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Pascal Mathieu, l’anaristo de la chanson

Pré en bulles préventif : grand pardon à Michel Trihoreau qui, dans un commentaire sur l’article consacré au spectacle hommage de Jehan à Leprest, déplorait que je pioche mes titres dans l’Armagnac vers mots (lus) ! Je crains fort que le papier qui suit n’y ait, une fois encore, trempé sa plume de façon éhontée. Sachez, Michel, que je n’y puis rien car c’est bien plus fort que moi : je suis frappé d’une maladie incurable, qui use mon entourage depuis trop longtemps, et j’ai bien peur que ce ne soit avide homme et terne âme…

Certains chanteurs titillent. D’autres ont l’ego miné. Le bosse-coeur Pascal Mathieu, lui, combat de front, dans les deux catégories en même temps, sur le ring (pas rade) de son destin animé. Depuis plus de 30 rounds d’observation d’un parcours cahotique, on a pu le voir à la dérive (parfois), tourmenté (souvent), talentueux (toujours). J’ai pu éprouver la façon dont l’homme encaissait les coups -sans masque et sans casque-, fréquemment au bord du K.O., couramment battu aux points, mais réussissant à tout coup à se relever. Dur au mal ou courageux, je l’ignore, mais toujours présent et pas carriériste pour un rond, les poings dans l’époque et la langue pendue bien ailleurs que dans sa poche.

Dessinateur des contours de l’âme, le portraitriste bisontin croque (haine drôle) la vie des animaux que nous sommes (en ne s’excluant jamais lui-même du troupeau), tout en peignant l’avis des âmes honnies. Au fusain ou à la sanguine, trempant alter naïvement sa pointe dans un philtre d’amour ou dans le vitriol, il effleure là où ça pique et il gratte là où c’est bon.

Mathieu ose et sauce, use et suce les mots avec un vampirisme qui les vide de leur sens. Il les désoriente en les oxydant : leur faisant prendre l’air jusqu’à changer d’ère, il leur offre d’inédits horizons et leur destine une vie nouvelle. Il les presse et les compresse. Il les prime et les comprime. Il les prend et les comprend… jusqu’au mot ment où ils retombent occis, morts : ni con, ni compliqué, juste impliqué ! Comme une vache dont on trait le lait jusqu’à la dernière joute (je sais, Michel, ça va de mal en pis !), comme un fruit dont on extrait le jus quoi qu’il en goûte, l’auteur Pascal Mathieu utilise le verbe (qui est dans le fruit) jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien à exprimer, tant il en a épreint le suc jus-que dans ses derniers (heureux)tranchements.

Certes, il joue avec les mots, mais ce n’est pas un jeu : c’est un sport de combat, avec les règles d’un art marital. Certes, il danse avec les mots, mais ce n’est pas un thé-d’encens : c’est, dans l’odeur du sang, un tango des trottoirs de Buenos-Aires, corps et graffé avec la méticulosité d’une autopsie. Certes, il jongle avec les mots, mais ce n’est pas la jungle : l’ivre de la jongle souffle des bulles (de savant) pas pâles sur lesquelles les mots glissent et s’envoient en l’air, juste avant de s’éclater.

Circassien dans l’âme (n’a-t-il pas travaillé avec le compositeur du Cirque Plume, le regretté Robert Miny ?), le franc-comtois est à la fois dresseur (de chimères), à Kro bath (du tangage du langage -et bière de l’être !), antipodiste (cette façon qu’il a de toujours retomber au pied de la lettre !), clone blanc (au masque lunaire d’une classieuse distance), fun en bulles (il ne perd jamais le fil pas rasoir de ses pensées), agrégé des agrès (sans se désagréger : Saint-Trapèze, priez pour lui !) et Monsieur (ô combien) Loyal d’un univers où rien n’est laissé au hasard. Utilisant son stylo habile comme le fouet d’un dompteur, pas squale fait claque-sons et les mots filent doux, comme des vassaux sans gain, sur la piste aux étoiles filantes de ses désirs stylés : « Y a des pays lointains qu’on visite en cachette / Dans des trains clandestins sur sa couchette / On sait que ces voyages déforment la jeunesse / Mais les océans naissent d’un coquillage. » (On revient). « Lové sous le duvet, ce n’est pas l’heure de lire / C’est le moment rêvé pour ne pas s’endormir. » (Il est désir moins le quart)

Point de hasard dans cette façon de faire sonner la langue, si singulière que c’en est devenu un style reconnaissable au milieu de mille autres : parfois impoli, il la polit et la polishe sans jamais la policer. Bref, vous aurez saisi que Pascal Mathieu est un auteur important dans la galaxie de la chanson qu’on aime. Mais, il sait aussi formidablement choisir les compositeurs qui vont musiquer ses mots.

