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Off Avignon 2023. Ah ben… FluTTe, alors !

(photos Franck Halimi)

FluTTe photos©Bertrand Monboisset prises lors du filage

Concert à gauche après le feu – Théâtre de la Rotonde (1 A rue Jean-Cattelas) – extra-muros, jusqu’au 22 juillet 2023 à 18 heures.

 

Il est des spectacles qui vous nourrissent, d’autres qui vous enthousiasment, quand d’autres encore vous emmerdent, vous indiffèrent, vous soulèvent de terre ou vous endorment. Et puis, il y a ceux qui vont vous rester, parce qu’ils auront éveillé en vous quelque chose que vous ignoriez de vous-même. Celui du duo FluTTe intitulé Concert à gauche après le feu est de ce tonneau-là…

Déjà, pour un festivalier avignonnais lambda, si venir au Théâtre de la Rotonde peut ressembler à un effort (car il faut sortir des remparts et effectuer une petite marche d’une douzaine de minutes), celui-ci est illico récompensé par la fraicheur et par le calme inhérents à ce lieu hors du temps. S’extraire de la cocotte-minute qu’est l’intra-muros pour se retrouver au cœur d’une cité, mais avec le sentiment d’être à la campagne, attablé à la guinguette des cheminots à l’ombre d’un chêne séculaire, est déjà en soi une expérience originale. Et puis, pouvoir se désaltérer avec des consommations dont le coût oscille entre 1€ et 3€ dépayse totalement le consommateur qui, du statut de « cochon de payeur » passe l’air de rien à celui de « citoyen conscient de la valeur des choses ».

Mais, arrivons à la raison première pour laquelle nous sommes venus dans ce havre de paix rafraichissant. Quelle n’est pas ma surprise en arrivant dans la salle de spectacle de constater que les 2 panneaux encadrant le gradin public sont issus d’une chanson de Bernard Joyet (« On s’ra professeurs en incertitude, en inhabitude, en droit à l’erreur » / « On s’ra jamais vieux, on s’ra intrépides, perfides, irrévérencieux ») ! Ce qui, là encore, démontre l’état d’esprit régnant dans ce drôle d’endroit.

Enfin, je m’assois et suis prêt à tout. L’immense plateau à vue est habité par une scénographie à mi-chemin entre intérieur pseudo-luxueux, environnement végétal et glaciaire, dance-floor et zone militarisée : une espèce d’espace à la fois intrigant et rassurant. Et puis, ça commence…

Vêtue d’un justaucorps et d’un tutu noir, une femme s’approche du micro et entonne Lascia ch’io pianga de Haendel avec une belle et pleine voix de soprano lyrique très vite superposée par une voix off féminine atone « Ce morceau très plaintif résonne avec la période de merde que nous traversons. Ah si… c’est une belle période de merde. » Le ton est donné : nous sommes manie fesse te ment dans un spectacle qui ne se prend pas au sérieux. Un grand échalas tout de blanc vêtu -avec une capuche improbable lui mangeant le visage- l’accompagne à la clarinette basse. La voix off nous prévient alors qu’il va nous imposer un sol dièse improbable… ce qui ne manque pas d’arriver dans la seconde qui suit. Alors, OK… le loufoque est de mise et, perso, ça me va bien, parce que, entre les classiques revisités, les one-man shows grosse ficelle, les textes contemporains plaintifs et les spectacles chanson expérimentaux, j’avoue que, à quatre exceptions près jusqu’alors, ce Festival Off 2023 est loin de déchainer mon enthousiasme. Je me marre donc d’emblée tout en prenant conscience du bien que cela me fait !

Filage FLUTTE 1-2Et la suite est à l’avenant : la première chanson intitulée Politesse continue de nous immerger dans « l’océan pas si flic » de nos deuxénergumènes : « As-tu déjà regretté d’avoir salué d’un geste de la main, alors que tu le hais, ton voisin qui a taillé sa haie à 5H du matin ? Sourire forcé, les dents serrées, politesse, mes fesses !« « Et toi, petit CRS, tu n’aimes pas la gentillesse ? Tu n’aimes pas la politesse ? Tu préfères éborgner des gens ? Tu sais pas faire autrement ? Mais pour vivre en société, il faut utiliser ce que Karl Popper a nommé « la fonction stimulative du langage »… On comprend alors que, si ces deux-là ont du fond, ils ont choisi une forme fort insolite pour faire passer leur message.

Et quand, dans Bien serrées, ils évoquent la période du covid et le manque de contact qu’elle a engendré, c’est à leur façon singulière, tout en effectuant les chorégraphies de La danse des canards et À la queue leu-leu : « Les serviettes ont cessé de tourner, salle des fêtes et queue leu-leu couvre-feu, pas bon pour le moral ! Regretter le bal masqué ohé ohé… » L’humour devient alors « l’impolitesse du désespoir » et, sous le feu de la fête à neu-neu, couvent les braises d’une révolte qui ne demande qu’à exploser. Et puis, dans une articulation subtile, Bunker et Boxon nous parlent des apparences (des appâts rances ?) et de l’enfermement auxquels chacun d’entre-nous est, un jour ou l’autre, confronté dans cette société-là.

