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Sur Napoléon et la chanson…

Tableau de Jacques-Louis David (extrait)

Tableau de Jacques-Louis David (extrait)

« Le dos voûté, toujours dispos,
Figure blême,
Sans diadème,
Petite de taille et le front haut,
A la forme de son chapeau
Reconnaissez-vous le héros ? »
(Portrait de Napoléon, sur l’air de Rendez-moi mon léger bateau)

« Je vais vous chanter quelques traits
De notre fameux capitaine,
Qui fut empereur des Français
Et qui mourut à Saint-Hélène. (bis)
Il aimait beaucoup les combats
Et n’était pas fier à la guerre,
Il partait avec les soldats
Et mangeait leurs pommes de terre »
(Les pommes de terre de Napoléon, sur l’Air de l’Angélus)

Telle des images, pieuses ou d’Épinal, parfois les deux, la chanson a longtemps été confinée à la seule propagande du pouvoir : comme ces images, elle pénétrait au cœur des maisons. Mais pas n’importe quelles chansons : il fallait qu’elles soient au mieux agréés, au minimum tolérées par le pouvoir. Gare à celui qui écrivait et chantait d’autres vers que ceux validés par la censure…

En ces temps de bicentenaire de la mort du despote Napoléon 1er, les plumitifs sont de la fête et sur les plateaux télé : il convient de célébrer le courage, les vertus et la grandeur d’un homme petit. L’Histoire de France a toujours été modelée par les pouvoirs en place. Jupiter aurait-il des rêves impérieux et impériaux, toujours est-il que c’est à la célébration de Napoléon qu’il s’est attelé, non à celle de La Commune. Et nos grands médias servent ce brouet qui célèbre la grandeur du pays.

Le texte du livret de ce disque des Lunaisiens (lire ci-contre la critique de cet album par Robert Migliorini) peut laisser à penser qu’il n’y aurait eu, peu ou prou, chez les chansonniers, que des laudateurs de l’empereur. Et que s’il y a eu sévices, répression, c’est envers eux (et seulement eux) après coup : « nombre de chansonniers furent de fervents défenseurs de l’empereur, continuant de sanctifier son image dans des caveaux secrets sous la Restauration – alors que l’on sanctionne ceux qui chantent des refrains comme Les Souvenirs du Peuple et Sainte-Hélène de Béranger ou le fameux Te souviens-tu d’Émile Debraux… »

SI NAPOLÉON M’ÉTAIT CHANTÉ . L’ensemble vocal et instrumental Les Lunaisiens aime puiser régulièrement dans les archives de la chanson populaire pour nous en faire apprécier les pépites parfois oubliées. Au fil du temps ils ont évoqué les chants révolutionnaires de 1789 et plus récemment, Brassens et Boris Vian. En cette année du bicentenaire de sa mort c’est avec Napoléon que l’ensemble réunissant des voix lyriques marque une nouvelle étape digne des NosEnchanteurs d’antan et de toujours. Le destin du petit caporal devenu empereur a inspiré nombre de chansons. Tant de son vivant qu’après. Plusieurs milliers de couplets ont été écrits rappellent les promoteurs de cet album. Le plus souvent écrit sur l’air d’un autre titre déjà connu (un « timbre »). C’est ainsi que nombre de chansonniers ont réécrit à leur façon la saga Napoléon. Les pour comme les contre ne ménageant pas leur peine. Les fervents défenseurs de l’empereur comme Emile Debraux Te souvients-tu (sur l’air de Joseph Denis Roche), ou encore Les Français du général Bonaparte (sur l’air de Ca ira de Bécourt) se mesurant aux farouches partisans de la royauté. Comme dans « Les mérites de Bonaparte » (sur l’air de Jardinier ne vois-tu pas), La campagne de Russie (Delmase, sur l’air d’Il était un petit homme). Politique quand tu nous fais chanter ! Dans le parcours proposé par Les Lunaisiens, accompagnés par des instruments historiques confiés par le Musée de la musique de la Philharmonie de Paris aux Cuivres Romantiques, on trouve des chansons connues en leur temps. Comme la Chanson de l’oignon (que l’on aime parce qu’il est bon !) évoquant la bataille de Marengo ou « Les pommes de terre » (sur l’air de l’Angélus) célébrant ce général, si proche de ses soldats qu’il en partage le frugal en-cas de campagne. L’armée encore, côté sombre,  avec Le conscrit  et la bataille de Waterloo (sur l’air de La Rosière, une contredanse du XVIIIème siècle). Pierre Jean de Béranger est bien représenté dans cet album avec la chanson posthume Sainte-Hélène (sur l’air de La République) et le classique Les souvenirs du peuple qui valut à son auteur des soucis avec la censure royale. Une chanson maintes fois reprises.  La légende chansonnière napoléonienne ne s’est pas seulement forgée que sur les champs de bataille ou les palais de l’époque. La rue et ses chansons populaires et le salon avec la romance sont au programme. Sabine Devieilhe interprète le tombeau de Joséphine (sur l’air du Bon Pasteur d’Antoine Romagnesi) ou les  Adieux d’une Mère (mise en musique par Hortense de Beauharnais). On peut encore entendre des pièces originales de Buhl, Cherubini et autres musiques militaires. Cuivres, percussions, orgue de barbarie, serpent (ancêtre du tuba) et autres instruments d’époque habillent ces chansons populaires. Comme l’explique encore Arnaud Marzorati, baryton et directeur artistique des Lunaisiens, la complexité du personnage Napoléon n’a d’égal que la force de son destin, écrivant depuis son île prison : « Si je fusse mort sur le trône, dans les nuages de la toute –puissance, je serai demeuré un problème pour bien des gens ; aujourd’hui, grâce au malheur, chaque heure me dépouille de la peau de tyran ». Le consensus n’est toujours pas de mise concernant cette figure de l’Histoire française :  lors de la récente commémoration de la mort de Napoléon, nombre d’échos ont fait référence à celui qui a rétabli l’esclavage. Ombres et lumières. Comme dans la chanson. ROBERT MIGLIORINI Sainte-Hélène, la légende napoléonienne. Les Lunaisiens. 23 titres. Muso Le site : https://www.leslunaisiens.fr/ www.cuivresromantiques.com

