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Lionel Rocheman, 1928-2020

Lionel Rocheman (illustration de la pochette du disque "Chansons Yiddisch")

Lionel Rocheman (illustration de la pochette du disque « Chansons Yiddisch » 1972)

A lire sa biographie, ce Parisien, père d’un célèbre pianiste de jazz, fut toute sa vie comme un génial couteau suisse : musicien, chanteur, acteur, écrivain, producteur et animateur de spectacles. Études de philosophie en dents de si, tant qu’on le dira autodidacte, et, sur le tard, études supérieures en musicologie. Pour mémoire, qu’il soit dit aussi que ce natif d’une famille juive d’origine polonaise, échappa de peu à la déportation avant de s’engager à 16 ans dans les maquis de Creuse et de Corrèze, devenant un des plus jeune résistant de France. Au sortir de la guerre, il fait divers petits boulots liés à la bonneterie, dans le quartier du Sentier, insatiable militant qu’il est par ailleurs des peuples en quête d’indépendance et des cultures populaires.

Dire que l’Histoire de la chanson lui est redevable est peu dire : on retiendra sans mal son rôle prépondérant dans le folk-song, le folk et la chanson, par cette expérience singulière à nulle autre pareille que fut ce fameux hootenanny (appellation héritée des musiciens de folk américain) créé en 1964 à l’American Center for Students and Artists à Montparnasse (repris ensuite de 1973 à 1975 à l’Olympia et, furtivement, au Studioscope de France-Inter) : le hootenanny avait pour principe de permettre une fois par semaine à tous les artistes amateurs de se produire le soir même sans sélection ni audition préalable.

« Le hootenanny est une réunion chantée où chante qui veut et ce qu’il veut, très en faveur à la fin des années 1950, aux États-Unis, dans les milieux universitaires et libéraux amateurs de folksongs, le hootenanny est importé à l’American Center à Paris. Il y connaît un succès rapide et durable, sous l’impulsion de Lionel Rocheman. Le répertoire anglo-américain, d’abord hégémonique, fait droit à d’autres esthétiques, notamment à la chanson française dans toutes ses déclinaisons, chanson traditionnelle incluse. Le hootenanny innove surtout en imposant la formule de la scène ouverte qui remet radicalement en cause la frontière entre artistes et public, l’immense majorité des performers étant des amateurs sans ambition de carrière. Le hootenanny fait figure de matrice du mouvement folk français, en sortant, au moins provisoirement, la chanson traditionnelle de l’ornière essentialiste où l’avait enlisé la politique culturelle du gouvernement de Vichy. » (Hootenanny au Centre américain, l’invention de la scène ouverte à la française (1963-1975), par François Gasnault, éditions Ehess).

La liste de toutes celles (peu de dames, en fait) et ceux qui ont débuté ici est longue comme un jour sans pain : Alan Stivell, Graeme Allwright, Hugues Aufray, Marcel Dadi, Gabriel Yacoub, Art Rosenbaum, Claude Lemesle, Steve Waring, Roger Mason, Hervé Cristiani, Ricet Barrier, Michel Haumont, René Zosso, Catherine Perrier, Julos Beaucarne, Jean-Jacques Milteau, Joe Dassin, Maxime Le Forestier, Dick Annegarn, John Wright, Marc Robine… C’est là que se rencontrent Stivell et Yacoub (le futur créateur de Malicorne) qui bientôt triompheront ensemble sur la scène de l’Olympia. C’est là que se sont rencontrés nombres de musiciens folk ; les folk-clubs français ont suivi avec Le Bourdon, la floraison des groupes folk suivra bientôt.

En créant l’incroyable scène ouverte que fut le Hootenanny du boulevard Raspail, Lionel Rocheman a créé un immense creuset, suscité un nombre incroyable de vocations dont, plus d’un demi-siècle après, nous mesurons encore à peine les heureuses conséquences.

Il enregistra des disques de chansons françaises anciennes, le premier d’entre eux préfacé par Georges Brassens. Suivront, dans une veine identique, Chansons et Complaintes de Soldats et Chansons d’Amour. Et créa la collection Hootenanny sur le label Chant du Monde, collection couronnée du grand prix de l’Académie Charles-Cros en 1970. 

Sur scène, il tournera dix années durant, une sélection du hootenanny, intitulée Hoot-Club, composée de Claude Lemesle, Alan Stivell, Steve Waring. Insatiable, infatigable, il produira également une série télévisée musicale pour la jeunesse, Épinettes et Guimbardes, consacrée aux instruments traditionnels, avant d’inventer le personnage de Grand-Père Schlomo en 1977, prétexte à une peinture d’un petit village juif de Pologne à la fin du XIXe siècle. Acteur de théâtre (notamment dans le Cabaret de Jérôme Savary) et de cinéma (des apparitions dans une douzaine de films tels que Le grand pardon d’Alexandre Arcady, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ de Jean Yanne, Paroles et musiques d’Elie Chouraqui, Je hais les acteurs de Gérard Krawczyk ou Fucking Fernand de Gérard Mordillat), écrivain (une douzaine de romans, contes et essais).

Lionel Rocheman est un de ceux qui ont participé à ce qu’est la chanson aujourd’hui. Si son nom est pour partie déjà entré dans l’oubli, il faut se rappeler ce qu’il fut et ce qu’il a fait. Ce qu’il a fait est énorme. Et sans pareil.

 

« Le galérien » (enregistrement pour L’Anthologie de la chanson traditionnelle, EPM)

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Rencontre avec Lionel Rocheman en caméra cachée (2015)

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