Sur Gabriel Yacoub : trois questions à Jacques Vassal
L’annonce de la disparition de Gabriel Yacoub est pour tout amateur de chanson, a fortiori de chanson traditionnelle, un choc émotionnel dont les réseaux sociaux témoignent avec une intensité rare. Robert Migliorini a questionné le journaliste Jacques Vassal qui, il y a cinquante ans, animait la rubrique « Les fous du folk » sur le magazine Rock & Folk et publiait, chez Albin-Michel, le livre « Français si vous chantiez » à la gloire de l’expression populaire chantée, à mille lieux des variétés de l’époque : aux cotés des Ribeiro, Béranger, Bertin et Magny, le folk – dont Malicorne – s’y taillait une confortable place.
En complément de ce court entretien, retour aux débuts de Gabriel Yacoub, par le début d’un long article de Michel Kemper paru jadis sur le trimestriel Chorus/Les Cahiers de la chanson. Et un épisode artistique liant le chanteur Lionel Damei à Gabriel Yacoub autour d’une étoile montante du cinéma américain.
- NosEnchanteurs – Vous êtes l’auteur de « Folksong » (racines et branches de la musique folk anglo-américain), aux éditions Les Fondeurs de Briques (*) . En quoi Gabriel Yacoub a été un artisan du renouveau du folk français?
- Jacques Vassal – Gabriel Yacoub a d’abord été un bon connaisseur du folksong américain et anglais. Il a joué du banjo dans un groupe d’old-time, au temps des “hootenannies” du Centre Américain, présentés par Lionel Rocheman (lequel chantait des chansons traditionnelles françaises). Il y avait là aussi Jean-François Dutertre, qui a fondé plus tard Mélusine ; Catherine Perrier – qui chantait a cappella aussi des ballades de France; bien d’autres qui tournaient autour de ces répertoires – et même des collectages chez les “derniers chanteurs paysans” sur le terrain (Rouergue, Nivernais, Bourgogne, Anjou, etc). Gabriel a joué avec Dan Ar Bras (guitare électrique) et René Werneer (violon) dans le groupe d’Alan Stivell (le fameux Olympia 1972 et les tournées qui ont suivi) ; ce qui l’a rapproché de la démarche des groupes de “progressive folk” anglais comme Fairport Convention et Steeleye Span. A partir de 1973, Gabriel, d’abord en duo avec sa femme Marie, puis en groupe avec Malicorne, a cherché à appliquer la même démarche musicale que ces anglais-là, sur un répertoire traditionnel de France –ballades, berceuses, chants de travail, de marins…
- NosEnchanteurs – 50 ans après ce renouveau, que devient ce courant ?
- Jacques Vassal – Un demi-siècle plus tard, la mode des “groupes de folk” comme on a connu dans les années 70-80 (outre Malicorne, La Bamboche, la Chifonnie, Mélusine, etc) est passée et ces groupes eux-mêmes n’existent plus. Mais ils ont semé une graine ; un goût pour les chansons d’hier qui disent des sentiments de toujours. Et pour les harmonies vocales et même parfois pour la voix nue, qui se retrouve chez certains chanteurs d’autres styles que “folk” (je pense à un Dominique A par exemple).
- NosEnchanteurs – Que retenez-vous de l’œuvre musicale de Gabriel Yacoub ?
- Jacques Vassal – A retenir dans sa discographie : Pierre de Grenoble (album de Gabriel et Marie Yacoub, Barclay 1973), Almanach, peut-être l’album le plus abouti de Malicorne (label Hexagone / WEA, 1976), et Trad./Arr., son premier album solo (label Ballon Noir, dist. CBS, 1978).
Propos recueillis par Robert Migliorini.
* A venir en avril 2025 aux éditions Les Fondeurs de briques, un livre inédit de Périne Magny sur sa tante Colette. Livre auquel Jacques Vassal a un peu participé.
Quand Jacques Vassal présentait Malicorne en 1976 :
Comment le jeune Yacoub créa Malicorne
(extrait d’un article paru en mars 2004 dans le magazine Chorus)

Gabriel et Marie de Malicorne (photo non créditée)
En 1963, Gabriel Yacoub a onze ans : « Pour rien au monde je n’aurais raté Salut les copains sur Europe 1. Il y avait beaucoup de variétés françaises, mais aussi les premiers Beatles, les premiers Stones. Un soir, j’ai entendu Peter, Paul & Mary : guitares acoustiques, cordes nylon, trois voix. Le déclic ! Entre Bob Dylan et la chanson traditionnelle, américaine ou irlandaise. Ces voix, ces guitares en harmonie, tout ça m’a choqué ; je n’ai eu de cesse, après, de fouiller autour de ça. »
Ses parents, humbles ouvriers, le destinent à un métier où il ne se salira pas les mains. Lui aime la musique, violemment presque. Il épanche sa curiosité, laisse livre cours à son cheminement, sa quête. Le nom de Woody Guthrie est imprimé sur une pochette de Dylan ? Il faut alors le découvrir toutes affaires cessantes. Lui et les autres, tous ! Insatiable soif. L’instrument de base est bien entendu la guitare. A quatorze ans, Gabriel a la sienne, prêt et prompt à tout imiter, par capillarité, par folie folk, par rock attitude. A quinze ans, il monte un groupe : le New Ragged Company. On imite ce qu’il y a sur disques, on apprend. On fait la manche pour s’acheter de nouvelles cordes et d’autres vinyles.
