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Corbier dans son plus beau posthume

François Corbier Photos Vincent Capraro

François Corbier (photo Vincent Capraro)

LA CRITIQUE OFFICIELLE

En 2018, coup sur coup, nous avons eu droit aux disques posthumes de Maurane, de Johnny et de Bashung. Probablement un peu jaloux du succès de ses confrères, Corbier a donc décidé de suivre la mode. Faut dire aussi qu’il avait tout compris, le bougre : pour faire le buzz, rien ne vaut un chanteur mort ! N’avait-il pas avoué jadis : Si j’étais sûr en mourant / De bourrer l’Olympia / J’avancerais de 30 ans / Le jour de mon trépas ?

Voici donc disponible l’ultime opus de notre cow-boy fringant. Son titre n’est pas des plus joyeux (Jours de blues) et la belle pochette donne le ton : une photo prise par son fils Wilfried, qui nous le montre derrière une vitre mouillée de pluie, le regard grave pointé sur nous. Une façon de nous faire comprendre d’emblée que le masque de clown avait été remisé au placard l’espace de cet album.

Ceux qui connaissent l’œuvre de Corbier ne seront évidemment pas surpris. Depuis toujours, les chansons humoristiques et sarcastiques côtoient dans son répertoire des chansons plus tendres ou plus sérieuses. Elephantasme et Fichue journée vont de pair avec Droséra ou Jean Jean. Suivant la voie de son CD précédent, Vieux lion, déjà moins ouvertement jovial, cet ultime album enfonce le clou. Sur les huit chansons qui le composent, seules deux s’avèrent plus légères, les autres morceaux se maquillant au rimmel de la nostalgie. Est-il besoin de préciser que le disque n’en est que plus émouvant ?

La première chanson du disque, Novembre, est probablement la plus belle. Une fois n’est pas coutume, la musique n’est pas de Corbier, mais est signée Romain Didier. Une déambulation dans un Paris grisâtre, mêlant l’horreur de l’actualité à la mélancolie d’un amour qui n’est plus. Superbe morceau à même de serrer le cœur des plus endurcis. De la tristesse des grandes villes, il en sera encore question dans Banlieue 1962, tandis que Pauvre Jean s’adresse à Cabu, son ami des années Dorothée, tombé au champ d’honneur de l’humour. Est-il besoin de souligner l’atmosphère d’une chanson portant le titre de Nostalgia ? Enfin, Reine nous conte une tragique histoire de deuil. Rayons de soleil dans cette brume : les considérations métaphysiques de Rosalinde (Pourquoi les vieux le samedi / Vont faire leurs courses à l’Hyper / Là j’m’y perds !), le tableau joyeux d’une bande de hippies (La Communauté), le constat désabusé et drôle des motivations de l’électorat (De sa main il a tué son père / Egorgé sa sœur, violé sa mère / Mais je sais que c’est un bon gars / J’irai voter Caligula).

Pour le suivre dans ce dernier voyage discographique, Corbier aura pu compter sur les fidèles Eric Gombart (qui l’accompagnait sur scène depuis des années), Cyrille Catois et Patrick Balbin (chargé également de l’enregistrement et du mixage). Trois maîtres de la six cordes, à l’image du chanteur. Guitares acoustiques, guitares électriques et guitares basses sont donc les seuls instruments convoqués pour ce Jours de blues. Nulle monotonie toutefois, les ambiances allant de la délicate ballade au country-folk, en passant par le swing jazzy et s’achevant sur un saignant blues-rock digne de ZZ Top.

On n’écoute pas un disque posthume de la même manière que ceux qui l’ont précédé, surtout lorsque l’on sait qu’il a été enregistré alors que l’artiste était déjà fort malade. Malgré elle, l’oreille cherche l’indice de la santé chancelante, une voix plus trop juste, un souffle un peu court. L’esprit, lui, scrute les textes et l’ambiance musicale pour y trouver les traces d’un testament artistique. Ce disque n’échappe pas à la règle. On devine notre Corbier, qu’on a connu si joyeux (quoique d’une lucidité sans faille), désenchanté par le monde comme il va et probablement affaibli par son foutu crabe. Ses dernières chansons ne nous en sont que plus précieuses. Du bonheur triste, ça reste du bonheur. So long, Corbier. Et merci encore.

L’OEIL DU COPAIN

Corbier François Jours de blues 2019Je ne vais pas la jouer finaud et faire semblant de rien. Corbier était mon copain. J’aimerais me vanter d’avoir été son ami, mais cela pourrait paraître usurpé. Disons qu’on s’est rencontré à quelques reprises et qu’on s’écrivait des mails régulièrement. Une belle entente entre nous.

Son nouveau disque me touche énormément, et ce à plus d’un titre. D’abord, si vous lisez les crédits sur le livret, vous verrez  ceci : Paroles et musiques François Corbier, sauf La Communauté : paroles Pol de Groeve. Une chanson de 8 minutes. Quasi plus à elle seule que la totalité de ses chansons-flash ! Les paroles datent d’une quinzaine d’années à vue de nez. Un texte interminable mais marrant (en tout cas, se voulant tel…), farci d’argot populaire. Une sorte d’hommage à Pierre Perret et San-Antonio. Avec sa verve et sa truculence, Corbier en était évidemment proche. Je lui avais donc fait lire mon œuvre, pour l’amuser et plus si affinités. Il m’avait fait l’honneur de trouver ce texte à son goût et m’avait promis d’en faire un jour quelque chose. C’était un homme de parole. Et me voilà donc crédité auteur du dernier morceau de l’ultime disque de Corbier. Réservez aux autres moins chanceux vos Victoire et autres prix de pacotille, moi je suis servi.

Mais au-delà de cette joie personnelle, Jour de blues est un beau CD pour qui aimait Corbier. On l’y devine totalement derrière ces morceaux. Sa voix est toujours là, son talent de comédien dans l’interprétation aussi. On y retrouve bien entendu  sa patte d’auteur. Caligula est de la veine ironique de R.I.K., Reine nous fait fondre comme Jean Jean. Alors, avec lui, on s’inquiète de l’avenir, on pleure la mort de Cabu, on rêve de se tirer à toute blinde dans sa Rosalinde. J’écoute le disque et j’ai l’impression qu’il est toujours parmi nous, son sourire en coin et ses yeux rieurs sous son chapeau de western.

Bien sûr, pas besoin d’avoir été copain avec Corbier pour apprécier ce disque. Je vous avertis simplement : ce ne sont pas uniquement des chansons que vous achèterez avec ce CD, mais aussi et surtout un morceau du coeur d’une personne extraordinaire qui n’a jamais triché et qui jusqu’au bout a voulu donner du bonheur à son public. Un bien bel artiste et une belle personne.

Alors François, Comment ça s’passe / Maintenant mon grand / Là où tu balades ta carcasse / Dorénavant ?

 

Corbier, Jours de blues, autoproduit, 2019 (en vente sur son site) ; ce que nous avons déjà dit de François Corbier, c’est là.

En 2017 Frédéric Létot réalisait en DVD le documentaire Corbier, des traces dans la mémoire des masses, que l’on peut se procurer ici. Corbier en parle là : Image de prévisualisation YouTube
A titre documentaire, une vidéo de Caligula prise au vol à A Thou Bout d’Chant le 16 septembre 2017 :
Image de prévisualisation YouTube
Le 14 août 2018 le Festival Découvrir de Concèze rendait hommage à François Corbier qui aurait dû être de la programmation : Image de prévisualisation YouTube

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