CMS

Signac, Lueur noire

Fred Signac. Photo Antoine Signac

Fred Signac. Photo Antoine Signac

Fred Signac est un artiste rare dans tous les sens du terme. Il paraît à la fois solitaire et convivial, secret et altruiste, et vous pouvez être sûr de trouver sur sa page les meilleures musiques, celles qui creusent l’âme et le corps, en anglais comme en français. C’est un passeur de musique, au goût très sûr.
Depuis son premier album Dimanche désuet de 1995, folk rock, il nous a gratifié de huit albums. Son univers est rock et punk, voilé de crêpe, drapé du velours noir du Velvet Underground, de Nick Cave ou Bob Dylan, mais il a aussi dû écouter Ferré, Bashung ou Manset. Les titres de ses albums parlent pour lui : Le liquide allumé, Si j’ai les mains qui tremblent, Un ouvrier chante, Le monde comme cendrier, La force et la tendresse, La preuve du contraire (l’avant-dernier, paru en 2014). Parce que le monde est inquiétant, contradictoire, ses états d’âme le sont aussi. Mais pas sans espoir.
 
Ce dernier album est simplement baptisé Signac, apparaissant en lettres sobres et élégantes déclinant des nuances de ciel mauve grisé à rose incarnat sur fond noir satiné. Au revers les titres filent vers l’or de La langue dans laquelle je pense ; cette dernière chanson, s’achevant en un silence littéralement assourdissant, suffirait à décrire l’album : « Un discours infréquentable / Un geste sans prévenance / Un séisme fondamental ». Marie Signac a habillé l’intérieur et le livret de photos de villes la nuit, points lumineux entre froideur verdâtre et rousse chaleur, dans la nuit profonde, reflet parfait de ce disque.

Tels ceux de Murat ou Thiéfaine, les textes d’apocalypse urbaine, de finitude, de solitude dans un monde perdu ne sont pas mémorisables dès la première écoute. 
Ecrits pour la plupart par son ami de longue date Joël Rodde, elles  lui collent à la peau. Il a confié au multi-instrumentiste Christophe Jouanno six des huit compositions, âpres, urbaines, électroniques, atmosphériques, battues de percussions lancinantes, qui s’évasent comme ricochets à la surface d’une eau noire sur les cordes des guitares ou basses électriques. Leur beauté vous happe dès les premières mesures. Des silences s’y ménagent avant les ondulations finales, parfois le filtre sur la batterie, supprimant les aigus, laisse encore plus de place aux synthés et à la voix. Cette voix, grave, profonde, calme et sombre qui nous interpelle, nous baigne de lumière noire, inquiète et fascine tout à la fois, nous rassure même. Elle nous accompagne, descriptive, expressionniste, avec ses inflexions douces, vénéneuses, tandis que les guitares électrique ou basse résonnent, cinglantes, entre les réverbérations des synthés.

SIGNAC 2018La ville est brûlante, déchirante, désespérée, traque ses habitants, les hypnotise. Mortelle, elle fascine aussi : L’enfer est une drogue dure. Il y entre en solitude, « à se tricoter des remords / Nourrir un imaginaire (…) Unipolaire.
Ce qui ne tue pas assassine est prière psalmodiée par quelque être plus malheureux que maléfique, où la sensualité est mortifère, où la beauté jouxte l’enfer, et la voix répète en écho, si doucement : « (Et zéro) poésie enfin », « (La mort / M’octroie) ce droit », et en final « Héautontimorouménos » (1). 

Parfois s’élève un demi chant, tourbillonnant sur une musique hypnotique, martelée dans des lueurs hivernales, en des flocons descendants, sur des cordes friselant… : Tu m’as caché ma tristesse / Mais je me retrouverai / Comme un langage d’antan ». Le phare inquiétant de Maritime érection, semblant plus fait pour chavirer les navires que les guider, est chant plaintif, répétitif annoncé par des dissonances, noir rêve à connotation sexuelle.
Un cœur à l’œuvre, sur ses notes de guitare folk, semble ultime confession sur sa musique (synthés et arrangements Eric Signor) : « J’ai pris ombrage de mon cœur libre / Si facilement résumé / En quelqu’amour, en quelque cible / Farouchement blessé / Délaissé, inhumé »

Signac, c’est plus encore que Soulages, le peintre de la lumière du noir.


Signac, album auto-produit, 2018. Pour acheter / écouter l’album, c’est là.

Le site de Fred Signac, c’est ici. Sa page facebook, là. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, ici.

(1)  « bourreau de soi-même » : de Ménandre à Térence, de Baudelaire à  Ferré et Murat

Unipolaire Image de prévisualisation YouTube

En solitude Image de prévisualisation YouTube

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

code

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

Archives