CMS

Graeme Allwright, 1926-2020

Graeme Allwright : "Il faut que je m'en aille" (photo Jacques Aubert

Graeme Allwright : « Il faut que je m’en aille » (photo Jacques Aubert)

Tout Néo-Zélandais qu’il est, importateur du protest-song étasunien, c’est l’un de nos plus grands chanteurs français qui vient de tirer sa révérence. Pour beaucoup d’entre-nous, le chagrin est immense. Il y a des douleurs, je crois, qui jamais ne pourront cicatriser. Les yeux embués, on se consolera en se disant qu’il ne pourra être mort que quand nous ne le chanterons plus. C’est pas demain la veille, bon dieu.

Il est, il fut, le chaînon entre deux mondes, le traducteur avisé et talentueux tant de Leonard Cohen (Suzanne, L’étranger, Demain sera bien…), de Woody Guthrie (Le clochard américain), de Tom Paxton (Qu’a-tu appris à l’école ?), de Pete Seeger (Jusqu’à la ceinture)… Même, le savez-vous, le chanteur de Georges Brassens, mais dans l’autre sens, du français à l’anglais. Il fut aussi auteur (Lumière, Il faut que je m’en aille…).

Un monsieur qui avait le goût de la vie et, plus encore, des autres, quelque soit leur latitude, leur longitude. Avec ce goût du partage, sans trop se soucier de sa carrière – ça lui fut reproché.

Gendre du grand Jean Dasté, il fit modestement ses débuts sur les planches hexagonales à la Comédie de Saint-Etienne, comme machiniste. Puis gagna des rôles, petits au départ, même comme figurant, à mesure qu’il apprenait le français. On le retrouve quelques années après, à Paris, dans les cabarets de la Rive-gauche, à La Contrescarpe notamment, avec ce drôle d’instrument qu’est l’autoharp et ces titres qui vous scotchent pour toujours : Le trimardeur, La plage, Johnny, Petites boîtes, Il faut que je m’en aille, Qui a tué Davy Moore ?, Emmène-moi. Sept titres en tout, qui balaient tout du trop gentil et assez insipide folk-song mal traduit d’Hugues Aufray. C’est un choc, ça le restera. Mouloudji, chanteur mais aussi producteur, le signe et sort son premier album. Un 33 tours mal distribué, un échec. Que Phonogram rachète pour en faire grand succès. Graeme Allwright est lancé, s’ouvre à lui une possible grande carrière. Le succès est là, mais il s’en fout. Il part dès qu’il peut, laissant ses amis sans nouvelles. Le monde est à lui, il va lui rendre visite. Reviens, puis repart. Il n’est toujours et seulement que De passage.

Dans les colos, chez les éclaireurs, il est la coqueluche. C’est viral. Tout le monde connaît ses chansons. Et les retient encore. Car il n’est pas de ceux qu’on oublie ; il est de ceux qu’on garde pour la vie. Ses chansons sont autant de cadeaux, de ces chansons qui vous aident à grandir, qui vous arment (pacifiquement, comme le sera sa Marseillaise à lui), nous apprennent à réfléchir. Qui a tué Davy Moore ?, La ligne Holworth, Le jour de clarté… Graeme a fait de nous de beaux citoyens du monde.

Qui l’a vu en scène sait le miracle chaque fois réitéré, entre lui et son public, entre nous et ses chansons. Nous sommes un peu ses enfants.

Aujourd’hui est un sale jour pour la chanson, un dimanche triste à en chialer. Et je pleure. C’est un ami qui vient de nous quitter. Dans nos plastrons on rira sans doute encore longtemps en essayant de prononcer son nom. Imprononçable peut-être, irremplaçable c’est certain.

 

Ce que NosEnchanteurs a eu l’honneur et l’avantage de dire de lui, c’est ici.

Pour retrouver Graeme Allwright, je vous suggère de lire le dossier que le mensuel Paroles et Musique lui consacra, en mai 1982. On peut aussi lire le livre (ce n’est pas le meilleur, mais c’est le seul) qui lui fut consacré : Graeme Allwright par lui-même, par Jacques Vassal, paru en juin 2018 au Cherche-Midi. Pour trouver ses disques, allez sur le site du label EPM.

L’étranger Image de prévisualisation YouTube

5 Réponses à Graeme Allwright, 1926-2020

  1. Henri Schmitt 16 février 2020 à 20 h 35 min

    Ma premiere rencontre avec l’univers de Graeme. c’est en 1972. J’avais une camarade de lycee qui ecoitait le disque « le jour de clarte ». Je l’ai achete, et commencant la guitare un an apres, je me suis esquinte les doigts sur une poignee de ses chansons: la ligne Holworth en particulier, dont le regrette Marcel Dadi avait transcris l’introduction dans sa methode. Egalement: Je perds ou bien je gagne », belle adaptation de cette chanson de deprime de Jackson.C.Franks: »Blues rune the game ». Apres il y a eu Leonard Cohen, dont l’arpege de Suzanne etait aussi complexe avec l’adaptation de Graeme que ce qu jouait Cohen lui-meme. Une coincidence: c’est grace a la meme personne et la meme annee que j’ai decouvert Alan Stivell, avec son prmier disque a succes Reflets. Et je devais un peu plus tard realiser qu’Alan avait accompagne Graham sur son adaptation de « The water is wide ». Perdu de vue apres le disque ou il chantait Brassesn en anglais, c’est Internet qui m’a permis de retrouver Graeme. Helas je ne l’ai plus revu en scene depuis et je ne connais pas trop ses derniers disques…Mais il reste la dans ma tete, comme un des phares de la chansons intelligente, et comme je l’ecrivais il y a peu a une amie: il a ete pour moi un passeur, qui m’a introduit a d’autres grands auteurs-compositeurs-interpretes. Un enorme merci a toi Graeme, et bienvenu au Parnasse des baladins.

