Saint-Gély-du-Fesc 2025. Accusé Brassens, levez-vous !
Pierre Bernon d’Ambrosio, Marie d’Epizon et Didier Leick (photos Shivam Goossens)
6 novembre 2025, festival Rendez-vous avec Brassens, Scène en Grand Pic Saint-Loup à Saint-Gély-du-Fesc,
C’est d’abord une soirée hors programmation, dont les festivités annoncées ne font pas mention. Un truc fantôme qui pourtant fait le plein. On dit que l’essentiel du public est du barreau : difficile à vérifier, tous ont troqué leur robe pour une tenue de soirée.
Car l’artiste est un de leur confrère, avocat au barreau de Paris, spécialiste des affaires de presse et du droit d’auteur. Il vient non nous faire conférence (encore que), non une plaidoirie (mais ça y ressemble)… Comment vous dire, à plus forte raison ici, à Saint-Gély-du-Fesc, là où il y a quarante-quatre ans, la camarde lui a tendu un regrettable coup fourré, il vient se mettre dans la peau de Brassens, un Brassens qui assurerait lui-même sa défense face au tribunal sinon de l’Histoire au moins de la chanson.
Brassens, p.c.c. Didier Leick (et vice-versa), aussi à l’aise sur cette scène que dans l’enceinte du tribunal. Ce procès Brassens, il le mène depuis pas mal d’années, depuis 2016 pour être précis, parfois dans des salles de renom, dans l’Hexagone comme à l’étranger. Avec toujours deux complices, chanteurs et guitariste, sachant que rien n’étaye mieux la défense de Brassens qu’une chanson de Brassens. En temps normal, les complices de Me Leick sont Arthur Le Forestier et Bruno Guglielmi. Là, formule exceptionnelle, « collector » dira-t-on, ce sont Pierre Bernon d’Ambrosio et Marie d’Epizon*. Si la voix du fils Le Forestier m’est agréable, celle de Marie d’Epizon me le semble plus encore : on y gagne au change comme au charme.
Le raisonnement de Didier Leick est implacable : si Brassens est chanteur, il est tout autant avocat. D’ailleurs, s’il a fustigé, raillé, bataillé, rossé nombre de représentants de la société (flics à foison, gendarmes, magistrats – dès son premier, sodomisé par Le Gorille – notaires et huissiers) jamais il n’a levé un vers, fût-ce une rime, à l’adresse des avocats. L’argument est recevable.
Avocat, oui, lui qui a défendu tant de causes, de multiples personnages, du vagabond à la prostituée, des modestes qui, cause sans doute à leur modestie, troublent l’ordre établi. Me Leick a, lui, la modestie de penser que la chanson est souvent meilleure qu’une plaidoirie (chante-t-il lui même en défendant ses clients, on se plaît à l’imaginer).
Donc, appelés à la barre, les susnommés d’Épizon et Bernon d’Ambrosio illustrent le plaidoyer. La facile défense eut été de prendre les chansons les plus célèbres, les plus connues. Mais ici point de tubes, ou si peu : non, on va utilement piocher plus loin, dans la face B, pour illustrer au plus près les propos du père Brassens, en démontrer la sagesse, la pertinence, le bon aloi : Supplique pour être enterré à la plage de Sète, Stances à un cambrioleur, Les Quatre bacheliers, Les Deux oncles, Mourir pour des idées… L’auto-plaidoirie de Brassens est elle-même abondamment illustrée des propos du maître : il n’a qu’à puiser dans son œuvre pour trouver le ton, la rime juste. Ce qui n’empêche Didier Leick (c’est quand même un peu schizophrène, deux personnages en une seule plaidoirie), pas en manque d’humour, de truffer son argumentaire de piques bien venues, non pour actualiser une oeuvre qui n’en a guère besoin mais pour lui-même régler des comptes, comme l’aurait fait Brassens avec le sourire que l’on sait, sous sa moustache en tablier de sapeur.
Tantôt revêtu de sa robe, souvent défroqué, Didier Leick est un formidable orateur : on commettrait presque un délit si on était sûr d’être défendu par lui. Et un artiste, reconnu comme tel. Avec cette dose d’insolence et d’acidité, d’amour, d’humour et d’humeur qui fait de lui sinon un frère au moins un disciple du natif de Sète.
*On retrouve Marie d’Épizon, accompagnée à la guitare par Pierre Bernon d’Ambrosio, à ce festival Brassens, ce dimanche 9 novembre, dans le répertoire du vieux, en première partie de Bernard Joyet.
Le site du festival, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit du Festival de Saint-Gély-du-Fesc, c’est là.



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