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Jérémie Bossone : mutineries !

Benjamin et Jérémie Bossone à Viricelles (photo Babette Richard)

Benjamin et Jérémie Bossone à Viricelles (photo Babette Richard)

5 avril 2019, festival Enchant’Emoi, salle des Tilleuls, Viricelles (42),

 

Le lieu, on le sait, est un peu comme un sanctuaire de la chanson, là où elle aime trouver refuge. Une chanson qui, fidèle à de lointaines origines rive gauche, s’accommode bien d’une simple guitare de bois ou d’un piano, guère plus. Tel n’est pas Bossone, mais on le sait : il est ici en récidive, retour deux ans après sur le lieu de son précédent forfait. Quand on dit Bossone, il conviendrait d’ailleurs de dire BossoneS, Benjamin, aux claviers et machines, et Jérémie, aux guitares. Dans l’action deux bêtes de scène, au physique animal. Benjamin exhibe sa musculature façon Lavilliers. En sarouel et maillot de corps, les cheveux hallucinés, Jérémie se lance dès l’entrée en scène dans une déferlante de décibels, de verve et de verbe. Et de colère, c’est manifeste. Contre les puissants « Petits rois fiers comm’ des coqs (…) Tous plus fourbes que le vent » qui nous « sourient par devant [et] nous baisent par derrière ». Mais voici l’heure de se faire pirates et le concert sera rare mutinerie, de flots en flow. En des séquences que nul autre que Bossone n’aurait ici envisagé : un grand huit entre les genres musicaux, dans lequel on peut parfois se perdre, dans lequel on dénichera surtout des moments de pure anthologie, de toute beauté, que son radeau aborde les rives du rock, de la chanson, du folk-song, du slam ou du rap.

J’ai dit colère et j’insiste, moins dans la forme (et pourtant…) que dans le fond. Contre ce monde mal foutu où nous ne sommes rien que des pions ; contre lui-même qui se débat comme nous tentons de le faire nous-mêmes : en pure perte. Parmi les grands moments de ce concert, des chansons (des performances, vraiment !) comme ce Spirale où la vie se détruit face à la difficulté d’être, artiste de surcroît : vous écoutez ça, le ventre serré, douloureux, chaque couplet aggravant le malaise : « On chante on s’aime / On s’plante on saigne ».

(photo Anny-Claude Durbet)

(photo Anny-Claude Durbet)

Pas le temps de souffler, de panser et d’épancher nos émotions, que Bossone reprend Mon enfance. Jamais, de mémoire de spectateur (et pourtant…) je n’ai vu telle reprise de Barbara, si touchante, toutes blessures à nu, d’une voix fragile et féminine. Même le meilleur des metteurs en scène n’aurait pu donner telle perspective, telle profondeur de chant. Playmobil fait aussi écho à l’enfance, chanson qu’il dédie à Brel : à l’écouter, on comprend, le far west de Grand Jacques n’est pas loin… « Ensuite on s’range ! »

Ouest encore, et ce Cherokee Rose, retour sur la déportation des indiens d’Amérique : le ton est là encore accusateur et probant. Exemplaire !

Grand écart, grand huit, autres pirateries : le drapeau noir flotte sur la marmite. Autre performance, rap cette fois-ci : un long débit qui fera débat, dix minutes ou plus, dont on capte des mots et du sens, qu’on reconstitue mentalement, fascinés, hypnotisés que nous sommes, épatés. Là aussi c’est colère, plus que ça même : « Entrez dans la danse de la décadence, chez les / Rois de la finance qui nous pensent le monde / L’aventure est poésie / Qui la tue ? Vos messies  ! (…) Putain ! Se soumettre d’âme et de corps aux altesses ? / Jamais d’la vie ! Demande à Corto Maltese ! ».

Autre morceau rap, en égo-trip, (Je suis) Loin devant. Là comme en d’autres morceaux, d’autres genres, Bossone tutoie la muse, est effectivement loin devant. Quand il quitte la scène en d’ultimes rappels, il ose sans tout à fait nous en convaincre (J’ai) Rien à dire. Car ça fait tout un concert qu’en un incroyable et puissant débit de mots il nous dit plus que quiconque le monde dans lequel nous tentons de nous battre, nous survivons, dans ce qu’on dira être les années Macron, qui ont dû peser lourd dans l’écriture de telles chansons. Quel con me souffle que la chanson « engagée » n’existe plus ?

 

Le site de Jérémie Bossone, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

« Playmobil » clip février 2018 Image de prévisualisation YouTube

« Rien à dire », clip 2015 version longue Image de prévisualisation YouTube

3 Réponses à Jérémie Bossone : mutineries !

  1. FRASIAK 6 avril 2019 à 12 h 55 min

    Tellement vrai…

    Répondre
  2. MOURLANE Dominique 7 avril 2019 à 16 h 13 min

    Au lendemain d’Enchant’Emoi les Bossonnes brothers, après une bien courte nuit, se sont précipités vers le Relais de Poche en traversant la moitié de la France.
    De vrais pirates sans bornes vous dis-je.
    Et sur scène : waowww, quelle claque !!
    Même pas fatigués, une énergie à revendre et un doux mélange de styles, rock, rap, slam, folk, ancien disque, nouveau, qui aurait pu être décousu mais qui traduit bien la complexe pensée de Jérémie et certainement aussi de Benjamin, en tous cas un spectacle qui a emballé la salle du Relais de Poche.
    Et puis tout d’un coup ce rap « L’Aventure » qui scotche la salle, et là boum, explosion du public et applaudissements monstrueux presque aussi long que la chanson. Du délire sans nul doute.
    Rien à enlever de l’article de Michel Kemper, tout y était pareil à Verniolle.
    Revenez quand vous voulez les BossonneS ; vous nous avez enchantés.

    Répondre
  3. Odile Fasy 8 avril 2019 à 7 h 41 min

    Des textes très émouvants, une fratrie pleine d’énergie.
    Cela doit être un vrai bonheur d’assister à leurs concerts.
    Merci Michel pour ce bel hommage.

    Répondre

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