Le mardi, au Centre culturel américain, boulevard Raspail à Paris, il y a scène ouverte au Hootenanny de Lionel Rocheman. Un franc l’entrée, rien si tu chantes. « Toute la semaine, on répétait le morceau qu’on y ferait. » Bouillon de culture que cet endroit, creuset entre tous. Chacun fait ce qu’il y veut, pas forcément que du folk. Higelin est parmi les habitués, Aufray aussi. Le jeune Yacoub s’y fait beaucoup d’amis avec lesquels il travaillera par la suite. Dont Alan Cochevelou qui bientôt prendra le pseudo de Stivell…
Gabriel quitte le lycée dans l’espoir de bientôt vivre de la musique. Et, dans cette attente, bosse aux PTT. Ce sera de courte durée : Stivell, dans la foulée de Reflets et de Renaissance de la harpe celtique, monte son groupe et fait appel, coup de bol, à Gabriel. A dix-huit ans, le voici pro qui gagne sa vie par le folk, ce qui était loin d’être évident. A ses cotés on trouve, entre autres, René Werneer et Dan Ar Bras.
Si la musique celte le passionne, Gabriel ne tire pas un trait sur ce qu’il a aimé avant. Comme sa passion pour les Beatles, qu’il a vus à l’Olympia, lors de leur premier passage en France. Au contraire, il aimerait faire le mélange des deux. Le mythique Olympia de Stivell, en 72, déclanche le phénomène que l’on sait. Reste que Yacoub se sent un peu coincé. Avant il imitait Dylan dans une langue qui n’est pas la sienne. Là il chante en breton, gallots, gaélique… « Si d’aussi belles musiques existent en Irlande ou en Bretagne, ça doit bien exister chez nous. » Mais les exemples sont pauvres : seuls Mouskouri et Béart chantent nos belles provinces… Yacoub s’accroche à l’idée, se constitue un répertoire avec grande difficulté.
Il joue encore avec Stivell quand il enregistre, avec son épouse, Marie, ce « disque expérimental » qu’est Pierre de Grenoble. Dan Ar Bras et René Werneer sont de l’aventure. L’album est produit par Hugues de Courson, un ami rencontré à l’infirmerie du Mont-Valérien, où tous deux se sont fait réformer. Hugues est déjà dans le métier et écrit des chansons, entre autres pour Françoise Hardy. Le disque marche très bien. Et très vite. « Autre coup de bol, c’est incroyable, on était disque pop de la semaine chez José Arthur avec une chanson du XVe siècle. » Un tel succès donne envie de continuer. Avec toujours cette idée de mélanger des instruments électriques à des chansons traditionnelles, sans limite d’époque ni de territoire. En fait ce que les anglais, tels Fairport Convention, font depuis vingt ans déjà.
Ce sera Malicorne.
Michel Kemper. (la suite de cet article sur Chorus n°47)
« Pierre de Grenoble », pour toujours la chanson fétiche de Gabriel Yacoub :
Synchronicités grenobloises
Dans les années 80 le chanteur Lionel Damei écoutait Malicorne, qu’il aimait beaucoup. C’est au milieu des années 90 qu’il rencontre en personne à Paris Gabriel Yacoub. À l’époque River Phoenix, connu pour avoir interprété le jeune Indy dans « Indiana Jones et la dernière croisade », et été récompensé pour sa performance de toxicomane narcoleptique dans « My own private Idaho » de Gus Van Sant en 1991, était une étoile montante du cinéma américain. Mais en octobre 1993 la réalité dépasse la fiction : il décède d’une overdose à 23 ans.
Lionel Damei cherche un compositeur pour le texte qu’il a écrit en hommage au jeune acteur, ce sera Gabriel Yacoub, qui fut lui-même nourri dans sa jeunesse de musique trad et folk américaine, qui en composera la musique ; la chanson sera enregistrée dans l’album « L’humanité et moi » paru en 2001 chez Night and Day. Il se trouve que Lionel Damei a interprété cette chanson à Grenoble le 30 octobre 2024 lors d’un concert privé, en acoustique non amplifié chez Christophe Sacchettini – grand copain de Yacoub – et Marie Mazille : « Rêveur, au sol affalé / Phoenix oiseau feu-follet ». C’est Christophe, musicien trad, qui l’accompagne à la flûte tandis que Nordine Houchat alias Noon joue la guitare. C’est ainsi que se mêlent la chanson française, le folk américain, la musique celte et celle de la Méditerranée, dans ce court montage du premier couplet en répétition, puis de la fin de la chanson dans un contexte intimiste, seule chanson du concert saisie en vol au téléphone portable. Comme un murmure d’âmes qui se rencontrent. Il y a parfois des coïncidences troublantes, et Damei ne se doutait pas que trois mois plus tard Yacoub ne serait plus parmi nous. Que sa musique résonne longtemps encore.
Catherine Laugier.
« River » Lionel Damei / Gabriel Yacoub
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