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Piaf, née comme tout le monde à la maternité

La plaque du 72 rue de Belleville : un mythe, un mensonge, rien de plus !

La plaque du 72 rue de Belleville : un mythe, un mensonge, rien de plus ! (photo DR)

Bientôt le cinquantième anniversaire de la mort de Piaf. Dans la dernière ligne droite, ça s’active comme une machine bien huilée : radio, télés, presse, édition… tant qu’on peut en tirer bénéfices. Il n’y a vraiment que ce couac de l’hommage américain en grandes pompes, que la télé française diffusera en léger différé : Aznavour devait présider une soirée new-yorkaise en hommage à la môme Piaf, composée tant d’artistes américains que français. Fort de sa récente mésaventure à Narbonne lors du festival Trenet, colère pas encore apaisée, le grand Charles a tout annulé.

 

9782213668819_1_75La presse fait actuellement grand cas d’une grosse biographie de 700 pages, parue chez Fayard : Piaf, un mythe français de Robert Belleret. Comme un seul homme, les journaux impriment tous l’article de l’AFP qui titre « Une biographie approche la vérité du mythe Piaf » et en livrent quelques scoops, dont l’une des pièces maîtresse de cette bio : sa naissance. « Ainsi, contrairement à ce qu’elle a toujours affirmé, Edith Gassion n’est pas née dans la rue le 19 décembre 1915, mais à l’hôpital Tenon, dans le 20e arrondissement de Paris. » Le prière d’insérer de l’éditeur racole pareillement : « (…) un éclairage nouveau sur sa naissance, ses origines familiales (…) » C’est ça le scoop ? Il est doué ce monsieur Belleret d’avoir trouvé ça, d’avoir déniché l’exclusivité. Il n’est pas allé bien loin, pour trouver, seulement dans les pages 139 et 140 du numéro 5 de Chorus (daté de l’automne 1993), dossier Edith Piaf, sous la plume de notre regretté confrère Marc Robine, dossier dont voici un extrait :

« Mais pour que la légende soit parfaite, encore fallait-il que les premiers chapitres de l’épopée parussent à la hauteur de la suite (…). Comme, par exemple, cette naissance sur le trottoir, devant le 72 de la rue de Belleville où une plaque de marbre commémore désormais « l’événement » : « Sur les marches de cette maison naquit le 19 décembre 1915, dans le plus grand dénuement, Edith Piaf dont la voix, plus tard, devait bouleverser le monde. » Il s’agit là d’un point exemplaire de la manière dont les faits se transmettent et se transforment, dès qu’il s’agit de « La Môme ». Piaf, elle-même, accréditait cette histoire, qui se résume à peu près à ceci : sentant venir ses premières douleurs, sa mère – Anita Maillard, dite Line Marsa – serait partie en compagnie de son mari – Louis Gassion – vers l’hôpital le plus proche. Prise de court par l’accouchement, elle se serait alors réfugiée dans une encoignure de porte, tandis que le père courrait chercher une ambulance. Quête fébrile, interrompue par plusieurs haltes dans les bistrots du quartier, pour célébrer d’avance l’heureux événement ; si bien qu’il ne serait revenu sur place, complètement ivre, que bien après la délivrance de sa femme !

Peu soucieux de vérification, la plupart des biographes de Piaf (…) ont donc repris l’anecdote telle quelle : au point que celle-ci fasse aujourd’hui figure de version officielle. D’où la fameuse plaque commémorative de la rue de Belleville…

LES MYTHES DANS LE PLACARD DU JOURNALISME Y’a-t-il, mesdames messieurs de la presse, plusieurs catégories de mythes dans la chanson ? Ceux qu’il faut désormais démystifier et les autres qu’il faut sagement laisser en l’état. Cinquante ans après sa mort, il est de bon ton de lister les couleuvres, les bobards qu’on nous a fait avaler sur Piaf. De nous dire avec une franchise confondante qu’on nous a menti, Piaf la première, et son entourage, et la presse qui a validé tous les mensonges, sans jamais creuser le sujet. Il était sans doute trop tôt, il y a pile vingt ans, quand Robine publiait dans Chorus son travail d’enquête qui est un des plus beaux exemples de ce qu’est, de ce que devrait être un journaliste, un vrai. Ça doit être ça, le délai, la prescription. Il faut donc attendre un demi-siècle après le trépas du chanteur pour qu’on daigne dire la vérité, sans s’excuser des mensonges qu’on a pu valider,  colporter, de sa déontologie oubliée, toute honte bue.  J’en connais un qui n’a rien compris en enquêtant sur Lavilliers, sur ses bobards, son mythe. Faudra dire à Kemper qu’il aurait dû attendre cinquante ans après la mort du Stéphanois pour publier et être (enfin) suivi par ses estimables et très professionnels confrères de la presse. Avec pas mal de décennies d’avance, le livre est toujours disponible. On peut même commander « Les Vies liées de Lavilliers » (Flammarion, 2010) à son auteur.

