Chants Ouverts 2025. Bernard Joyet, en surclasse

Bernard Joyet (photo d’archives Vincent Capraro)
25 avril 2025, mairie de Saint-Vincent-de-Durfort (Ardèche),
Si certains de ses collèges tournent notoirement au litron, lui c’est au Littré qu’il ingère chaque jour ses doses. On imagine la posologie : bien dix pages par jour, sans doute plus les dimanches, jours fériés et obsèques papales. Ça et toutes autres encyclopédies universelles aux pages jaunies, aux mots alambiqués, aux sens délicatement tordus, comme les ceps de vigne ou les doigts d’un arthrosé. Que voulez-vous, c’est un érudit. Même si d’emblée il le nie allant même jusqu’à sciemment nous tromper: « Au championnat des ignorants / Je surclasse les concurrents », comme si on pouvait l’être plus encore que Vianney ou Luciani… Ne le dirait-il pas pour se rendre intéressant, mentant plus encore qu’un arracheur de dents, qu’un Lavilliers ou un vendeur de poiscaille pas fraîche ?
Voici monsieur Joyet, Bernard, pour l’heure parrain de ce petit festival, juché sur une scène étroite ornée d’un tapis pas même persan, un peu comme ces scènes qu’il fréquenta jadis dans les minuscules cabarets parisiens, antichambres de son immortelle gloire (là encore, il se plaît à minauder comme une jeune vierge, à minorer comme un faux-cul : « Je n’ai pas cette espérance / Ni le talent ni l’attirance / Ni l’ambition / D’avoir pignon sur dictionnaire »). Avec à ses côtés un pianiste excessivement doué, le nantais et nanti Martin Le Ray, avec qui il partage cet espace vital contraint et sans doute sa maigre pitance.
Joyet est comme Monsieur Jourdain, un sachant qui ne le sait pas. Ou ne veut pas le savoir. Dont le propos ne sent pas la prose et dont les vers grouillent en d’inextricables monologues qui tous retombent sur leurs pieds, pas même des alexandrins.

A Saint-Vincent-de-Durfort (photo Daniella Coletta)
Il est chanteur, et c’est même à ce titre qu’il se trouve là. Enchanteur de surcroît. Etrange artiste, orpailleur de mots, inclassable. D’une fausse décontraction, exerçant son biznesse avec l’art et la manière de ne pas le faire, de ne pas y toucher. La grande classe.
Là encore, et moins qu’aux autres, on ne refera sa prestation par écrit. Ceci est un billet impressionniste, pas un procès verbal. Et je n’aurai de toute façon pas assez de touches sur mon clavier Azerty pour tout restituer, faux-semblants, subtilités et fourberies inclus. Le diable vous embobine dans l’élégante tournure de ses mots, comme Kaa le serpent du dessin animé vous hypnotise du regard, et d’un coup, de mille coups, vous assène de bonnes vérités (comme sur ces élus aux promesses gasconnes qui se croient Cyrano et ne sont que Pinocchio), des grandes sagesses de grand-sachant : c’est que Joyet vise bien, tel Tell de son carreau d’arbalète, toujours à bon escient.
Fuyez Joyet, ce dégoulinant, ce déroutant de pur talent qui pourrait vous faire considérer tout autre chanteur que lui pour piètre débutant. A être trop bon, il tuerait presque les vocations. Et si je ne vous convainc pas, allez l’applaudir cet été en ouverture de Barjac m’enchante : il y fanfaronnera sur la grande scène.
Le site de Bernard Joyet, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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