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Effrontées sans frontières

Evasion hier en Avignon (photos Catherine Cour)

Evasion hier en Avignon (photos Catherine Cour)

Venir au Festival d’Avignon pour parler chanson, c’est comme aller aux toilettes pour lire : ce n’est pas la raison principale pour laquelle on est là mais, résultat des courses, on peut en ressortir libéré et enchanté…

En allant voir la dernière création d’Évasion, « Frente » (« face au monde » en espagnol), dans ce cadre si particulier d’Avignon, je me demandai si j’allais pouvoir faire un article pour NosEnchanteurs : en effet, ces cinq femmes qui, depuis bientôt vingt-cinq ans (soit leur prime adolescence), frottent et confrontent leurs cordes vocales et leur moral d’acier aux incertitudes, aux vicissitudes et aux turpitudes d’un monde sans pitié, chantent là dans une dizaine de langues. Du coup, évoquer leur travail sur ce site consacré à la chanson d’expression francophone pourrait paraître quelque peu déplacé. Mais, ne serait-ce pas en transposant de quelques degrés nos points de vue que nous serions précisément en mesure de le changer, ce monde qui revêt trop souvent le masque d’une sauvagerie, dont même les animaux ne savent pas se parer ?…

Dans une mise en scène épurée (trop, peut-être ?) de Fred Radix, avec les lumières de (la toujours inspirée) Julie Berthon et la direction musicale (très juste) de Pascal Berne, les cinq complices prouvent qu’elles ont plus d’un tour de chant dans leur sac à pulse. Et elles ne se gênent pas pour le vider devant un public attentif et conquis. En ce jour d’arrivée du Tour de France, elles nous font faire le tour de la question, dans un tour du monde vocal qui parvient à articuler le local au global, sans chichi et sans détour. Tour-opérator citoyen, ces guides captivantes ne nous font pas voir notre planète pas nette depuis une tour d’ivoire, mais à hauteur de femme. Ce qui est bel et bien la juste et bonne distance !

Leur adresse est directe, sans complaisance et non dépourvue d’habileté. Lorsqu’un chant en arabe consacré à la désormais célèbre Place Tarir succède à un chant en hébreu, le message est d’une simplicité biblique : pourquoi tant de haine entre des peuples frères qui ont pourtant de tous temps vécu ensemble ? Même si on ne comprend évidemment pas tout ce que racontent ces étranges étrangères, le choix des chants français (peu ou prou la moitié du répertoire) éclaire le spectacle d’un halo qui n’est pas téléphoné et qui nous parle : c’est sans fard et le discours (sous les dehors d’une poésie faussement naïve) se révèle ici cash et efficace. Là où certains se contenteraient de laisser glisser puis couler le monde à sa perte, Anna, Gwen, Loul, Souris et Talia l’ouvrent grand, fort et bien ! Mais, ce qu’elles font, ce n’est pas juste gueuler pour hurler avec les loups : non, entre chiennes et louves, elles chantent (avec justesse et subtilité) les déséquilibres d’un monde distendu où seuls les funambules aguerris ne tombent pas. Et leur boulot à elles, c’est de tendre des fils -là où la toile d’art est niée- pour faire passerelle. Mieux qu’une analyse géopolitique, leur stratégie, c’est de chanter le monde en chantier pour qu’il redevienne enchanté.

66Tout ça, c’était pour le fond ; à présent, la forme…

Mais, quelle beauté et quelles beautés ! En effet, c’est sans effet et tout de noir vêtues que ces cinq créatures (au sens biblique du terme), nous traînent et nous entraînent dans une folle farandole. Si elles piaffent d’impatience devant l’impuissance des sans-voix, c’est emportées par la houle de leur (heureux) sentiment, qu’elles transfigurent un monde haineux et injuste en une fresque sonore qui s’honore de leurs intentions. C’est sans tic et dans une esthétique visuelle et vocale épurée que la fraîcheur, la délicatesse et la distinction de leur art se trouvent magnifiées. Les arrangements sont juste… justes, les timbres (« hot libérés ») oblitérés et le rythme enlevé tout à fait adapté au propos (ça, c’est pour rendre à Radix…).

Ces « vieilles routières du spectacle » (ne voyez là rien de péjoratif dans cette appellation, l’idée étant simplement de souligner leur maturité en matière de présence sur un plateau) ont su conserver une fraîcheur réjouissante et apaisante. Ce qui leur permet de faire passer un message de liberté, d’égalité et de fraternité « uni vers celles ». Et c’est avec une « Marseillaise » apaisée (version Chanson Plus Bifluorée) que ces belles dames (unies comme les cinq doigts de l’humain) concluent en douceur et en beauté leur « Déclaration des Droits de l’Âme ». Et nous, on en ressort juste libérés et enchantés.

 

4 Réponses à Effrontées sans frontières

  1. Marc POMMIER 22 juillet 2013 à 16 h 28 min

    Que rajouter de plus ? Allez, les voir, et le spectacle proposé est bien le petit frère des autres dans cette belle diversité du monde, tel qu’ il devrait être !

    22 ans que je suis leurs concerts ! quelle évolution !!!! et pourtant, elles étaient tombées dans la potion magique des chants toutes petites !

    Daniel GASQUET m’a confié un petit secret : une possibilité de rééditer leur première cassette ! Je souscris largement à cela ! Et Michel KEMPER en avait réalisé à plus d’une reprise dans chorus !

    Enchantez-nous ! Et bravo Frank pour ce beau témoignage.

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  2. Michel Kemper 22 juillet 2013 à 17 h 20 min

    Evasion fait partie de NosEnchanteurs depuis longtemps, depuis toujours, quand bien même nos cinq dames s’en vont explorer le monde en versions originales. On retrouve les précédents articles ici : http://www.nosenchanteurs.eu/index.php/tag/evasion/
    Pour ma part, j’ai beaucoup écrit sur elles. Et j’écrirais encore beaucoup…

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  3. Norbert Gabriel 22 juillet 2013 à 18 h 42 min

    Premier souvenir découverte de ces enchanteresses, c’était aux Francos: 96 ou 97 « au fil des voix » … dans la salle Bleue, il me semble.. et depuis, notre histoire continue … Mon coeur ne balance pas, c’est tout ou rien !

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  4. Danièle Sala 22 juillet 2013 à 19 h 45 min

    Et dire que je les connais seulement depuis  » Des nuits noires de monde » ! cet article ne peut que donner envie d’aller voir et surtout écouter sur scène « ces belles dames unies comme les cinq doigts de l’humain » . Une très belle image !

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