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Bossone, frère humain audacieux

Jérémie Bossone (photo d'archives Vincent Capraro)

Jérémie Bossone (photos d’archives Vincent Capraro)

Fasse que Cherokee Rose, nouvel album de Jérémie Bossone, vous fasse autant d’effet qu’au sein de notre équipe rédactionnelle. Dès l’ouverture du paquet-poste, dès la pose du disque sur la platine, deux de nos rédacteurs ont eu envie d’en rédiger sur le champ une chronique (et d’autres y songeaient). Les voici toutes deux :

 

Jérémie Bossone, une fleur sur la douleur

par Catherine Laugier

Vous êtes sur une île déserte, vous n’avez jamais entendu parler de Jérémie Bossone, vous ne savez pas que sur terre, quelques oligarques capitalistes tissent leur toile pour vous emprisonner dans un réseau de fils gluants, dénommés threads, vous empaqueter dans un flux de fausses informations, vous faire haïr le monde et les gens, vous apeurer, vous appâter, et vous driver vers des sociétés sponsorisées aussi offshores que certains établissements financiers ou assurantiels, bien décidées à vous faire acheter n’importe quoi ou même parfois à récolter vos louis d’or sans rien en échange. Vous n’avez jamais entendu parler de NosEnchanteurs, sorte de village gaulois peuplé de doux rêveurs sans armes ni pépites, autres que celles, (en)chanteurs.teuses qui refont le monde, rallument la flamme, bercent vos douleurs ou donnent à réfléchir à vos cerveaux indisponibles. Que vous n’entendez pas sur les ondes qui, de toute façon, ne parviennent pas sur votre île déserte.

Pourtant, à l’horizon surgit une voile blanche, fichée sur un radeau tel celui de la Méduse, sur lequel flotte un drapeau noir, marqué d’empreintes lupines (1). À son bord, un double personnage, pirate en sarouel masqué de cuir, à ses pieds un jeune homme plus sobre, jeans et débardeur, trahi par le vernis noir de sa main gauche. Peut-être Mr Hyde et Docteur Jekyll. Il s’appelle Jérémie Bossone, il vient pour vous sauver. Comme vous ne le connaissez pas, il se présente : en douceur sur La plage blanche, « Songez que cet humain / Ce pourrait être vous / Et peignez son enfance ». Cet humain « Un’danseuse, un Comanche / Un amoureux des lettres » , c’est bien lui qu’il nous dessine là, enfant joueur, enfant sauvage, adolescent épris de grands frissons, capable de danser en chemise rose pour « trouver sa place dans la beauté des choses », adulte éperdu de rêves et de désirs, construit de jeux de rôle, d’animations, de jeux vidéos, d’images de films, comme de Lettres : Stendhal sous le préau. Là ça décoiffe, on retrouve le Bossone rageux dans le sens passionné, ébouriffé « Qui va se hisser ».

BOSSONE 2025 jeremie cherokee-rose 458x458Raconteur d’histoires, il se console de ce monde gris, soucieux seulement d’apparence physique botoxée photoshoppée et de grosses voitures SUV blindées comme des chars de guerre, par des aventures épiques et tourbillonnantes, haletantes comme des romans feuilletonnesques du XIXeme siècle, comme des films de pirates, de mousquetaires, de découvreurs de nouvelle terres. Dans des chansons fleuves souvent tragiques, romans, films à elles seules, culminant à huit minutes, finissant comme tous les opéras, comme Cyrano de Bergerac, comme toutes les chansons réalistes, comme À bout d’souffle de Nougaro, comme Hold-up de Chedid, par la mort du héros, le voyou magnifique  : « Maintenant je vois plus qu’un ciel / Un ciel immense / Et ton visage… en transparence / Ô c’est beau… ça / Ro…sa… ». Pas besoin de projecteurs. On est dedans, on pleure. À côté de ce Mont-Perdu qui puise ses racines tant dans un passé en costume qu’en un plus récent, déjà vieux de cent ans mais qui nous ressemble, la période troublée de Bonnie and Clyde, il y a la fresque contemporaine, d’un récit d’enfance à la première personne, « N’oublie jamais ça mon fils / Qu’il faut aimer les hommes » à un rap violent et désespéré, dans une manif qui finit mal. Et son skit (2) dit par Pascale Chemin, dans un reportage sur un drôle de Spectacle – du jeu et du sang, une exécution – avec une curieuse supplique, « je veux mon tigre »… Pourtant Not dead, « même pas mort », quand il fait le compte des difficultés de la vie d’artiste (ah, Spirale… (3)), dans un monde où « La poésie, c’est l’chiffre. ». Un album de plus en plus politique, dans un rap qui crie et qui claque, empli de références littéraires, Monumental !

