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De l’air Delerm, de l’art des larmes

72_g_508Vincent Delerm est un artiste passionnant et il est bien dommage que cela ne se sache pas plus dans le cénacle des amoureux de la chanson. Nombre de ceux-ci sont en effet restés bloqués sur cette image de bobo parisien née de son premier disque (2002 déjà !), de chanteur à la voix traînante qui nous serine des histoires d’intellos velléitaires issus de la classe moyenne (car il est bien entendu que la bonne chanson ne peut parler que du peuple et des petites gens !), d’auteur dont la principale spécificité est d’être un fervent adepte du name-dropping…

Et pourtant, si on l’écoute soigneusement en remontant le fil de sa carrière, on ne peut qu’être frappé de son évolution. Delerm s’est engagé sur une route le menant à un univers toujours plus poétique et épuré, où le non-dit est roi et l’abstraction mode d’emploi. Etonnant ? Pas pour ceux qui le suivent attentivement : n’avait-il pas chanté dans son deuxième album un touchant hommage à Patrick Modiano, roi de l’esquisse en demi-teinte ? Les portraits acérés et rigolos de nos contemporains qui ont fait son succès initial se sont ainsi effacés pour laisser place à des chansons d’ambiance vaporeuse, où rien n’est souligné, laissant l’imagination de l’auditeur remplir les trous et tracer les lignes. Une chanson à total contre-courant des préceptes commerciaux, qui assume son intelligence et ne prend pas le public pour un bloc de demeurés auxquels il faut tenir la main.

Ce sixième disque fraîchement sorti, intitulé A présent, fait suite à ses Amants parallèles de 2013, album-concept sur la vie de couple, où l’artiste  avait poussé très loin le bouchon de l’épure. Volonté probable, après un tel saut dans le vide, de se rapprocher un peu du grand public, ce nouvel opus est assurément plus accessible : onze morceaux (dont un instrumental) sans thématique commune, très musicaux et aux orchestrations riches et variées où les cordes s’offrent la part du lion, qu’il interprète d’une voix claire sans chichis superflus. De la belle ouvrage qui comblera d’aise son audience, qui y retrouvera d’ailleurs certains trucs monnaie courante dans ses albums précédents (textes dits par une voix féminine, extraits de films intercalés..).

Les thèmes abordés, toujours dans une écriture libre et éthérée, ne sont pourtant dans l’ensemble guère joyeux. La solitude, le mal être et la mort dominent l’œuvre, heureusement égayée par un tableau ironique de sa profession (Les chanteurs sont tous les mêmes, en duo avec Benjamin Biolay) ou une évocation du couple Gainsbourg-Birkin (Dans le décor). On retiendra en outre deux titres ouvertement biographiques (La dernière fois que je t’ai vu, sur la mort de son grand-père, et Le garçon, autoportrait à la « je me souviens »), qui nous laissent entrevoir, sans fard ni second degré, l’intimité du chanteur.

Delerm est devenu  un artiste majeur de sa génération. Si vraiment il fallait le comparer à un de ses collègues, ne faites plus appel à Bénabar – comme nombre de commentateurs l’ont fait, pour leur image commune de croqueurs du quotidien – mais considérez-le plutôt comme le fils spirituel de Gilbert Laffaille, avec lequel il partage un parcours semblable (Neuilly blues aurait pu être écrit par Delerm, non ?), et ce goût immodéré pour l’ellipse (comparez sa chanson Je ne veux pas mourir ce soir, qui figure sur ce nouveau CD, avec La fille aux yeux rouges de son prédécesseur, vous saisirez tout de suite les accointances). Passage de relais en tous points réussi.

A présent, dont on appréciera l’ironie du titre venant d’un artiste chantre d’une certaine nostalgie, s’inscrit donc dans la parfaite continuité des albums qui l’ont précédé. Delerm se répète, alors ? Non, il construit une œuvre !

 

Vincent Delerm, A présent, Tôt ou tard 2016. Le site de Vincent Delerm, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

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Une réponse à De l’air Delerm, de l’art des larmes

  1. MARTINE ULLMANN 2 novembre 2016 à 15 h 45 min

    <3 <3 <3 <3 Vincent, Philippe et cet article. Merci, Pol

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