens réducteur et séducteur du terme. Quoique… il y a forcément là-dedans une envie de séduire. Mais, pas comme on pourrait communément l’entendre dans ce genre de configuration-là. Ici, le propos est de prendre le spectateur par la main pour l’emmener dans un pays qui s’appelle L’Utopie. C’est-à-dire, comme l’affirme de prime abord, et sans prendre la moindre précaution oratoire le poète, « nulle part ». Donc tout reste à imaginer ! » Et, avec toute la douce force de conviction qui l’habite, il en rajoute une louche : « En route, allons-y ! Et sûrs d’arriver, précisément puisqu’on ne cherche aucun quelque part ! »

UTOP2L’action est lancée. Plus rien ne l’arrêtera. Pas même les ronchonneries du musicien, vaincu par la force tranquille du poète convaincu et convainquant : « L’important c’est de ne pas rester immobile… Quand on commence à y aller, un chemin, tout frêle, tout fragile se dessine fugitivement sous nos pas. » Et devant l’incompréhension de ses comparses, Durif enfonce le clou : « De toute façon, c’est un peu comme en ce qui concerne l’art, si on a l’impression d’avoir compris, du premier coup, trop facilement, c’est que l’on n’a rien compris du tout. Car il s’agit d’un voyage métaphorique… » Et c’est vrai que, malgré ce frêle argumentaire (devenu solide comme un fil de soie, tant Eugène semble déterminé), on se dit « pourquoi pas ? » et on se laisse aller à les suivre, dans leur expédition en Utopie.

Parce que, finalement, Stéphanie et Pierre vont suivre Eugène dans sa quête poétique et prophétique. Et la première à céder (à s’aider ?), c’est elle : « Je suis partante… Depuis toujours, je rêve de jouer la Vierge Marie, Jeanne d’Arc ou une pasionaria… Voilà, je serai la Pieta de l’Utopie… la pasionaria des hôtes provisoires de ces lieux… Enfin un rôle pour moi ! » Durif a donc réussi la première étape de son voyage initiatique. Et ce, en soufflant sur les faibles braises qui animaient encore la comédienne, ranimant ainsi le feu sacré qui faiblissait en elle, lui redonnant ainsi souffle et (en)vie. Le poète lui donne alors un texte. Elle monte sur la table pour le lire. Et fait corps avec lui, pour le donner avec une ferveur qui nous fait oublier la complexité des termes employés. Et avec la scansion rythmée, ceux-ci deviennent musique à part entière. Jusqu’au moment où l’on perçoit « Je cherche des humains. Êtes-vous prêts à me suivre ? Longtemps qu’on en a pas vu l’ombre d’un par ici. (…) Au grand jamais, ne laissez le monde dicter sa loi d’airain. Pendez-vous plutôt aux lèvres de ceux qui murmurent avec amour. »

(photo Thierry Laporte)

(photo Thierry Laporte)

Certains d’entre-vous doivent être en train de se dire « mais, que vient donc faire une chronique théâtrale dans les colonnes de NosEnchanteurs ? » Oui, oui… mais, un peu de patience, diantre, on y arrive, on y arrive… Parce que le musicien prend alors sa guitare, se rapproche de ses 2 protagonistes et les 3 entament une biguine, dont le refrain chante : « Oh, oh, oh ! Y aller, y aller… Oui, faut y aller sans savoir, sachez que vous y aller sans savoir, sachez où vous y aller… de quel côté… sans savoir sachez que vous y allez… » Sous ses airs un peu gnan-gnan, cette chansonnette nous montre à quel point la légèreté peut s’avérer devenir une vertu, lorsqu’elle est utilisée à bon escient, au bon moment et au bon endroit. Surtout quand lui succède un chant a capella, dit par le poète comme une confidence, d’un ton naturel au plus proche de sa voix parlée : « Le jour accroché aux fenêtres peintes simule de mille soleils les teintes, c’est dit, ô nef des fous bon voyage. Quel vent gonflera tes voiles, quel naufrage ? De quel bois ferons-nous flèches à brûler, un feu de joie où les mots consumer ?«  Et soudain, là, on n’est plus du tout dans la chansonnette, mais dans une traversée poétique chantée qui nous embarque dans la beauté de ses mots, de leur articulation et de leur sens : on se retrouve alors au cœur d’un poème épique qui ne se la joue pas, mais qui raconte tellement…

Et la Pythie, la pieta, la pasionaria, qui rongeait son (re)frain, ne freine plus des quatre sphères et y va aussi de sa parole, incitée par le poète à se laisser aller : « Que les mots vous viennent à la bouche, vous viennent justes…Vous serez portée et transportée par une parole qui vous dépasse et vous transcende… La Parole, quoi !«  Et là, elle y va, comme libérée de ses craintes initiales et des réticences du musicien. Le chemin vers l’Utopie devient alors possible, puisque rien ni personne ne vient plus s’y opposer. Et l’on est scotché par la performance de comédienne-chanteuse de Stéphanie Marc, qui transforme la formidable étincelle qu’est le texte de Durif en un brasier d’une intensité rare, et le porte comme une oriflamme conquérante, pour entraîner dans son sillage tous les hommes de bonne volonté : « Il faut partir ! Laissons-là ceux qui ont la peur au ventre, laissons-là ceux qui ne sont pas habités par le démon de la curiosité, restez en rade vous qui puez la peur, videz-vous donc de vous-mêmes, tout ce que vous méritez, restez pelotonnés contre vos ombres à dormir debout.«  Le message est clair : que les pleutres restent les 2 pieds dans le même sabot, l’aventure reconnaîtra les siens ! Et elle y va à donf… jusqu’à hurler « Je ne veux rien, mais je le veux tout de suite ! », finissant sa tirade en fredonnant « Anarchy in the UK » des Sex Pistols : bref, ça dépote et ça dit ce que ça raconte. Ce spectacle jongle donc avec les sensations et les émotions, sans s’enfermer dans les cases d’un mode unique d’expression.

Et, même si j’ai certaines réserves concernant le jeu du poète et du musicien (qui, selon moi, ne devraient pas tenter de jouer, mais juste d’être qui ils sont), j’ai beaucoup aimé ce spectacle mis en scène par le fameux chef de troupe Jean-Louis Hourdin. Et il n’est pas étonnant que ce trio ait travaillé avec celui-ci, tant les valeurs qu’ils défendent et la façon de les défendre se retrouvent sur le même terrain. Et il y aurait tellement d’autres choses à dire sur ce spectacle d’une liberté totale et qui, avec une douce assurance nous fait repartir de la Maison de la Poésie l’oeil luisant, le cœur léger, le sourire aux lèvres et l’âme en bandoulière. Et putain que ça fait du bien ! Bref, je ne saurais que trop vous inciter à embarquer avec ce trio attachant à destination de l’Utopie : vous n’en reviendrez pas !

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