Les mythes et les mites dans le placard du journalisme
Y’a-t-il, mesdames messieurs de la presse, plusieurs catégories de mythes dans la chanson ? Ceux qu’il faut désormais démystifier et les autres qu’il faut sagement laisser en l’état.
Cinquante ans après sa mort, il est de bon ton de lister les couleuvres, les bobards qu’on nous a fait avaler sur Piaf. De nous dire avec une franchise confondante qu’on nous a menti, Piaf la première, et son entourage, et la presse qui a validé tous les mensonges sans jamais creuser le sujet. Il était sans doute trop tôt, il y a pile vingt ans, quand Robine publiait dans la remarquable revue Chorus son travail d’enquête qui est un des plus beaux exemples de ce qu’est, de ce que devrait être le journalisme chanson, le vrai.
Ça doit être ça, le délai, la prescription. Il faut donc attendre un demi-siècle, pas moins, après le trépas du chanteur pour qu’on daigne enfin dire la vérité, sans toutefois s’excuser des mensonges qu’on a pu valider, colporter, de sa déontologie oubliée, toute honte bue.
J’en connais un qui n’a rien compris en enquêtant sur Bernard Lavilliers, sur ses bobards, son mythe, plus important encore, plus fécond que celui de la môme Piaf, c’est dire. Faudra dire à Kemper qu’il lui fallait attendre cinquante ans après la mort du Stéphanois pour publier et être (enfin) suivi, relayé, par ses estimables et très professionnels confrères de la presse qui se sont (presque) tous tus, les doigts sur la couture du pantalon : il ne faut en rien gêner le bizness et ses codes qui tous nous régissent.
Avec pas mal de décennies d’avance, le livre est toujours disponible. On peut même commander Les Vies liées de Lavilliers (Flammarion, 2010) à son auteur (michel.kemper@laposte.net) qui se fera le grand plaisir de vous le dédicacer.

Une quinzaine d’années après la mort de la chanteuse, Monique Lange (dont le livre Histoire de Piaf reste, malgré plusieurs erreurs factuelles ou chronologiques, l’un des plus intéressant sur le sujet) semble pousser l’enquête un peu plus loin. Edith est toujours née sur son bout de trottoir, mais nous apprenons qu’une « infirmière habitant à quelques centaines de mètres de là, au 4 rue de la Chine, coupera, en l’absence du père, le cordon ombilical de la petite fille… » Une information qui, à son tour, sera largement reprise (…) ; comme si ces biographes n’avaient d’autres (res)sources que de se copier les uns les autres. Or, poussant la curiosité jusqu’à la rue de Chine, dans le XXe arrondissement, que trouvons-nous au numéro 4 ? Certainement pas l’ancien logis d’une simple infirmière, ni même d’une sage-femme, mais tout un hôpital : l’hôpital Tenon et sa maternité.

A ce niveau, deux cas de figure : soit Louis Gassion s’est saoulé de bar en bar, n’atteignant jamais l’hôpital recherché, ce qui exclurait la présence sur place de toute personne déléguée par Tenon ; soit il s’y est bel et bien présenté, auquel cas ce n’est pas une infirmière qui aurait été dépêchée vers la future mère, mais plutôt une ambulance, pour la transporter d’urgence à la maternité. En réalité, l’ambulance n’aura même pas à se déplacer car, soutenue par deux agents de police du commissariat voisin, Anita Maillard finira par atteindre le 4 rue de Chine, où son accouchement sera supervisé par le docteur Jules Defleur, assisté de l’interne de service Jacques Govier et d’une sage-femme nommée Jeanne Groize, ainsi qu’en témoignent les registres de l’établissement »