SI NAPOLÉON M’ÉTAIT CHANTÉ
.
L’ensemble vocal et instrumental Les Lunaisiens aime puiser régulièrement dans les archives de la chanson populaire pour nous en faire apprécier les pépites parfois oubliées. Au fil du temps ils ont évoqué les chants révolutionnaires de 1789 et plus récemment, Brassens et Boris Vian. En cette année du bicentenaire de sa mort c’est avec Napoléon que l’ensemble réunissant des voix lyriques marque une nouvelle étape digne des Enchanteurs d’antan et de toujours.
Le destin du petit caporal devenu empereur a inspiré nombre de chansons. Tant de son vivant qu’après. Plusieurs milliers de couplets ont été écrits rappellent les promoteurs de cet album. Le plus souvent écrit sur l’air d’un autre titre déjà connu (un « timbre »). C’est ainsi que nombre de chansonniers ont réécrit à leur façon la saga Napoléon. Les pour comme les contre ne ménageant pas leur peine. Les fervents défenseurs de l’empereur comme Emile Debraux Te souvients-tu (sur l’air de Joseph Denis Roche), ou encore Les Français du général Bonaparte (sur l’air de Ca ira de Bécourt) se mesurant aux farouches partisans de la royauté. Comme dans Les mérites de Bonaparte (sur l’air de Jardinier ne vois-tu pas), La campagne de Russie (Delmase, sur l’air d’Il était un petit homme). Politique quand tu nous fais chanter !
Dans le parcours proposé par Les Lunaisiens, accompagnés par des instruments historiques confiés par le Musée de la musique de la Philharmonie de Paris aux Cuivres Romantiques, on trouve des chansons connues en leur temps. Comme la Chanson de l’oignon (que l’on aime parce qu’il est bon !) évoquant la bataille de Marengo ou Les pommes de terre (sur l’air de l’Angélus) célébrant ce général, si proche de ses soldats qu’il en partage le frugal en-cas de campagne. L’armée encore, côté sombre, avec Le conscrit et la bataille de Waterloo (sur l’air de La Rosière, une contredanse du XVIIIe siècle). Pierre Jean de Béranger est bien représenté dans cet album avec la chanson posthume Sainte-Hélène (sur l’air de La République) et le classique Les souvenirs du peuple qui valut à son auteur des soucis avec la censure royale. Une chanson maintes fois reprises.
La légende chansonnière napoléonienne ne s’est pas seulement forgée que sur les champs de bataille ou les palais de l’époque. La rue et ses chansons populaires et le salon avec la romance sont au programme. Sabine Devieilhe interprète Le Tombeau de Joséphine (sur l’air du Bon Pasteur d’Antoine Romagnesi) ou les Adieux d’une Mère (mise en musique par Hortense de Beauharnais).
On peut encore entendre des pièces originales de Buhl, Cherubini et autres musiques militaires. Cuivres, percussions, orgue de barbarie, serpent (ancêtre du tuba) et autres instruments d’époque habillent ces chansons populaires.
Comme l’explique encore Arnaud Marzorati, baryton et directeur artistique des Lunaisiens, la complexité du personnage Napoléon n’a d’égal que la force de son destin, écrivant depuis son île prison : « Si je fusse mort sur le trône, dans les nuages de la toute –puissance, je serai demeuré un problème pour bien des gens ; aujourd’hui, grâce au malheur, chaque heure me dépouille de la peau de tyran ».
Le consensus n’est toujours pas de mise concernant cette figure de l’Histoire française : lors de la récente commémoration de la mort de Napoléon, nombre d’échos ont fait référence à celui qui a rétabli l’esclavage. Ombres et lumières. Comme dans la chanson.
ROBERT MIGLIORINI