 

(photos DR)

D’ailleurs, dès le début de cette belle soirée d’été du 7 août dernier, dans le cadre des Mardis de la voix de la ville de Dole (concert gratuit => un public nombreux et attentif, il faut le souligner) et dans le superbe écrin du Cloître de l’ancien couvent de la Visitation, le chanteur égrène une jolie liste : Loran Stahl, Romain Didier, Bernard Montrichard, Florent Marchet, Jean-Pierre Pilot et Claude Mairet (ce dernier ayant composé les 3/4 des chansons interprétées ce soir-là). C’est, de surcroît, celui-ci qui va, 1H30 durant, envelopper de ses guitares blues, bossa, rock, jazzy et samba, des chansons qui ne demandent que ça. Régional de l’étape, l’expérimenté instrumentiste, ancien complice de Thiéfaine, est dans son jardin et s’y trouve manifestement à son aise. Et nous aussi ! On sent que ces deux-là se connaissent pas coeur : du coup, le duo fait passer à un public conquis un excellent moment, de concert.

Le sourire et le rire apparaissent fréquemment, par vagues, au gré des poèmes courts ou des proverbes que le maître de cérémonie aime à distiller à l’envi, entre deux chansons. Car c’est sa marque de fabrique à lui, Pascal Mathieu, que de lire moult perles d’esprit délectables. « Après une dispute, vous me quittâtes et vous vous butâtes tant que vous pûtes. » / « Du temps où je suis né, on trouvait dans la mer des poissons moins panés et moins rectangulaires. » / « De mon éducation religieuse, j’ai retenu Prenez et buvez ! » / « On retrouve, dans les filles à papa, les failles à papy. » / « Vichy, c’est l’instinct. » Et le public adore cet exercice de style (introduisant ou succédant à une chanson qui lui correspond) qui tisse ainsi un fil rouge toujours fort à propos.

Bon, vous aurez compris que j’aime Pascal Mathieu et son univers de dandy stancié qui sait faire alterner humour vache et tendresse (pas toujours) partagée.

Mais, j’ai tout de même deux réserves à formuler sur ce que j’ai vu et entendu à cette occasion.

1) des boucles rythmiques pré-enregistrées viennent (trop) souvent accompagner la palette instrumentale de Claude Mairet : je trouve le procédé peu heureux en la circonstance car le musicien chevronné a suffisamment de cordes à sa guitare pour ne pas avoir besoin, me semble-t-il, de ce genre d’artifice ;

2) le chanteur Mathieu n’est pas le meilleur interprète que je connaisse : il a tendance à chanter de façon uniforme, voire monocorde, ce qui me semble dommage, eu égard à la qualité des textes et des musiques qui mériteraient un palette vocale plus variée et plus colorée.

Mais, une fois ces menues réticences évoquées par souci d’honnêteté critique, il faut bien avouer que ce moment de partage collectif fut un vrai plaisir « des mots qui sonnent et des musiques emparolées », pour reprendre le titre d’un festival que l’auteur-chanteur-graphiste avait créé à Buzz en son dans les années 2003-2004 (si ma mémoire est bonne).

Pascal Mathieu est un élégant caustique qui happe aux strophes ses semblables sans encaustique : sincère, il s’insère dans les interstices du quotidien pour les dépiauter avec classe et sans chiquet. Allez, j’arrête ici mes inepties, en caressant juste l’espoir que cet artiste important soit très prochainement reconnu au-delà de ses pairs car au-delà des (a)mers, c’est déjà fait !

3 Réponses à Pascal Mathieu, l’anaristo de la chanson

  1. Norbert Gabriel 16 août 2012 à 7 h 47 min

    C’est bien d’avoir des nouvelles de ce jongleur de mots aux fulgurances d’escrimeur du verbe toujours renaissant d’une descente aux envers… mais contre tout, il rebondit, à l’envers à l’endroit, comme disait Maxime, « Petit tu es saltimbanque, et si tu manques, tu recommenceras… » ou bien tu continueras toncchemin buissonnier d’artiste indompté.
    A un de ces jours vers une scène-Seine ??

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  2. Michel TRIHOREAU 16 août 2012 à 8 h 07 min

    Totalement pardonné, Franck, d’autant plus que :
    - l’ami Pascal est un magicien qui jongle avec les mots tant dans leur forme que dans leur sens et ce titre est totalement justifié dans la forme et dans le sens aussi, sans soucis.
    - Je ne visais pas dans mon propos l’utilisation du calembour, mais seulement l’aspect capillotracté de l’à-peu-près !
    - Mon intention n’était pas de décourager l’auteur du forfait, mais seulement de faire mon intéressant à bon compte (j’ai parfois mes faiblesses).

    Bref, bel article que j’apprécie ! Et chaque fois qu’on dit du bien de Pascal Mathieu ça me réjouit et me met de bonne humeur pour la journée !

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  3. Bonnefon Marion 19 août 2012 à 18 h 34 min

    Bel article à part la seconde réserve à laquelle je n’adhère pas. Pascal Mathieu chante ce qu’il est, comme il est, sa voix et le ton qu’il emploie sont un tout avec ses mots et son personnage! Une voix mélodieuse ne s’accorderait guère avec ses propos, je pense! Sinon merci d’avoir utilisé l’une de mes photos pour cet article (moi aussi j’ai mes faiblesses!) Et encore bravo à l’artiste!!!

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