Et notre ami Marc Robine d’ajouter, avant de poursuivre ce dossier biographique : « Quand la vérité disparait sous la légende… Le mécanisme clairement démonté, il sera plus facile ensuite de passer sur d’autres fantaisies du même tonneau, reprises avec un bel ensemble par les biographes successifs. »

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Quelques autres livres millésimés 2013 sur Edith Piaf à l’étal de votre libraire : Piaf par ses chansons, Christian-Louis Eclimont, La Martinière, 2013 ; Piaf, Simone Berteaut, Robert Laffont, 2013 ; Le dernier amour d’Edith Piaf, Christie Laume, L’Archipel, 2013 ; Moi  pour toi, lettres d’amours, Edith Piaf et Marcel Cerdan, Le Cherche-midi, 2013 ; Edith Piaf, Patrick Mahé et Philippe Morin, 2013 ; Edith Piaf, Charles Dumont, 2013 ; Edith Piaf, une histoire vraie, Pierre Pernez, City, 2013 ; Edith Piaf, Christopher Burke, Bartillat, 2013 ; Piaf, la môme, Pierre Hiegel, 2013 ; La vraie Piaf, témoignages et portraits inédits, Bernard Marchois, Ed Didier Carpentier 2013 ; Edith Piaf, Albert Bensoussan, poche Gallimard, 2013 ; Piaf-Trenet, le diner extraordinaire, Jacques Pessis, Don Quichotte, 2013 ; Edith Piaf, une vie en adresse, Sand, 2014.

 

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8 Réponses à Piaf, née comme tout le monde à la maternité

  1. Norbert Gabriel 10 septembre 2013 à 9 h 47 min

    C’est quand même étonnant qu’un journaliste comme Robert Belleret qui a écrit la bio « de référence » de Ferré n’ait pas eu plus de rigueur dans la documentation préalable à la rédaction de cet ouvrage, c’est le moins qu’on puisse dire.
    Dans les ouvrages précédents sur Piaf, il y a au moins un livre de référence, extrèmement bien documenté, sans aucune faille, c’est « PIAF » par Pierre Duclos et Georges Martin qui en 1993 faisait le point sur cette histoire, avec tous les détails très précis. Et le relevé de toutes les balivernes reprises régulièrement. Un exemple, un « témoin » Denise Gassion, la demi soeur, dit qu’on a cassé la vitre de la borne d’appel pour appeler une ambulance… Oui mais les bornes d’appel n’ont pas encore été inventées en 1915…
    Détail mineur, certes, mais ça situe bien le niveau d’affabulation des « témoins » qui refont l’histoire.
    Et dans ce livre on trouve aussi la liste détaillée de toutes les chansons; enregistrées, ou non, essayées mais jamais chantées en public, avec les dates précises, les références studio, et tout, un vrai livre sérieux, fiable, dû à l’association du documentaliste le plus expert sur Edith Piaf, Georges Martin, et mis en forme par Pierre Duclos journaliste écrivain.
    Dernière note, c’est Montand qui a été indirectement à l’origine de ce livre, en « disputant » avec Hamon et Rotman sur une date le concernant, et concernant Edith, il les a envoyés chez ce type extraordinaire Georges Martin, qui sait absolument tout sur Piaf.

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  2. Danièle Sala 10 septembre 2013 à 11 h 07 min

    Elle est donc née dans une maternité …Merci de rappeler cette vérité …Comme la plupart des bébés, mais pas tous, mon petit fils Benoît est né dans une Clio à Marseille par exemple .

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    • Norbert Gabriel 10 septembre 2013 à 18 h 16 min

      Benoit est donc « né quelque part » sous le signe des « oiseaux migrateurs »? Et sous le signe de Clio qui chante l’histoire … Et hop, un futur saltimbanque balladin ?