    Répondre
  2. anne-marie panigada 17 février 2020 à 2 h 17 min

    Que de souvenirs d’adolescence… Je le découvre dès 1966 en camp d’ados. Ses trois premiers disques, j’en connais toutes les paroles par coeur encore aujourd’hui. Mais mon plus beau souvenir, c’est en 1969 ou 70, je crois. J’apprends qu’il chante au centre américain, je ne sais pas comment, on n’avait pas internet à l’époque…;-) J’ai 16 ans, j’habite en banlieue, à 15 km de Paris et je me « sauve » en mobylette, pour aller boulevard Raspail. C’est la première fois que je viens seule à Paris, évidemment sans aucun accord parental et, pour me repérer, j’accroche un plan de métro avec deux pinces à linge au guidon sur les câbles de frein, car à partir du terminus du 171 que je connais, au Pont de Sèvres, je ne sais pas du tout où je vais. Arrivée à bon port, sans trop de peine, on est tous assis par terre et je bois du petit lait. C’est le deuxième concert de ma vie (j’avais vu Hugues Auffray quatre ans plus tôt, à Versailles et je garde un mauvais souvenir du bonhomme, odieux avec ses musiciens et les techniciens), mais celui-là à la saveur incomparable de l’interdit, de la bravade. Graeme Allwright en vrai, et aussi Steve Waring… et d’autres sûrement aussi, mais je ne sais plus, je n’avais d’yeux et d’oreilles que pour eux deux. Mes parents n’ont jamais su, même 50 ans plus tard… Alors oui, très triste aujourd’hui. Vu une dernière fois à Barjac en 2013, il me semble.

    Répondre
  3. Michel Trihoreau 17 février 2020 à 7 h 28 min

    Lors d’une rencontre à l’occasion d’un article pour Chorus N° 56 (été 2006) il m’avait parlé de son projet de donner à la Marseillaise des paroles pacifiques.
    Graeme est consterné en regardant à la télévision les enfants obligés d’apprendre ce texte épouvantable : « J’étais possédé, je ne pouvais pas sortir de ma tête : j’avais les mots de l’original et les mots que j’essayais de trouver qui sonnaient un peu pareil. J’étais obsédé pendant dix jours et j’ai appelé une amie, ancienne institutrice, elle m’a aidé pour fignoler ça. » L’amie, c’est Sylvie Dien, avec qui il avait travaillé sur l’adaptation de Blowin’ in the wind de Bob Dylan.
    Peut-être un jour des gouvernants courageux oseront s’en souvenir et adopter le texte de Graeme et Sylvie Dien ?

    Pour tous les enfants de la terre
    Chantons amour et liberté.
    Contre toutes les haines et les guerres
    L’étendard d’espoir est levé
    L’étendard de justice et de paix.
    Rassemblons nos forces, notre courage
    Pour vaincre la misère et la peur
    Que règnent au fond de nos coeurs
    L’amitié la joie et le partage.
    La flamme qui nous éclaire,
    Traverse les frontières
    Partons, partons, amis, solidaires
    Marchons vers la lumière.

    Répondre
  4. Michel Kemper 17 février 2020 à 16 h 43 min

    Ma première rencontre avec Graeme Allwright ce fut en 6e. Ma prof de maths était aussi ma prof de musique. En musique elle nous faisait chanter des trucs assez nuls, insipides qui, en canon, avaient quand même de la gueule. Et pis elle est partie en congé maternité, délit de grossesse. Son remplaçant, un type assez jeune je crois me souvenir, cheveux ébouriffés sans doute. Je me souviens de deux chansons qu’il nous a fait apprendre, qui ont sérieusement commencé à bouleverser ma vie : « Ma liberté » et « Il faut que je m’en aille ». Le choc. Moustaki et Allwright. J’en n’avais pas assez et suis allé chercher Brel, Brassens, Ferré, Ferrat… Pour me protéger de la variété qu’écoutaient les frangines. C’est comme si, hier, j’avais perdu un parent proche, un parent qui m’est cher, un oncle de Nouvelle-Zélande qui a fait un peu beaucoup ce que je suis à présent.

    Répondre
  5. DAUVERGNE 17 février 2020 à 22 h 49 min

    comme beaucoup je l’ai découvert adolescente , c’était incroyable , magnifique et enfin je pouvais comprendre quelques textes de Léonard Cohen !!!!!!!!! je l’ai vu et écouté il y a quelques années dans un petit village perdu des corbières où il y avait un festival Joseph Delteil ( écrivain extraordinaire ! dont personne ne parle ) et ce fut une soirée inoubliable , assis dans l’herbe , écoutant religieusement cet homme sous les étoiles ! que du bonheur ! merci monsieur vous allez me manquer , heureusement on a vos disques !!!!!!! je suis certaine que vous allez régaler les anges !

    Répondre

Répondre à Michel Trihoreau Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

code

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

Archives