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Barjac 2017. Cyril Mokaïesh, la beauté du naufrage

Cyril Mokaïesh sur la scène de Barjac (photos Anne-Marie Panigada)

Cyril Mokaïesh sur la scène de Barjac (photos Anne-Marie Panigada)

Fin de concert ce soir à Barjac… J’en reste tout à la fois troublé et fasciné, perplexe et séduit. Il me faudra quelques jours pour pouvoir écrire, en donner quelques impressions, tenter d’être juste, ne pas rompre le charme.

Car il est envoûtant ce spectacle, d’abord par le choix de ses auteurs et de leurs textes, lettres de naufragés jetées dans une mer de désespérance. Dans ce voyage, Cyril Mokaiesh embarque avec lui Debronckart et son désespoir lucide (Ecoutez, vous ne m’écoutez pas).

« Est-ce que c’est normal d’avoir peur ? Est-ce qu’ils ont peur aussi les autres d’être seuls. »

Comme autres compagnons et autant de déclinaisons des déchirures de l’âme humaine, on retrouve l’émotion d’un Dimey (J’aimerai tant savoir), la solitude d’un Léotard (Poor lonesome piéton), le regard désabusé de Vassiliu (Parler aux anges), la rage d’un Vissotsky (Rien ne va), la tragédie de Stéphan Reggiani (Bonne figure), le cri déchirant de Mano Solo (Les enfants rouges), la mémoire vive de Nino Ferrer (La Rua Madureira).

Mais celui qui est au cœur du spectacle, qui en est le ferment, c’est Allain Leprest avec deux titres : Nu et C’est peut-être, chants de la fragilité de la condition humaine, révolte contre le poids de la contrainte sociale.

Giovanni Mirabassi

Giovanni Mirabassi

Pour porter tout ce tumulte, pour le sublimer, pour l’apaiser parfois, il y a la magie du piano de Giovanni Mirabassi, subtil artiste gratifié d’une Victoire du Jazz en 2002. Ses vagues de notes sont autant de ressacs ou de tempêtes d’où jaillissent les voix de ces naufragés. Il n’est pas ici de chanteur et d’accompagnateur mais un véritable duo, en parfaite harmonie, dans une belle alchimie.

Reste l’interprétation de Cyril Mokaiesh. Oserai-je dire que ma première impression, qui suscita le trouble, fut celle d’une trop grande sagesse, d’un manque de fougue, de « tripes » dans ces reprises d’autant d’écorchés vifs. Pourtant c’est d’élégance et de mesure dont il me faut parler ici. Tout est juste, la voix, le ton, la présence comme autant de marques de respect pour ces grands ainés. Nul besoin de surjouer, mais simplement être là pour donner la vraie place aux textes comme il le fit avec ces deux titres : Les gens qui doutent d’Anne Sylvestre, Je chante pour passer le temps d’Aragon-Ferré.

Sensible, sincère,  courageux, « Naufragés » est un spectacle résolument à contrecourant des  modes médiatiques, mettant en lumière ces voyageurs de l’ombre dont les existences brisées laissent voir, à travers leurs fêlures, une infinie tendresse et une mélancolie, dont Edgar Allan Poe disait qu’elle était le plus légitime des tons poétiques.

 

Le site de Cyril Mokaïesh, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

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3 Réponses à Barjac 2017. Cyril Mokaïesh, la beauté du naufrage

  1. Pol de Groeve 12 août 2017 à 12 h 19 min

    « Oserai-je dire que ma première impression, qui suscita le trouble, fut celle d’une trop grande sagesse, d’un manque de fougue, de « tripes » dans ces reprises d’autant d’écorchés vifs ».
    C’est exactement l’impression que j’avais eue quand j’ai vu ce spectacle il y a une bonne année. Chanter un morceau aussi poignant que « Ecoutez, vous ne m’écoutez pas » de façon si plate ne m’avait vraiment pas convaincu ! Et pour ma part, je ne suis pas allé au-delà (à tort à en lire l’article)…

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  2. Christian Camerlynck 12 août 2017 à 23 h 53 min

    J’aime Cyril Mokaiesh, il m’émeut dans ce CD des Naufragés, et dans son récital avec Giovanni très grand pianiste. Ils ne se servent pas des chansons pour se mettre en valeur, ils servent les chansons et les auteurs. J’ai entendu Jacques Debronckart que je connais un peu, j’ai entendu Véronique Pestel chanter Écoutez écoutez moi avec La version de Cyril ce sont à mes oreilles, les plus belles versions de cette chanson. Cyril interprète magnifiqunement les chansons choisies. Il m’a beaucoup ému. C’est mon avis et je me le partage souvent, comme je l’écoute souvent. Je l’ai vu à la création au Chatelet… ils m’ont embarqué. Merci Messieurs.

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  3. Tocade 13 août 2017 à 20 h 53 min

    J’ai vu le spectacle à ses débuts à Aix,et plus d’un an après à Toulon…j’ai beaucoup aimé les deux fois: le chant est juste et sans emphase comme pour mieux respecter les naufragés mis en lumière. Le choix de servir des oubliés (ou presque) est courageux dans un début de parcours. Et puis il n’y a pas de mot assez fort pour décrire le talent de Giovanni Mirabassi, bie au delà du simple accompagnement: c’est un duo poétique!

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