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  3. Fred Hidalgo 10 septembre 2013 à 18 h 38 min

    Je me souviens de Marc Robine me disant : « Quand même, l’histoire est trop belle… » et de se mettre en chasse de la maternité la plus proche. Il eut vite fait, à l’hôpital Tenon, de tomber sur le registre des naissances avec le nom de la mère et du bébé, et même celui de la sage-femme qui procéda à l’accouchement !
    C’était ça en effet, notre travail journalistique à Chorus. Et d’abord à « Paroles et Musique » dans les années 80, car la conversation évoquée ci-dessus eut lieu entre Marc et moi non pas en 1993 mais au printemps 19… 83 !
    Dix ans avant le dossier Piaf de Chorus, nous consacrions déjà un dossier spécial à « la Môme » dans P&M (avec entre autres le premier texte de chanson d’Allain Leprest publié dans la presse nationale : c’était « Edith » bien sûr, chanson alors inédite)…
    Malgré cela, les biographes continuèrent de colporter la légende plutôt que la vérité (et je comprends que Michel Kemper en ait gros sur la patate, comme on dit)…
    NB. pour ceux qui ont ce beau numéro de Paroles et Musique avec une magnifique couverture signée Kiffer, et qui se piqueraient de vérifier ce que j’ai écrit plus haut, l’info de la naissance d’Edith Giovanna Gassion à l’hôpital Tenon, situé de Chine, à quelques centaines de mètres de la rue de Belleville, est publiée noir sur blanc en page 33 au début de l’article intitulé « Sa vie, sa légende » (ce qui, déjà, annonçant une certaine dichotomie entre l’une et l’autre).

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    • Norbert Gabriel 10 septembre 2013 à 19 h 34 min

      Merci pour la précision concernant l’antériorité de Marc Robine dans cette recherche, je n’ai pas pensé à aller voir dans ‘Paroles et Musiques » seulement dans le dossier du Chorus N°5 de 1993.

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  4. Michel Trihoreau 10 septembre 2013 à 18 h 46 min

    Un autre problème se pose à ce sujet : Peut-on rétablir la vérité lorsque la légende est ancrée dans l’opinion publique (ou dans la pensée commune) ? La vérité est souvent nue et si elle paraît ainsi plus belle aux yeux décomplexés, il n’en est pas de même aux regards forgés par les maîtres à penser de tous poils. Ceux-ci habillent la légende d’oripeaux clinquants, de fanfreluches et colifichets chatoyants qui semblent aux esprits simples beaucoup plus attrayants.
    Plus les temps sont durs et plus les gens dépourvus ont besoin de chimères. Les mythes triomphent depuis toujours, car les temps sont durs depuis toujours ! Ainsi, malgré de nombreuses recherches sérieuses qui dérangent l’Histoire, on ne peut pas dire que Jeanne d’Arc n’a pas été brûlée, que c’est Corneille qui a écrit les meilleures pièces de Molière, que les cendres des Invalides ne sont pas celles de Napoléon, que Bernard Lavilliers… etc.
    Alors, posons-nous la question : A quoi sert la vérité si personne n’en veut ? Ou plus subtilement : A-t-on le droit d’insérer le doute, parmi les certitudes établies, s’il risque de déstabiliser la société ?
    Bien sûr, j’ai ma propre réponse à cette dernière question, mais je ne suis pas certain d’avoir raison.

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  5. Michel Kemper 10 septembre 2013 à 18 h 56 min

    Eh oui, dix ans plus tôt ! sur Paroles et Musique ! Je n’étais pas remonté aussi loin, Fred.

    Sur Lavilliers, j’en n’ai pas gros sur la patate, mais j’aime bien dire comment fonctionne cette presse et dénoncer, pour en avoir été témoin un peu « privilégié », quelques comportements pour le moins stupéfiants. Le cas Piaf (je crois justement que je le donne pour exemple dans Les vies liées de Lavilliers) m’en donne l’occasion et je ne m’en prive pas. C’est un honneur que d’être de cette école Chorus : parfois on en paye le prix, le vrai travail journalistique n’étant, tu le sais, pas toujours payé en retour. Si c’était le cas, Chorus existerait encore.

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  6. Danièle Sala 10 septembre 2013 à 21 h 27 min

    Je préfère toujours la vérité à la légende , même si la légende est belle , et ce n’est pas le cas en ce concerne la naissance d’Edith Piaf . Pourquoi inventer des faits qui n’ajoutent rien à son talent ? Et Jeanne d’Arc n’aurait pas été brûlée ? Peut on avoir des précisions ? Et les cendres de Napoléon ? Tss…On ne nous dit pas tout ! Pour Lavilliers , ça je sais, j’ai lu le livre de Michel Kemper !

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