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Un mot manque et tout déchante

(photo MK - Les disques sur cette photo ne correspondent pas à ceux évoqués dans l'article)

(photo MK – Les disques sur cette photo ne correspondent pas à ceux évoqués dans l’article)

Il nous faut saluer l’immense talent des attachés de presse et autres communicants qui, chaque fois, doivent trouver la phrase d’accroche pour donner envie d’écouter les CD qu’ils envoient aux journalistes, de les inciter à découvrir les clips qu’ils leur proposent. Il va sans dire, leurs produits sont « exceptionnels », quasi « hors du commun », comment en serait-il autrement : « Un album éminemment moderne mais en aucun cas banal ou simpliste, où des textes fins viennent donner corps à des mélodies obsédantes aux sonorités nouvelles ». Même s’il l’est, lalbum qu’on vous présente ne saurait être banal. Mais « moderne ».

Vu le nombre de disques que les journalistes reçoivent par semaine, le nombre de courriels dans leur boîte chaque jour, il faut être percutant, persuasif, enjôleur.

Moderne, le vocable se doit aussi de l’être : « Après la sortie de son mash-up, elle nous dévoile une nouvelle cover, titre sur lequel elle était en feat, avant la reprise en single, titre déjà dans les playlists ». Ça ne veut rien dire, mais avouez que ça fait son effet…

Si on ne peut faire autrement, on peut toujours utiliser le verbe « chanter » (nombre de synonymes existent, mais ils ne sont guère flatteurs : beugler, brailler, braire, bramer, chevroter, goualer, gueuler, pépier, machicoter, miauler, roucouler…) mais pas, surtout pas, le terme « chanson » !

Ne jamais parler de chanson, même et surtout si ça en est. Quelques exemples : « Sa musique lui ressemble. Elle est à la fois acoustique et électrique, tellurique et dynamique, colorée et sombre. Généreuse et fragile. Elle mêle les sentiments et les grooves. Elle vibre avec une intensité de velours, loin des modes et des obligations » ; « Une ballade qui plane avec légèreté au-dessus de la rupture amoureuse. Entre espoir et désillusion, cette romance électro-pop, teintée d’humour et de nostalgie » ; « Un album idyllique, pop et coloré qu’ils vous invitent à découvrir ». Comprenez que ces chansons sont tout… sauf des chansons !

Notons les éléments de langage qu’il vous faut utiliser sous peine de passer pour ringard, arriéré, incompris dans l’entre-soi des prescripteurs, de la communauté des rédacteurs branchouilles.

Au vilain terme de « chanson », préférez « pop », « folk ». S’il s’agit d’une chanson en particulier, dites « titre », « morceau », « histoire ». Et ne parlez de « texte » qu’avec parcimonie. Le rédacteur tenté par le littéraire aura tout loisir de broder sur « un miroir tendre et lucide pointé devant nos regards ». Et, en lieu et place de « chanson française », dites « scène française ».

Entre professionnels, on ne télécharge plus de chansons : on partage du « son ». Exemple : « eh, t’as écouté le dernier son de Jacques Bertin ? »

Le disque (attention, espèce en voie de disparition) d’un « chanteur » (évitez ce terme !) est fait de chansons. Mais cachons ce terme que nous ne saurions lire, entendre. Il nous ramène à ce vocable honni qu’on tait, qu’on tente de cacher comme sa première chaude pisse. Il nous rappelle et ramène à une exigence dont on aimerait s’affranchir. C’est vrai qu’en en écoutant certaines, on s’abstient.

13 Réponses à Un mot manque et tout déchante

  1. Bruno Papin 26 février 2021 à 21 h 13 min

    Bien vu et très bien dit, Michel. Il est clair qu’un vocabulaire qui se veut « tendance » (tendancieux ?) ne peut que cliver et séparer les auditoires…
    Au moins, je sais où retrouver qui j’aime !

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  2. Raoul Bellaïche 26 février 2021 à 21 h 14 min

    Bravo Michel !