Au milieu de la violence de ce monde, ce disque plus réaliste que caricatural, serait insupportable s’il n’était si bien écrit, décrit, senti, refusé dans ce grand cri de révolte, et coupé de plages tendres comme cette danse d’amour « On dirait du Prévert » en duo avec Justine Jérémie, Les amants du kiosque. Ou cette paradoxalement douce Le cercle, réécriture du Déserteur, qui pose la question de l’attitude qu’on aurait en temps de guerre. Deux titres tentent d’expliquer l’importance des jeux de ballon, version « énergie masculine » puis émotion d’une larme, Waterloo dans un vestiaire. Et puis, en final, cette chanson qui donne son nom à l’album, qui nous avait tant émus en concert en 2020 , la Cherokee Rose qui refleurit sur la douleur, après la déportation meurtrière des Cherokee lors du traité de New Echota.

(1) de loup, pas de la fleur qui doit son nom à ses graines amères comme des morsures de loup.
(2) Intermède parlé.
(3) Les mélancolies pirate, 2019.

 

 

Bossone au blason des douleurs universelles

par Michel Trihoreau

bossone capraro 2Dans ce monde qui n’est pas le nôtre, où nous étouffons du fait des prédateurs, la chanson sur les ondes est devenue complice du divertissement qui pousse toujours l’humain dans la pente descendante et décadente de la facilité, jusqu’aux limites de la lobotomisation.

Une autre chanson résiste dans les petites salles et les festivals où l’on voudrait l’enterrer. Est-ce un retour vers les Caveaux où elle est un peu née ? Bien sûr ils sont là, tous ceux et celles qui nous rassurent sur l’humanité résistante, avec leurs mots finement ciselés et leurs musiques soigneusement polies, leurs cris d’amour et de colère.

On écrit… Les chansons s’entassent /Mais les financ » sont bass’/Et les factur’ s’amassent…

Jérémie Bossone est l’un d’eux, Not Dead ! Et même Monumental ! Immodeste et lucide : C’est fou comme on d’vient bon quand on tient bon, j’aime trop l’art.

Certains vous diront que c’est du rock brélien ou du rap ferréen, peu importe, Jérémie joue ici sa filiation avec une certaine tradition de la chanson française qui saigne, qui pleure et qui crie jusqu’ ‘au déchirement total et fatal. Mais, plus encore, il saute, virevolte, bondit et franchit les lignes, casse les repères, mettant le rêve à portée de la vie, comme un Prévert du troisième millénaire, pour en faire de l’espoir sans qu’on s’en rende compte. C’est Calvin trainant Hobbes sur les pas d’Eminem, pour écarter les barreaux, pousser les murs, gonfler les cœurs, élargir la pensée, sans ordre, sans consigne.

Son album, trépidant et envoutant est arrangé par son frère Benjamin, avec la musique et les chœurs du quatuor Violaine de Shawn. Des tranches de vies observées ou vécues et aussi une histoire transversale : la sienne, chanteur, auteur, artiste en souffrance de nos misères, suivant avec nous cette Piste des larmes, lorsque l’Histoire bafouille entre ceux qui profitent et ceux qui subissent.

La Cherokee Rose, Rosa laevigata, dont les pétales sont les larmes des Amérindiens déportés depuis leur terre ancestrale jusqu’aux forts de l’Oklahoma voilà bientôt deux siècles, donne au CD son titre et un parfum d’espérance.

Jérémie Bossone met en scène tous ceux qui sont un peu nous-mêmes lorsqu’on se dépasse : Des amoureux en cavale, des sportifs en action, des êtres que la guerre interroge, des lycéens qui rêvent, des laissés-pour-compte, artistes, citoyens…

Il tire lui-même ses conclusions dans le livret de l’album : Du début à la fin, on vogue ainsi des passions d’un être au blason des douleurs universelles…

Voilà déjà longtemps que nous attendions une voix qui s’élève au-dessus des niaiseries rythmées du consumérisme débile. Pas un messie ni un guide mais un frère humain audacieux puissant et sensible, fait de notre chair, souffrant nos maux, pleurant nos larmes dans une étreinte de bonheur en devenir. Je crois que nous l’avons trouvé.

 

Jérémie Bossone, Cherokee Rose, InOuïe Distribution 2025. Le site de Jérémie Bossone c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Jérémie c’est là. Le reportage photographique de Vincent Capraro au Festival de Marne, c’est ici


« La page blanche », audio Image de prévisualisation YouTube
« Tigre », audio Image de prévisualisation YouTube
« Cherokee Rose », en concert à Gauchy en 2017 Image de prévisualisation YouTube
Jérémie nous parle de son album Image de prévisualisation YouTube

 

 

Une réponse à Bossone, frère humain audacieux

  1. Daumas Christian 19 janvier 2025 à 14 h 01 min

    Oui, Jérémie Bossone est un incroyable artiste et votre reportage en dresse un portrait si juste. L’homme, l’artiste est magnifique! Merci ! Adorons et suivons les Bossone, avec passion!

    Répondre

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