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Élie Guillou : nécessité poétique vs vanité autocentrée

Elie Guillou (photo Flavie Girbal / Hexagone)

Elie Guillou (photo Flavie Girbal / Hexagone)

Élie Guillou, « Rue Oberkampf », 25 mars 2015, Théâtre du Temps, Paris 11e,

 

Notre amie Claude Fèvre avait déjà, il y a quatre mois, couvert cet étonnant spectacle. Nous y sommes revenu, au terme d’un mois de représentations à Paris, à deux stations de métro d’Oberkampf, pile au mitan de l’action.

Guillou est chanteur et fait souvent pousser la chanson là où elle n’a pas été ensemencée. Là, il fait à peine le chanteur, mais l’acteur, l’humoriste, one-man-show dont le sujet est… la chanson. De l’intention, la pureté, à ce qu’elle peut devenir quand le bizness s’en empare. Un peu comme « La chanson française pour les nuls » : passionnante pédagogie riante d’un bout à l’autre de la rue, de son point de départ métro Ménilmontant au Bataclan, Graal s’il en est de tout chanteur voulant chanter. C’est un postulant artiste, bien avant l’émergence, « poids mort dans la montgolfière de la croissance », dans son absolue virginité. Lui ne jure que par le chanteur-étalon, le Johnny-originel, qui fut la somme de tout avant qu’il ne disperse ses talents. Qu’il recherche, prêt à inscrire chacun de ses pas dans l’empreinte des siens. Protocole de la galère, rite initiatique. Il a pour lui sa nécessité poétique ; et contre lui sa vanité auto-centrée. Combat de titans sous les sunlights. Il sera Frisouille, avec son immense tube Bateau phallique (qui s’« enfonce dans l’Antarctique »).

Faire son chemin, sa rue, émerger parmi tous les prétendants artistes qui ne rêvent que d’intermittence, abdiquer ou non sa pureté d’origine pour faire sa place au soleil, être docile ou rétif au formatage, telle est Rue Oberkampf, fable caustique dont la trame caricaturale est comme un décalque de la vraie vie : tous les artistes s’y reconnaîtront, sauf ceux, peut-être, prématurément fabriqués de toutes pièces par The Voice ou par Pascal Nègre.

Le parcours ? Traverser la rue Oberkampf, étape par étape (bar-pmu, agence Pôle-emploi, boucherie chevaline, boite de nuit, etc), sans n’en rater aucune, se plier au règles, aux rituels, vaincre la concurrence, s’adapter au marché, aux concepts, pour oser fouler la scène du Bataclan, en bas de la rue. C’est drôle, bien vu, bien pensé. On ne va pas vous vous le narrer par la rue, par le menu : il faut le voir pour le vivre.

Un seul artiste en scène, Élie Guillou, qui endosse tous les rôles, happé par l’irrésistible succès… s’il le veut, s’il est docile, s’il rogne ses vers sévère, s’il épure, s’il fait comme on lui dit. S’il ne veut pas se trouver à l’équarissage, à l’étal de la boucherie-chevaline. Ça nous vaut des scènes désopilantes, à Pôle-emploi notamment, mais pas que là. Sur tout son chemin de croix, toutes les stations.

Tout le monde vous le dira : la chanson va mal. Tellement mal qu’il faut même plus dire le mot « chanson », relégué au rang d’épouvantail. Tu fais rock, tu fais pop, tu fais folk, musiques actuelles il va sans dire, tu fais ce que tu veux mais tu dis pas « chanson » parce que sinon le public se tire. L’air du temps c’est de cacher camoufler ce qu’on fait. Lui, Élie Guillou, est un chanteur qui veut chanter, si possible en gardant intacte sa nécessité poétique.

Mais l’heure de ce siècle est réglée aux montres de la compétition. Tant pis si le monde est assez vaste pour accueillir tous les fragments du Johnny originel, il nous faut l’illusion de la compétition. Faut qu’ça saigne dirait m’sieur Vian.

Cette fable féroce fera le délice entre autres de tous ses copains chanteurs qui ont vécu ou vivent de telles galères. Le rire pour camoufler le ridicule, le désespoir, la misère. Tiens, ça peut faire le sujet d’autres chansons.

 

Le site d’Élie Guillou, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est làImage de prévisualisation YouTube

2 Réponses à Élie Guillou : nécessité poétique vs vanité autocentrée

  1. Danièle Sala 2 avril 2015 à 11 h 33 min

    Comment garder la pureté originelle, la nécessité poétique, en passant tous les obstacles de cette rue infernale en résistant au formatage, aux modes, aux exigences du marché, en mettant un mouchoir sur sa vanité « auto-centrée » ? Il faut voir ce spectacle drôle et féroce pour pouvoir répondre, si toutefois il y a une réponse ! mais l’essentiel du message est dans le chemin à parcourir .

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  2. Thierry Chazelle 3 avril 2015 à 0 h 32 min

    Ce spectacle est une merveille, allez le voir : il sera à Avignon cet été.

    Répondre

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