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Juliette Gréco, 1927-2020

Juliette Gréco (photo Vincent Capraro)

Juliette Gréco à la Fête de l’Humanité en 2015 (photo Vincent Capraro)

On avait beau s’y attendre, ça vous fout la tristesse, le cafard, cette infinie mélancolie qui soudain nous prend et ne nous lâchera pas avant longtemps. Oui, il n’y a définitivement plus d’après à Saint-Germain-des-prés… Ni là ni ailleurs, mais c’est de Saint-Germain dont elle fut l’inspirée muse… Un Saint-Germain c’est vrai à conjuguer au passé, dans lequel sa longue silhouette noire aux longs cheveux passe et repasse encore, comme un film toujours sur nos écrans. Gréco c’est presque un siècle de notre pays, de notre culture, de ses joies et de ses peines, de ces heurts et malheurs. De l’occupation durant laquelle l’adolescente qu’elle est sera mise en prison, à la Libération où elle fait partie d’un groupe qui anime Le Tabou. Elles, ce sont les caves de Saint-Germain, Boris Vian et cette faune artistique, intellectuelle qui a fécondé pour quelques décennies nos vies, nos envies, notre appétence au savoir, à la littérature, à la musique. A la chanson…

Juliette Gréco, c’est un roman à elle seule, avec un casting que nul metteur en scène ne saurait, ne pourrait imaginer, comme le Who’s who non de gens futiles mais des grands de ce temps, du sien. Décrétée « muse de Saint-Germain-des-près », elle ne sait quoi faire de cette célébrité : elle devient chanteuse, débute en 1949 au Bœuf sur le toit, d’abord avec un public connaisseur, raffiné. L’estime publique, celle qui rassemble tant le peuple que les bourgeois, viendra plus tard. S’installera peu à peu la reconnaissance, l’amour. Son indispensabilité.

Oui, c’est une indispensable qui vient de disparaître, de nous tourner le dos, nous quitter : il va falloir s’organiser de son absence. Alors, on va se repasser dans nos têtes, sur nos lèvres, ce que l’on sait de son œuvre d’interprète, sa Jolie môme, ses Un petit poisson un petit oiseau, La chanson des vieux amants, Paris canaille, Les feuilles mortes, Si tu t’imagines, La Javanaise, Je t’attends à Charonne… Ou ce Déshabillez-moi qu’aucune autre femme ne saura faire comme elle. Il nous faudra aller aussi sur d’autres rives, d’autres plaisirs plus récents, d’autres auteurs qu’elle s’est mis en voix : des Julien Clerc, Lavilliers, Art Mengo, Benjamin Biolay, Gérard Manset, Stéphane Miossec, Abd Al Malik… Gréco ne fut jamais un temps arrêté, des images d’archives, conjuguant la vie, la chanson et ses choix artistiques au présent, au pluriel. Les artistes faisaient antichambre pour que la Gréco daigne les interpréter. On en voudra pour longtemps à son entourage qui ne lui remit jamais les chansons que Mano Solo écrivit pour elle.

Tout en elle fut (il faudra s’habituer à l’usage de l’imparfait) fait de goût, de respect, de finesses, d’un sourire, d’un regard, étonnants, incroyables. Et cette voix, bien partie pour nous hanter et revenir souvent.

Dans notre imaginaire, elle prendra la place de l’œuvre d’art qu’elle est, comme une Joconde, un Utrillo, un Raphaël. Je dis ça parce que je le crois, parce que j’aime cette idée qu’elle déambule dans nos têtes comme dans ce Louvre qu’elle a hanté jadis, sous le masque de Belphégor.

Le reportage photo de Vincent Capraro en 2015

« Les temps nouveaux » de Maurice Fanon : Image de prévisualisation YouTube

« Un petit poisson, un petit oiseau » : Image de prévisualisation YouTube

2 Réponses à Juliette Gréco, 1927-2020

  1. Gallet 24 septembre 2020 à 16 h 48 min

    Je regrette que la chanson française, mais pas seulement, n’intéresse les médias que morte.Le directeur de la musique de France Inter, à qui j’avais écrit pour déplorer l’absence de diffusion d’une chanson de volonté signifiante et immédiatement accessible, comme a pu chanter Gréco m’a répondu:
    « Sachant qu’1 disque sur 2 qui se vend en France est affilié à la catégorie de musique urbaine il me semble important que l’on représente les différents comportements d’écoute afin de ne laisser personne sur le bas-côté, c’est aussi ça le service public. »
    Donc, nous ne sommes pas intéressants, que vive le son qui fait des sous. Moi, je coupe le son des fossoyeurs.
    JPaul Gallet

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  2. André Robert 25 septembre 2020 à 8 h 53 min

    La « muse de St Germain-des-près », la « dame en noir », cela me rappelle une autre immense interprète, la « dame blanche » elle aussi de « St Germain-des-près », elle aussi morte à 93 ans, en 2011 : Cora Vaucaire.

    Répondre

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