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Derrière « Adieu Marthe », le grand talent de Gil Chovet

 

Le Théâtre de La Tarlatane

Robert Bianchi et Claire Guerrieri (photos Jalou Studio)

par Jeanne Lemann,

 

1er Décembre 2023, Le Chok-Théâtre à Saint-Etienne,

 

Un décor fait de deux murs, ceux d’une amicale laïque d’un quartier populaire de Saint-Etienne, avec ses verres, ses médailles, ses coupes, son calendrier des pompiers. Et le portrait de Marthe, décédée il y a peu, à qui six de ses proches viennent rendre hommage en chanson. « Mais attention, sans pathos ni chichi, hein, elle aurait pas aimé ça Marthe » balance Marie-Jo d’entrée de jeu avec un franc-parler et un accent bien ancrés dans la culture gaga. « Ah ça non » rétorque Milou de sa voix enrouée, avec force grands gestes et phrases inachevées. Et les voilà partis à chanter « pas comme des stars, ça c’est sûr, hein, mais on aime ça, pas vrai Milou » ? « Ah ça oui ».

Moi je dois dire que je suis un peu désarçonnée. Parce que les personnages sont masqués à l’italienne, et que les deux comédiens-chanteurs, Claire Guerrieri et Robert Bianchi, en changeant de visages plusieurs fois au cours du spectacle vont planter les caractères plus vrais que nature de Marie-Jo et Milou – les deux doyens encore bien verts quoique conscients d’être probablement les prochains à rejoindre leur vieille copine – ; une jeune Alice avec son nez retroussé, sa gentillesse infinie et son cheveux sur la langue ; un Jean-Luc esthète, précieux et raffiné ; une Bernadette un rien plus bourgeoise que tous les autres mais néanmoins adoptée entre les murs de l’Amicale ; et pour finir Jean-Luc, à la fois imposant et timide, fan de Johnny jusqu’au bout de la botte et du geste.

48-bisJe suis désarçonnée, oui ! Parce que les chansons, signées Gil Chovet, dont un tiers au moins, écrites semaine après semaine pour la Chanson du Week-End de France Bleu Loire sont toutes des bijoux quasiment inédits. Parce que je me trouve embarquée sans défense par la sincérité de chaque personnage, de chaque situation.

Et je ris, et je rêve, et je pleure aussi. Non pas de tristesse pour Marthe, mais désarmée, ballottée, enveloppée par la tendresse et la justesse de ce à quoi j’assiste, dans une totale absence de posture, une très grande qualité de jeu et de chant. Car derrière l’artifice du masque, chaque personnage s’avère crédible, touchant à sa manière.

Et les chansons, bon sang, quelles chansons ! Dans tous les registres, le talent de Gil Chovet nous explose à la figure, aussi évident que la discrétion de la carrière de l’artiste désormais retraité. On ne peut, on ne doit pas décrire ce spectacle. Sachez simplement que l’écueil d’un propos stéphano-stéphanois a été évité, par le truchement du pianiste, Joël Clément (excellent accompagnateur), qui, pas davantage stéphanois que je ne le suis, exige la traduction en français courant de chaque expression du truculent parler-gaga. Mais il y a autre chose : Adieu Marthe nous plonge dans le monde des petites gens, ces mineurs, artisans, ouvriers, commerçants que d’aucun décrivent – et, plus grave encore, pensent – comme n’étant rien. Et qui pourtant ont des choses à dire, beaucoup de choses.

Adieu Marthe est l’antidote à l’arrogance et la bêtise des éléments de langage qui prétendent à une vérité venue « d’en haut ». Ne les écoutez plus. C’est dans les théâtres, avec de tels spectacles que le langage reprend son rôle de tisseur d’humanité. Aussi petites les histoires qu’il nous raconte puissent-elles paraître, elles rejoignent les nôtres. Et c’est peut-être la joie de ces retrouvailles qui fait autant jaillir le rire que les larmes.

 

« Adieu Marthe » : Chant et jeu : Claire Guerrieri et Robert Bianchi ; Chansons : Gil Chovet ; au piano : Joël Clément ; Costumes : Nina Bianchi ; Décor et masques : Didier Pourrat. Production : Théâtre de la Tarlatane Contact : Isabelle, latarlatane@gmail.com. Le site du Théâtre de la Tarlatane, c’est ici.

 

« Adieu Marthe » extraits : Image de prévisualisation YouTube

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