Attention à ne pas réécrire l’Histoire, outrageusement la farder pour la faire coller au « récit national » du moment. Certes il y eut des chansonniers acquis à l’empereur, au premier rang desquels l’immense Pierre-Jean de Béranger, notoire bonapartiste. Mais il y eu sans doute tout autant voire bien plus de détracteurs du tyran parmi la gent chansonnière. Napoléon est responsable de la mort de tellement d’individus (on estime que trois millions d’hommes et de femmes seraient morts durant les seules guerres napoléoniennes) que quelques centaines de rimailleurs poètes contestataires, des beatniks d’avant l’heure, ne pèsent pas bien lourd dans une telle comptabilité. Mais il faut que ce soit dit même si ça entache la « légende ».

Ni Bonaparte ni Napoléon ne semblaient supporter les chansons qui éraillent, doutent, contestent, nient. Il ne s’en fallait pas de beaucoup pour encourir les foudres du dictateur. C’est ce qui arriva au chansonnier Desorgues, enfermé à l’asile des fous où il finira par mourir, au seul crime d’avoir écrit une chanson dont le refrain disait : « Oui, le grand Napoléon / Est un grand caméléon ». La censure impériale était implacable, sans nuance. Certes, les chansonniers n’étaient pas fusillés : Napoléon considérant qu’ils avaient perdu l’esprit, ils finissaient tous par pourrir dans les sous-sols des hôpitaux psychiatriques. Poutine, Erdogan et Jong-un ne font que copier-coller le bon goût français : ce n’est même pas de l’Empire en pire.

Ce que nous connaissons des chansons sur Napoléon est pour l’essentiel postérieur au décès de l’empereur, chansons éditées plusieurs années (ou décennies) après dans des chansonniers (le mot désigne ici des recueils de chansons) dans le but – l’oubli aidant – de réhabiliter Napoléon et de forger sa légende. Bien entendu que n’y figure aucune chanson « contre »…

Ce court rappel pour dire qu’en plus d’être le sanguinaire conquérant qu’on sait, Napoléon fut un assassin résolu, un serial killer, de la chanson. Une chanson qui, de tout temps, à dérangé les pouvoirs en place. Qu’on se rassure, la censure sera toute aussi forte sous la Restauration : on emprisonne les chansonniers par fournées entières. Il faut dire que la chanson est par excellence la gazette du peuple, qui tient les masses en haleine et garde les esprits en éveil… Elle est en conséquence sévèrement réprimée…

Ce « danger d’ordre public » que représente la chanson trouvera enfin sa solution la plus radicale moins d’un siècle après Napoléon. Pour dévitaliser la chanson, la déradicaliser, on en confiera le sort au show-bizness : par l’industrie du microsillon et celle du spectacle. Voyez le résultat deux siècles après : comment, désormais, la chanson est docile, inoffensive…

« …et cet homme avait nom Napoléon, le grand, et tout ce que la France a compté de poètes, tous les Victor Hugo, ont chanté ses conquêtes… » (Maurice Rostand, 1928)

 

Pour utile rappel, la définition du mot « Légende » sur le dictionnaire Larousse : « Récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique. Représentation embellie de la vie, des exploits de quelqu’un et qui se conserve dans la mémoire collective ».

MICHEL KEMPER

(la documentation utilisée dans cet article provient pour partie de « Histoire de France par les chansons de Pierre Barbier et France Vernillat, tome 5 « Napoléon et sa légende » Gallimard, 1958)

 

Les Lunaisiens, Sainte-Hélène, la légende napoléonienne, Muso 2021. Le site des Lunaisiens, c’est ici.

« Sainte-Hélène » : Image de prévisualisation YouTube
« Le tombeau de Josephine » Image de prévisualisation YouTube

2 Réponses à Sur Napoléon et la chanson…

  1. Patrick Engel 18 mai 2021 à 10 h 00 min

    « Légende », dans le même Larousse : « S’applique dans certains cas à certains chanteurs-baroudeurs stéphanois… »

    Répondre
    • Michel Kemper 18 mai 2021 à 12 h 03 min

      Euh… là sincèrement je ne vois pas…

      Répondre

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