« Je t’ai kidnappé, toi mon directeur, pour une leçon de morale, en cœur de forêt, bien isolés, après des heures de cavale. Ne sois pas fâché, même attaché, tu restes mon égal. Mais, pour l’occasion, je dois ligoter tes pulsions libérales. Craquement vert de petit bois, j’entends ton cœur qui bat.«  En réalité, le sujet de ce spectacle n’est, ni plus ni moins, que celui de la lutte des classes. Et Sylvia Darricau & Jérémie Buttin font passer nombre de travers qui traversent notre société au travers du chas de leur aiguille -qui pique autant qu’elle coud- en nous contant le coût humain de ces choix oligarchiques imposés au plus grand nombre. Mais, il le font avec tellement de fausse candeur et de talent, que le rire, comme un bouclier, protège le spectateur de leurs éclats qui pourraient se révéler sanglants. Elle, c’est une espèce de mélange kaléïdoscopique entre Catherine (dé)Ringer, Nina à Gaine et Bruit Gîte Fonte Haine, quand lui fait déraisonnablement penser au petit frère de Fred Chie Chien (car qui mange un chien chie ouah ouah) et de Thierry L’Air Mythe.

Leur musique est, elle aussi, un harmonieux métissage de classique, de musique concrète, de pop, de chanson (d’aucune rive que ce soit), de lyrique, de rock et d’électro. Car, outre sa clarinette basse, Jérémie joue (fort bien) de la guitare et des machines, offrant à nos ouïes reconnaissantes des mélodies rafraichissantes et entêtantes qui collent à merveille aux paroles déjantées de ces chansons « open age » comme j’ai envie de les qualifier. Car, s’ils ont leur propre style, il n’est pas pour autant impénétrable. Et tout nous touche dans ce spectacle subtilement intitulé Concert à gauche après le feu. Car, oui, il s’agit bien d’un « concert », qu’il est résolument, assurément et assumément « à gauche » et que « le feu » évoqué plus haut nous brûle déjà depuis belle lurette, et ce ne sont pas les récentes « révoltes » qui vont venir contredire le propos !

Filage FLUTTE 2-2Et outre les sujets précédemment évoqués, « progrès », écologie, développement personnel, toute cette « société de consumation » est traitée au lance-flammes par FluTTe, qui a la délicatesse de ne pas nous jouer du pipeau en la matière. « Les satellites repèrent nos positions cellulaires, nos données s’envolent vers ces satanées paraboles. Ras-le-bol, j’en peux plus de ces traceurs qui m’collent au cul : je rêve d’une guinguette bien paumée où Internet s’rait dézingué. » On en revient donc immanquablement à l’humain. Et à l’instar de la célèbre citation abusivement attribuée à Michel Audiard -« Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière »-, si Sylvia & Jérémie nous ont « mythes raillés » de leur feu nourri, ils ont surtout su éclairer la sombritude ambiante d’un quotidien qui n’a de cesse de nous faire des cendres :« Quant à moi, ô rage, ô désespoir, à l’âge où la sagesse est d’usage, je tartine tout en noir, je bassine mon entourage, j’en fais des caisses, je stresse, je couine, Drama Queen !« 

Et puisque je parle d’éclairer, comment passer sous silence le remarquable travail d’Éric Bellevègue, qui a su s’inspirer des différentes ambiances musicales pour offrir à la scéno et aux musiciens les pinceaux de lumières et le relief qu’ils méritent ? Sans oublier les inter-chansons -véritables petits bijoux burlesques-, ni l’accompagnement à la mise en scène d’Olivier Germain-Noureux et le regard extérieur de Sara Louis, tout comme l’utilisation des corps…Je ne « divulgâcherai » pas la fin d’un spectacle réglé au petit poil qui, hormis le sol dièse du début, ne recèle aucune fausse note et s’avère être une mécanique de précision, voire une véritable machine de guerre contre la morosité ambiante. Concert à gauche après le feu risque fort de laisser les braises couver avant que ne renaisse le brasier d’une révolte attendue de la chanson. En effet, il m’a totalement réveillé et rappelé mon fameux dicton : qui trop embrase, mal éteint !

 

 

 

 

 

 

Une réponse à Off Avignon 2023. Ah ben… FluTTe, alors !

  1. Gérard DEBARD 22 juillet 2023 à 11 h 14 min

    Monsieur Halimi,
    Auriez-vous en magasin, la même expurgée des jeux de mots laids ???????
    Cordialement quand même !

    Répondre

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