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  3. Bruno Ruiz 27 février 2021 à 0 h 51 min

    Je partage totalement ton point de vue Michel. Pour que le poison soit total, il te faut rajouter que nous sommes vieux et ringards et le compte y sera.

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  4. François Barriet 27 février 2021 à 9 h 04 min

    J’adore… La plume est juste !… et vive la chanson !
    Un chanteur.

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  5. Gallet 27 février 2021 à 10 h 16 min

    Peut-être que les arguments formatés de ces communicants, reconnaissables, peuvent se retourner contre eux et devenir outil de sélection pour ne pas écouter leur marchandise et ainsi gagner du temps…

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    • Michel Kemper 27 février 2021 à 14 h 57 min

      En ce qui me concerne, c’est effectivement un argument, un outil pour faire le tri ;)

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  6. Michel Trihoreau 27 février 2021 à 12 h 09 min

    « Irions-nous jusqu’à évoquer la disparition officielle de la chanson puisqu’elle n’est plus nommée par les pouvoirs publics mais noyée dans le marécage international des « musiques actuelles » ? Qu’importe la codification officielle, la chanson existera toujours ; elle résiste et, quitte à se terrer dans les endroits les plus insensés, elle est toujours présente dans la mémoire collective et dans le cœur des gens ; elle est un pilier indestructible de notre culture. Il est dommage que les pouvoirs publics ou privés ne l’aient pas compris. »
    (La Chanson de Proximité – suite, L’Harmattan, collection Cabaret)

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  7. Henri Schmitt 28 février 2021 à 10 h 27 min

    J’hesite entre le rire desepere, et la franche colere. Ce vocabulaire de rigueur a commence deja dans les medias il ya quelques decades, et il envahit tout. Ces scribouillards pratiquent le « entre-soi  » qui ne saurait tolerer le malotru qui ne suivrait pas la regle. Il y a au moins une chose positive dans tout ce chantier: cette page, vos coups de gueule, les coups de coeur du camarade Trihoreau et de Dame Laugier nous permettent de respirer autre chose que les remugles de ces bouffons. Mais jusqu’a quand? Continuez, tant que vous pourrez.

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  8. Jean-Christophe Planès 28 février 2021 à 11 h 59 min

    Pfff quand on fait de la « chanson » à « texte », on est définitivement loser blackboulé des play-lists

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  9. Gil Pistil 28 février 2021 à 12 h 10 min

    S’il n’en reste qu’un je serai celui-là, à faire des chansons bien entendu.

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  10. Brian Thompson 28 février 2021 à 15 h 26 min

    Mon émission « French Toast » programme la CHANSON de l’espace francophone depuis plus de 25 ans en l’appelant de son nom sans hésitation et sans ambages. Elle est dispo sur wmbr.org, en direct et archivée 15 jours. Ce n’est pas nouveau que l’on déprécie la chanson. Dans un de mes premiers textes, je citais le grand Molière: « Chansons que cela ! ». Mais elle tient bon, et le fera encore longtemps!

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  11. Claud Michaud 1 mars 2021 à 15 h 19 min

    De la nouveauté avant toute chose
    Notre art est hélas millénaire
    Ni vers ni rime ni prose
    Leur langage verse dans le sectaire

    On a beau taire son nom
    Chez le critique, au ministère
    Essentielle au temps des trouvères
    Elle est et demeure, la Chanson

    Le constat est IDENTIQUE au Québec ! On ne sait plus, dans les formulaires, dans quelle catégorie s’inscrire.

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  12. Agnès 10 mars 2021 à 20 h 47 min

    Je crois qu’il ne faudrait pas non plus sous-estimer les nombreux métissages qui renouvellent et font vivre la chanson…au risque d’en omettre le fameux mot.

    Quant au jargon marketainge, il sévit malheureusement dans bien d’autres domaines que la chanson (si ça peut rassurer ou révolter un peu plus certains).

    Mais rassurons-nous : la chanson n’a pas pour l’étranger perdu son pouvoir hipster (hips houps).

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